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Date :  2010-10-21
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La Francophonie à l'ère de la mondialisation


Le XIIIe Sommet de la Francophonie qui se réunit cette semaine à Montreux coïncide avec le 40e anniversaire de son institutionnalisation. La Francophonie, qui a la chance de n'être pas seulement intergouvernementale, peut revendiquer des réussites incontestables. Elle semble florissante si l'on en juge par le nombre de pays participant au sommet. Pourtant, dans sa composition actuelle, le sommet sera-t-il en mesure d'adopter les mesures qui permettront aux parlants-français de relever les défis de la mondialisation?

Depuis la création du G6 à Rambouillet en 1975, les sommets se sont multipliés et banalisés. Après avoir suscité de grands espoirs, ils sont devenus un cruel révélateur: la crise économique est le miroir de la crise du politique incapable d'inventer les modalités de son exercice pour composer efficacement avec les enjeux de la mondialisation dont les politiques nationales ne peuvent gérer que les conséquences. D'où le désarroi qui s'exprime partout devant cette impuissance alors que la demande de politique n'a jamais été aussi pressante.

Défis et vision d'avenir pour la Francophonie: le thème du sommet de Montreux est ambitieux. Quelles en seront les traductions concrètes? Une vision sans projets n'a pas de portée politique, des projets sans vision confinent à l'agitation. On peut parier sans risque sur l'adoption d'une nouvelle déclaration sans aspérité qui fera la liste des sujets d'actualité sur lesquels on multipliera les affirmations, les encouragements et les engagements qui n'auront rien de contraignant. Ce sommet serait-il une sorte de répétition permettant d'évoquer des questions sur lesquelles d'autres sommets disposent d'une capacité décisionnelle?

Organisation

Peut-il en être autrement quand la liste des participants au sommet pose la question de la nature et de la raison d'être de la Francophonie? L'Union européenne s'interroge sur son périmètre et sur sa capacité d'agir à 27 et elle impose aux nouveaux membres d'assumer les acquis communautaires et de prendre des engagements contraignants. L'Organisation internationale de la Francophonie compte aujourd'hui 56 États et gouvernements à titre de membres, et 14 observateurs qui ne sont soumis à aucune obligation véritable.

Elle devrait accueillir à Montreux cinq nouveaux observateurs qui ont un rapport peu évident avec l'usage du français comme langue partagée, qui constitue le fondement de ce regroupement. Après la Lettonie et les Émirats arabes unis, pourquoi la Russie, les États-Unis et même la Chine, où l'enseignement du français serait en progrès, ne rejoindraient-ils pas la Francophonie comme observateurs... de quoi au fait? On pourrait se féliciter d'une telle évolution si elle entraînait des engagements réels des nouveaux adhérents qui renforceraient les capacités d'action commune centrée sur les enjeux propres à cette alliance.

Il y a une façon simple de composer avec la problématique élargissement/approfondissement. C'est de revenir à la question politique première: que voulons nous faire ensemble pour relever les défis qui concernent les parlants-français à l'ère de la mondialisation, puisque c'est à ce titre que nous nous retrouvons dans la Francophonie? L'action diplomatique n'est pas incompatible avec une action résolue sur les enjeux propres aux parlants-français, plaide Abdou Diouf.

Champ stratégique

Un sommet est consacré aux grandes questions, soutient-on. Est-ce à dire que tous les sommets traitent des mêmes sujets et que les enjeux qui concernent les parlants-français seraient purement linguistiques et donc d'importance marginale? La diplomatie peine à prendre en compte le rôle des facteurs culturels dans les clivages et les rivalités sur la scène mondiale. La mondialisation n'est pas seulement économique. Elle met en présence intensive et en concurrence des visions du monde et des valeurs qui deviennent des facteurs de realpolitik.

La sphère médiatique globalisée est le nouveau champ stratégique où se livre la bataille pour la conquête des esprits et des coeurs. C'est là que les jeunes trouvent leurs rêves et leurs modèles, plus attractifs que ceux de leur milieu immédiat. Du coup, c'est la capacité de socialisation de toutes les cultures existantes qui est affectée, avec les conséquences qui se manifestent dans les processus identitaires.

Une question cruciale en découle: que voient, qu'entendent, que lisent les parlants-français aujourd'hui? Ne sont-ils pas plus familiarisés avec les productions de Hollywood et de Bollywood qu'avec celles des autres francophones? Les parlants-français peuvent-ils proposer aux jeunes d'aujourd'hui des éléments d'identification attrayants et valorisants? Et si tel n'est pas le cas, quelles en sont les conséquences?

Relever des défis

Il serait illusoire de s'en remettre à la croissance démographique pour soutenir que l'avenir du français se joue en Afrique. Il dépend surtout de l'usage de cette langue dans les secteurs névralgiques, y compris en France où le français cède à l'anglais dans les affaires, dans l'enseignement supérieur et les publications scientifiques et même dans la diplomatie. Comment penser qu'en Afrique, en Europe ou ailleurs, on continuera à vouloir apprendre le français s'il faut passer à l'anglais quand viennent les choses sérieuses?

Que voulons-nous faire ensemble pour relever les défis de la mondialisation culturelle? Cette question à plusieurs volets qui devrait servir de fil conducteur à tous les sommets sera-t-elle soulevée à Montreux? Il en est deux qui pourraient permettre à la Francophonie d'actualiser son projet politique de façon à la fois originale, pertinente et efficace.

Que voulons-nous faire ensemble pour développer une aire d'échanges culturels privilégiés, fondée sur l'ouverture maîtrisée et l'échange équitable? Voilà un projet qui appelle des mesures favorisant la mobilité des personnes pour donner consistance à l'espace culturel francophone, le soutien à la création de qualité exprimant et valorisant la diversité des francophones, la prise en compte de la technologie numérique en matière culturelle. Si la francophonie économique a un sens, c'est d'abord en stimulant le développement d'industries culturelles transnationales performantes et d'un marché culturel actuellement marginal.

Espace médiatique

Deuxième volet: comment développer un espace médiatique commun aussi séduisant que celui proposé par des modèles concurrents? La francophonie a la chance de pouvoir compter sur TV5 Monde, qui devrait dépasser son offre de rediffusion pour permettre aux parlants-français de se voir et de se connaître davantage les uns les autres, et devenir ainsi le creuset de la francophonie de l'avenir. Les médias privés ont aussi un rôle décisif à jouer dans la construction de cet espace médiatique commun qui constitue sans doute l'un des tests pour l'avenir de la francophonie réelle. Tous les participants au sommet devraient donc s'engager à alimenter TV5 et à en assurer la diffusion sur leur territoire.

Le temps est révolu où les premiers sommets donnaient lieu à une vertueuse concurrence dans les engagements financiers. L'état actuel des finances publiques rend illusoire un accroissement significatif des contributions, sauf des observateurs dont il faut exiger bien davantage que le ticket dérisoire de 2000 euros. On devrait par ailleurs inviter des dirigeants de grandes entreprises, dont c'est l'intérêt bien compris, à s'engager dans le montage financier de projets associant acteurs publics et privés, notamment dans le secteur du numérique et de l'audiovisuel.

La Francophonie ne pourra remplir sa mission en n'étant qu'une chambre d'enregistrement des requêtes de ses membres dont la disparité est devenue aussi grande. Il faudrait profiter de la crédibilité des responsables actuels pour mettre en place une capacité autonome de proposition répondant aux intérêts des parlants-français et pour les inscrire dans les processus de préparation des sommets.

Actions communes

La Francophonie comme aire de diffusion et d'influence d'un centre vers une périphérie imaginaire est dépassée. Dans un monde qui ne tourne plus autour de l'Occident, elle pourrait s'affirmer comme figure originale d'un partenariat multipolaire entre des acteurs publics et privés engagés dans des actions communes pour construire un monde irréductiblement pluriel.

Pareil projet n'est pas condamné à réussir. Il repose sur l'engagement actif de tous ceux qui savent que leur avenir de comme parlants-français ne peut être assuré sans une Francophonie dynamique et efficace, centrée sur son véritable coeur de métier.


Jean Tardif est Délégué de l'association internationale PlanetAgora, il a été haut fonctionnaire québécois aux Affaires internationales et délégué général du Québec à Bruxelles.


Opinion parue dans Le Devoir le 21 octobre 2010.


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