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Date :  2001-10-08
langue :  Français
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Féminisme politique

Féminisme

Source :  Nivedita Menon


La tendance qu'ont les communautés à mettre leur honneur dans "leurs" femmes, et le fait que la première étape du maintien de l'ordre culturel consiste à marquer les femmes, puis à attirer "à l'intérieur" de la communauté, sont désormais bien connus des universitaires et des militants féministes. Surtout lorsqu'elle a l'impression que son identité ou son existence sont menacées, une communauté minoritaire va affirmer avec fierté son identité avant tout sur le corps de "ses" femmes. Et nous savons comment la dynamique complexe de l'identité minoritaire dans une société multiculturelle où existe une communauté clairement majoritaire empêche d'apporter dans de tels cas une réponse uniquement "féministe", de peur de nourrir les stéréotypes présentant les minorités comme réactionnaires et arriérées.

Mais c'est là un sujet dont les féministes discutent depuis déjà longtemps. Ce qui m'intéresse ici, c'est un autre aspect du maintien de l'ordre culturel. Examinons les déclarations d'une jeune musulmane du Cachemire qui se résigna à se voiler après les menaces proférées par un petit groupe extrémiste, le Lash-e-Jabbar. Cette jeune fille, qui n'avait jamais porté de burqa auparavant, déclara au journaliste qui l'interrogeait qu'elle se sentait terriblement malheureuse et entravée. "J'allais régulièrement chez une esthéticienne ", se plaignait-elle, "mais désormais je n'ai plus à me soucier de mon visage". Ces propos, également reproduits en gras en "inter" au milieu de l'article, attiraient tout de suite l'attention du lecteur sur le triste sort d'une jeune fille n'ayant plus à se soucier de son visage parce que celui-ci est désormais dissimulé par un burqa. Pourtant dans cette interview, elle reconnaît aussi qu'elle se sent désormais plus en sécurité dans les lieux publics, car les hommes se montrent plus respectueux. "Ça peut être une sorte de libération", admet-elle. "Voilée, on peut aller là où l'on veut".

Le problème est donc posé. D'un côté, le burqa, protection contre le harcèlement sexuel, fait disparaître certaines restrictions dont souffrent les jeunes filles, de l'autre le salon de beauté, domaine de l'expression personnelle, de la liberté sans voile imposé. Douloureux dilemme pour une féministe ! Le maintien de l'ordre culturel est-il moins efficace quand c'est le consensus social qui l'impose, plutôt que les armes ? Quand les Brésiliennes meurent sur le billard pendant une opération de chirurgie esthétique, quand les adolescentes américaines s'affament volontairement, au risque de leur vie, afin de rester divinement minces, sont-elles les victimes de l'ordre culturel, ou bien est-ce là l'expression de leur "libre choix"? Si cette jeune fille cachemiri pouvait continuer de fréquenter les salons de beauté, serait-elle plus libre de "s'exprimer"?

Il y a quelque chose de particulier en ce moment de l'histoire, surtout dans une démocratie post-coloniale comme l'Inde ("post-colonial" se référant ici non seulement à l'"après-colonialisme", mais aussi au discours "oppositioniste" que le colonialisme suscite, le post-colonialisme naissant donc au moment du premier contact avec le colon). Face à la rhétorique moraliste de droite, répétée de façon implacable tout au long des années 1990, qui fait des femmes à leur corps défendant les dépositaires de la pureté culturelle, l'élite mondialisée a apporté une réponse critique, célébrant le "choix", la "liberté individuelle" et le "droit des femmes à disposer de leur corps". Ainsi, lorsque la droite a attaqué les concours de beauté et la célébration de la Saint-Valentin comme "occidentaux" et "moralement dépravés", les élites indiennes ont réaffirmé leur fierté en notre "modernité", en l'assurance dont font preuve "nos femmes" sur la scène internationale (plusieurs indiennes ayant été élues Miss Univers et Miss Monde ces dernières années).

Dans ce débat, la gauche semble être tombée dans le piège qui consiste à confondre "anti-mondialiste/anti-impérialiste" et "nationaliste", adoptant à cette occasion des positions semblables à celles de la droite. Deux Etats indiens ont récemment interdit les concours de beauté: celui de l'Uttar Pradesh, gouverné par le BJP, et le gouvernement communiste du Bengale occidental. Interdire ces concours n'est pas une solution, si ce que l'on critique est la "chosification" du corps de la femme, et si l'on veut souligner l'importance de la problématique du "choix" dans une société capitaliste et sexiste.

Dans ce contexte, le défi pour un féminisme politique est de définir un nouvel espace pour une politique radicale de la culture. Une politique se différenciant aussi bien des expressions du nationalisme culturel, de droite comme de gauche, que des réponses libertaires des élites consuméristes glorifiant "la mondialisation". Il s’agit de renouer avec une (tradition) critique de la "chosification" susceptible de prendre en compte les deux aspects du maintien de l'ordre culturel: d'un côté, la politique de coercition conservatrice; de l'autre côté, l'hégémonie du "monde occidental libre".


Pays : 
- Inde   

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