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Date :  2005-08-29
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Famine au Niger : nous sommes tous responsables, par Kofi Annan


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Mardi 23 août, à Zinder, une des principales régions agricoles du Niger, j'ai rencontré une jeune femme de 23 ans du nom de Sueba. Pour obtenir des secours alimentaires, elle avait parcouru plus de 75 kilomètres avec, dans les bras, safille, Zulayden, âgée de deux ans. Sueba avait déjà perdu deux enfants, morts de faim, et celle qui lui restait ne pesait que 60 % du poids normal d'un enfant de son âge.

Elle craignait qu'au pis Zulayden ne survive pas, qu'au mieux l'enfant connaisse, toute sa vie, la faim et les privations qu'elle-même ne connaissait que trop bien. Avec dans les yeux un regard que je n'oublierai jamais, elle implorait le monde d'entendre son appel à l'aide, non seulement ce jour-là mais aussi dans les mois et les années à venir.

Le peuple et le gouvernement du Niger traversent une multitude d'épreuves redoutables, dont la faim, une sécheresse persistante, l'avancée de la désertification, des invasions de criquets pèlerins et des marchés régionaux en déconfiture.

Des organismes publics et des associations de la société civile se mobilisent pour venir en aide aux plus nécessiteux, en particulier les enfants. La détresse dont j'ai été témoin au Niger est profonde, mais certains signes montrent que le pays devrait être capable de surmonter cette crise, et de nous apprendre des choses à tous. Quoique tardivement, le reste du monde vole au secours du Niger. Mais le même spectre ­ celui d'une famine survenant dans un climat généralisé d'insécurité alimentaire ­ hante près de 20 millions de personnes dans d'autres régions du Sahel : dans le sud du Soudan, en Ethiopie, en Erythrée, en Somalie et en Afrique australe. Si nous agissons sans attendre, ce spectre pourra être conjuré.

Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), un Africain sur trois souffre de malnutrition. Chaque année, des centaines de milliers d'enfants africains, affaiblis par la malnutrition et la faim, connaissent une mort qui aurait pu être évitée.

Tant l'activité humaine que la nature entrent en jeu. Au Sahel, la désertification et la dégradation de l'environnement privent la population de terres cultivables et d'eau potable, la vouant à la famine. La médiocrité des performances des marchés régionaux fait que de nombreux ménages pauvres n'ont pas les moyens de s'alimenter. La sécheresse qui a suivi les invasions de criquets de l'an dernier a été un véritable désastre pour la population de cette région aride et fragilisée.

La pauvreté, annonciatrice de la faim, est l'éternelle toile de fond de cette détresse. Ce n'est pas un hasard si le Sahel occidental, terre d'élection de la faim, est une des régions les plus pauvres et les plus inaccessibles de la planète. Et la faim, à son tour, fait souvent le lit de l'instabilité sociale, des émigrations massives, de la maladie et de la violence. Homère l'a bien dit, il y a des siècles : "La faim est pleine d'insolence."

Nous devons chercher à régler le problème de la sécurité alimentaire à ses premiers stades, avant que la souffrance ne gagne du terrain et que secourir les plus vulnérables ne devienne une entreprise très coûteuse. S'il n'y a ni remède miracle ni solution unique à la disette, il y a tout de même beaucoup de choses à faire.

Premièrement, il nous faut mieux analyser le système de l'alerte rapide. Dans les premiers temps, au Niger, la communauté internationale n'a pas su faire la différence entre une situation classique ­ un pays pauvre qui se débat pour subvenir aux besoins de sa population ­ à une véritable situation d'urgence. Certains des remèdes préconisés n'étaient donc pas ceux que dictaient des circonstances devenues dramatiques.

Deuxièmement, il faut que suffisamment de fonds soient disponibles à l'avance pour que les gouvernements, les organismes de l'ONU et les organisations non gouvernementales (ONG) puissent se préparer à intervenir et déployer plus rapidement du personnel.

Une des principales réformes que je souhaite voir examinée au sommet mondial, qui se tiendra le mois prochain, consisterait à décupler les réserves disponibles dans le Fonds de secours des Nations Unies pour que ses organismes d'aide puissent lancer rapidement des opérations de secours.

Troisièmement, nous devons privilégier la prévention. L'allégement de la dette, l'accroissement de l'aide et des réformes des régimes commerciaux régionaux et internationaux allant dans un sens favorable aux pauvres sont autant d'éléments propres à favoriser le développement de la production agricole locale. En développant l'agriculture irriguée, on pourrait également réduire la dépendance à l'égard de pluies irrégulières et améliorer la production alimentaire.

De manière générale, il est grand temps d'exploiter les progrès scientifiques et l'expérience acquise, en Asie et ailleurs, afin d'amorcer une révolution verte en Afrique. On le sait, prévenir revient moins cher que guérir.

Mais lorsqu'il est trop tard, lorsqu'une crise s'est déjà déclarée, il ne peut plus être question de subordonner l'octroi de l'aide d'urgence qui permettra de sauver des vies à un quelconque objectif d'autonomie pour l'avenir. C'est aux êtres humains, et non aux grands principes, qu'il faut penser d'abord.

Quatrièmement, nous devons consolider les structures de la région et exploiter ses points forts. La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) se montre de plus en plus apte à faire face aux problèmes humanitaires et aux menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité dans la région.

Kofi Annan est secrétaire général de l'Organisation des Nations unies.

Le Nouveau partenariat pour ledéveloppement de l'Afrique (Nepad) gagne en importance comme cadre de coopération entre les pays africains et les donateurs bilatéraux et multilatéraux. Tous deux méritent de bénéficier d'un soutien international accru.

Cinquièmement, chacun doit accepter sa part de responsabilité, au lieu de rejeter la faute sur autrui.

Tous les intéressés ­ gouvernements de la région, donateurs, institutions financières internationales et organismes d'aide ­ ont une part de responsabilité dans la crise. Nous avons tous mis trop de temps à réagir, à comprendre la situation, à déployer du personnel, à dégager des ressources.

Le défi que nous devons collectivement relever à ce stade est d'éviter que des populations ne souffrent inutilement, de nous doter des moyens de réagir plus vite et de renforcer les mécanismes d'adaptation et de survie des populations locales, pour que les problèmes de sécurité alimentaire soient abordés comme un continuum, de façon globale et à long terme. Le Sahel ne pourra se développer, prospérer ou être véritablement libre tant que ses habitants auront le ventre creux.

Ni Sueba, ni Zulayden, ni des millions d'autres Sahéliens ne seront vraiment libres tant que la pauvreté continuera d'ébrécher leur dignité d'êtres humains. Pour eux et pour les générations futures, nous devons, sans plus attendre, mettre fin à la calamité qu'est la faim en Afrique.

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Kofi Annan est secrétaire général de l'Organisation des Nations unies.


Pays : 
- Niger   

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