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Date :  2016-06-06
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Le retour de la solution jordanienne


L’initiative française de réunir une conférence internationale pour relancer les pourparlers directs entre Israéliens et Palestiniens, tournée vers une « solution à deux États », toujours plus évanescente, est l’enfant d’un phantasme rémanent. Mais après des décennies de négociations ratées, il est temps de commencer à penser comme des adultes.

Ni la société israélienne ni la société palestinienne ne sont prêtes au compromis. Bien au contraire. En Israël, le nationalisme de plus en plus marqué est devenu l’un des principaux obstacles à la négociation. L’accueil fait par le Premier ministre Benyamin Netanyahou aux éléments ultranationalistes ne permet pas d’imaginer qu’il formulera le type de propositions de paix soutenues par ses prédécesseurs Ehud Barak et Ehud Olmert. Quant à la Palestine, son gouvernement divisé sape toute possibilité de véritable négociation.

Au-delà même de la conjoncture, l’échec réitéré du processus de paix a des raisons plus profondes. Le rôle de l’histoire et de la religion dans le conflit, ainsi que l’exiguïté du territoire disputé par les parties, laisse peu de place à la conciliation.

Autre raison de fond : l’interlocuteur palestinien n’est pas un État mais un mouvement imprévisible, qui n’est pas institutionnellement structuré mais scindé entre des islamistes rêvant d’une nation arabe sans frontières et des nationalistes laïcs impuissants à faire prévaloir leurs vues, ayant par quatre fois (en 1937, en 1947, en 2000 et en 2008) refusé les propositions de création d’un État palestinien.

Israël, lorsqu’il a négocié avec les États arabes, s’est montré beaucoup plus ouvert qu’il ne l’a jamais été avec le Mouvement national palestinien. Au début des années 1990, le Premier ministre Yitzhak Rabin avait proposé au président syrien d’alors, Hafez El-Assad, un retour aux frontières de 1967, et il n’avait guère fallu plus qu’une réunion. En 1979, l’Égypte a recouvré l’intégralité des territoires conquis par Israël lors de la guerre des Six Jours en 1967.

Certes, Israël a lui aussi commencé par être un mouvement. Mais dès ses origines, ou presque, le projet sioniste était tendu vers le but commun de la construction d’un État-nation indépendant. Au cours des années qui ont conduit à la création de l’État d’Israël, à chaque moment décisif, les dirigeants ont privilégié le pragmatisme sur les options irréalistes.

Le nationalisme palestinien, en revanche, ne s’est jamais dévoué à la construction d’un État. Déshérité, il a poursuivi le rêve de la restitution, qu’entretenait la tragédie de l’expulsion. L’échec puis la démission, en 2013, du Premier ministre Salam Fayyad – dont l’intention affichée était de rivaliser avec le sionisme par la mise en œuvre d’une politique volontariste de construction d’un État – sont à cet égard révélateurs.

Mais il existe une autre option que la solution à deux États, et elle repose sur les considérations suivantes : la Cisjordanie pourrait réintégrer la Jordanie, qui deviendrait alors une sorte de confédération jordano-palestinienne. Dans son principe, cette option constitue un retour aux paramètres de la Conférence de la paix de Madrid, au cours de laquelle une délégation jordano-palestinienne représentait les intérêts palestiniens.

Dans un tel cas de figure, Israël tirerait avantage d’avoir obtenu pour interlocuteur un État rationnel porteur d’une tradition – qui va de pair avec ses intérêts – de négociation et de respect des accords passés. Cela devrait être suffisant pour inciter les dirigeants israéliens à considérer l’option et à se comporter avec moins de duplicité qu’ils ne l’ont fait lors des négociations directes avec les Palestiniens.

Israël n’ayant plus de raisons d’invoquer la faiblesse institutionnelle palestinienne pour justifier la poursuite de l’occupation en Cisjordanie, la Palestine pourrait en tirer profit. En outre Israël ne pourrait pas, comme il a tenté de le faire par le passé, annexer les zones stratégiques de la Cisjordanie et en rétrocéder le reste à la Jordanie ; il devrait au contraire revenir aux frontières de 1967, à quelques modifications négociées et quelques échanges de terre près.

Les Palestiniens semblent vouloir considérer des bénéfices qu’ils tireraient d’une telle réorientation. En 2013, selon une enquête réalisée par le Centre palestinien pour la recherche politique et les études d’opinion, 55% des Palestiniens soutenaient l’option jordanienne – une hausse de 10% par rapport à 2007.

Le plus sérieux obstacle est peut-être la Jordanie elle-même, qui n’est pas actuellement désireuse de s’impliquer. Son attitude ne changera que si elle est confrontée à une menace pour sa sécurité, provenant, par exemple, du débordement de l’instabilité palestinienne hors des limites de la Cisjordanie.

Paradoxalement, d’éventuels progrès de la solution à deux États constitueraient un risque potentiel pour la sécurité de la Jordanie. Le défunt roi Hussein craignait qu’un État palestinien indépendant ne se transforme en entité irrédentiste radicale, et la décision de renoncer aux revendications de la Jordanie sur la Cisjordanie, prise de son propre chef mais sous les pressions de la Ligue arabe, n’a jamais été ratifiée par le parlement, et continue d’être considérée par beaucoup comme anticonstitutionnelle.

La crainte de l’instabilité palestinienne a également conduit deux anciens Premiers ministres jordaniens, Abdel Salam Majali et Taher al-Masri, à plaider la cause d’une confédération jordano-palestinienne. Majali demeure un fervent partisan de cette solution, comme il l’a fait savoir lors d’un récent entretien à Amman avec le président palestinien Mahmoud Abbas. Son plan détaillé de 2007, élaboré sans aucun doute avec le consentement du roi Abdallah, était motivé par la perspective du chaos qu’aurait signifié la décision du gouvernement israélien de se retirer unilatéralement de la plus grande partie de la Cisjordanie afin de garantir la survie d’Israël en tant qu’État juif. Le gouvernement jordanien craignait qu’un tel chaos ne s’étende à la rive orientale du Jourdain et ne porte potentiellement un coup fatal au royaume hachémite.

La communauté internationale est une fois encore sur le point de s’engager dans un processus de paix destiné à créer un État palestinien indépendant, viable et rationnel, en Cisjordanie. Ce serait l’issue la plus juste. Elle est malheureusement fort improbable, ce qui fait d’une Confédération jordano-palestinienne le dernier espoir pour la Palestine d’accéder au statut d’État.

Traduction François Boisivon


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