Le commerce peut contribuer à accélérer l’industrialisation et la transformation structurelle de l’Afrique. C’est ce qu’affirme avec force le Rapport économique sur l’Afrique 2015 de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), lancé à l’occasion de la Conférence des ministres africains des finances et du développement économique, tenue le 8 avril 2015 à Addis-Abeba.Le rapport s'appuie notamment sur les messages clés des deux éditions précédentes, qui préconisaient l’industrialisation fondée sur les produits de base et soulignaient le rôle important de la politique industrielle dans la transformation structurelle.
Le choix du thème de «l'industrialisation par le commerce» a été guidé par deux considérations majeures : la place encore marginale que l’Afrique occupe dans le commerce mondial, ainsi que les résultats fulgurants que les nouveaux pays industrialisés sont parvenus à obtenir grâce aux échanges internationaux. Partant de cette relation potentiellement symbiotique entre le commerce et l’industrialisation, le rapport étudie les façons dont le commerce peut contribuer à accélérer l’industrialisation et la transformation structurelle de l’Afrique. Il analyse les défis que doit relever l’Afrique et les possibilités qu’elle peut exploiter, au sein d’une économie régionale et mondiale en constante évolution.
Le rapport met en particulier l’accent sur l’importance de l’utilisation stratégique des politiques commerciales afin de stimuler le commerce intra-africain et renforcer les chaînes de valeur régionales. L’importance des services dans l’économie, maillon essentiel de promotion des autres secteurs et contributeur direct à la création de croissance et d’emplois, ainsi qu’à la promotion des investissements directs étrangers, est également mise en évidence dans le rapport.
Le rôle crucial des politiques commerciales
Reconnaissant que le commerce peut être un véritable moteur de l’industrialisation et de la transformation structurelle en Afrique, le rapport souligne néanmoins que le processus n’est pas automatique. Il insiste sur l’importance de se doter de politiques commerciales adéquates pour remédier aux défaillances du marché et aux échecs institutionnels qui entravent la compétitivité des exportations. Il préconise donc que les pays africains repensent leur politique commerciale pour en faire un levier de promotion du développement industriel et de la transformation structurelle. Dans cette optique, les politiques commerciales doivent nécessairement être sélectives et trouver un équilibre entre la promotion des secteurs relativement bien établis et la protection des secteurs fragiles.
Le rapport souligne également les principaux facteurs qui limitent les échanges commerciaux de l’Afrique, auxquels les politiques commerciales doivent s’efforcer de remédier. Parmi ces facteurs, on retrouve l’étroitesse de la gamme de production et d’exportation, dominée par des produits de faible valeur, les coûts commerciaux très élevés, les barrières tarifaires et non-tarifaires qui entravent le commerce intra-africain et l’accès aux marchés internationaux. Le rapport révèle qu’en comparaison à d’autres régions, le commerce intra-africain et la part de l’Afrique dans le commerce mondial restent dérisoires, se chiffrant respectivement à 16,3 pourcent et 3,3 pourcent en 2013.
Pour faire du commerce un moteur efficace de l’industrialisation, la transformation structurelle du commerce et de la production industrielle est une condition préalable fondamentale. Une telle transformation implique, selon le rapport, trois facteurs essentiels : (1) la production et le commerce des produits intermédiaires ; (2) la création de chaînes de valeur nationales, régionales et mondiales, l’intégration dans de telles chaînes et leur modernisation; (3) et le renforcement du rôle des services dans ces processus. Les politiques commerciales doivent donc s’évertuer à promouvoir ces trois axes, en conjonction avec des politiques complémentaires favorisant également l’industrialisation
Favoriser l’intégration régionale
Le rapport souligne que l’une des clés pour l’Afrique consisterait à accroître le commerce intra-régional, en améliorant les infrastructures, en renforçant la facilitation des échanges, en réduisant les coûts commerciaux et en renforçant la compétitivité de manière générale. A cet égard, il préconise l’accélération de l’intégration africaine, en particulier à travers l’établissement d’une zone de libre-échange continentale (ZLEC) africaine, qui pourrait contribuer grandement à appuyer son industrialisation.
La création d’une telle zone continentale permettrait d’accroître à la fois le commerce intra-africain et son contenu industriel. L’adoption de mesures de facilitation du commerce, s’ajoutant à la mise en place d’une telle zone, multiplierait les effets positifs attendus. Dans ce contexte, les États membres africains et les CER devraient redoubler d’efforts pour mettre en œuvre de manière efficace le Plan d’action pour l’intensification du commerce intra-africain, souligne le rapport.
Enfin, le rapport recommande également la création de zones économiques spéciales, de zones commerciales et de zones franches d’exportation, pour inclure davantage de petites et moyennes entreprises et industries et promouvoir le resserrement des liens avec d’autres secteurs de l’économie.
Ne pas rester bloqué en bas des chaînes de valeur
Prenant la parole lors de la cérémonie de lancement du rapport, le Ministre du commerce et de l'industrie du Ghana, Ekow Spio-Garbrah, a mis l’accent sur l’importance du commerce. Il a expliqué que l'Afrique doit se concentrer sur le commerce transfrontalier et progresser dans les chaînes de valeur. Il a lancé un appel aux décideurs politiques africains afin de concrétiser les recommandations du rapport.
Abdalla Hamdok, Secrétaire exécutif adjoint de la CEA, a pour sa part souligné l'importance de ne pas se retrouver au bas de l’échelle de la chaîne de valeur mondiale, ce qui représente un véritable défi. Il est important d'orienter les politiques commerciales vers des objectifs de développement nationaux et d’être sélectif dans des secteurs spécifiques, a-t-il souligné, précisant que des stratégies soigneusement conçues pour le commerce peuvent contribuer à l'industrialisation.
Mais comme le souligne Carlos Lopes, Secrétaire exécutif de la CEA, dans l’avant-propos du rapport, la tâche n’est pas facile. L’industrialisation et la progression dans les chaînes de valeur requiert en particulier un investissement dans des compétences propres aux différents secteurs, dans le capital humain, dans les infrastructures et dans les services financiers, ainsi que la mise en place d’un cadre d’orientation favorable.
La problématique des accords commerciaux régionaux
Dans un contexte de prolifération des accords commerciaux régionaux, de nombreuses études s’intéressent aux impacts potentiels de ces arrangements sur l’Afrique. Dans son rapport, la CEA aborde aussi les potentielles conséquences pour l’Afrique des principaux accords commerciaux méga-régionaux – Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI), Partenariat transpacifique (PTP) et Partenariat économique global régional (RCEP). Elle relève notamment les effets de détournement des échanges commerciaux pouvant affecter l’Afrique, et qui pourraient s’avérer d’autant plus grands que ces accords sont censés aller au-delà du commerce des biens pour toucher aux services et à l’investissement. Le rôle négatif des APE pour le commerce intra-régional est également mentionné.
Le rapport souligne toutefois que l’Afrique doit s’assurer que son objectif en matière d’industrialisation n’est pas remis en question par ces négociations. Il suggère que la ZLEC pourrait être d’importance capitale à cet égard. Un renforcement par l’Afrique de son intégration économique et du commerce intra-africain peut constituer la solution pour faire face aux défis découlant de ces accords méga-régionaux. Pour progresser sur la voie de l’industrialisation par le biais du commerce, les pays africains devraient également passer en revue les divers accords qu’ils ont signés afin de tirer profit de leurs marges de manœuvre.