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Date :  2001-10-01
langue :  Français
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Iles

Iles

Source :  Khal Torabully


L’île est souvent représentée comme coupée du monde. Mais sa pensée est un archipel. Car elle est mise en relation, en connexion, avec l’autre et le monde. Le continent a souvent ou toujours crée un flux d’échanges de type unilatéral, voire monosémique, avec l’île, car par la force de l’histoire, c’est le continent qui découvre l’île. C’est-à-dire, lui impose son discours. L’île est vassale du continent. Certains, comme pour vaincre ce charme, ont affirmé que l’île est l’âme sœur du continent, son double ou son prolongement, en quelque sorte. Certainement, vue par l’insulaire, la «mondialisation» est avant tout mise en connexion, visant à créer un réseau pour des échanges, d’abord, il est vrai, de biens marchands. Car nul n’est dupe : la «mondialisation», dans sa version ultra-libérale utilise le discours pour créer l’utopie d’une utopie, afin de mieux la vider de sa substance et en faire une courroie de transmission de valeurs marchandes.

L’île, dans ses prises de parole les plus marquantes (je pense à Derek Walcott, Caryl Philips, Edouard Glissant…), bat en brèche le discours des grands centres continentaux, vivant en marge des cités décisionnaires du nouvel ordre mondial. C’est l’acte suprême de sa présence au monde, de son identité. L’île, par ce penchant intuitif qui résulte de sa relation avec le monde et les êtres, est un habitacle de la parole, celle qui vicie le discours, et le vivifie aussi.

Dans la pensée archipélique, ce qui est à l’œuvre, c’est la surprise même de la rencontre, de la mise en relation. Il n’y a pas de sens qui appauvrit ou organise la mise en contact de deux réalités, de deux espaces, même si une batterie d’experts et de technocrates insulaires relayent le réseau chez eux. L’accent est mis ici sur le processus même de la relation, avec des formes et des créations inimaginables. La parole est à l’œuvre ici, en ce qu’elle a de non maîtrisable et de plus riche dans la mise en connexion. Il est vrai que ce paradigme compte moins dans l’échange commercial réglementé, monétarisé, pour occulter autant que possible l’imprévisible. Mais il est opérant quand le mercantile se fissure sous la poussée de fièvre de consommateurs et producteurs qui prônent une citoyenneté mondiale en opposition avec le commerce organisé par les puissances dominantes, dont le danger premier est la standardisation des goûts et des habitudes.

C’est dire qu’ici pointe un militantisme de l’«irraisonné», de la variété de produits, de l’intuitif comme gage d’une individualité qui résiste au danger de l’homogénéisation de l’humain, vidé de plus en plus de son identité, devenant chaque jour carte génétique ou génome...

C’est ici que l’archipel, avec son foisonnement de différences mises en présence, mises en réseau, se montre capable de fomenter de nouvelles créations fondées sur les particularismes de tout genre. La «nouvelle citoyenneté» sera archipélisée, en ce sens. Ce qui est formidable avec l’archipélisation, c’est que ces particularismes, au lieu de s’opposer, se liguent entre eux pour créer une «mondialisation» de la «non-mondialisation». En même temps, bien qu’ouverture, elle conserve un degré d’isolement, de réfraction, de mystère, ce qui l’éloigne de la modélisation, le véritable virus de «la mondialisation».

Les insulaires sont, par leur positionnement dans la pensée, dans l’Histoire, les correcteurs du monosémisme, car leur prise de parole doit, à un moment ou un autre, se définir vis-à-vis du langage et d’une idéologie ambiante fermement rattachée à une mise en perspective avec les centres raisonnants des continents. Creuset de la variété, des différences, discours que l’on prenait pour subversif, il y a peu de temps, discours repris par toutes les minorités (y compris certaines puissances tutélaires mises à mal par le géant américain), où les particularismes font partie d’un étendard, «l’exception française», elle-même devenue l’un des fers de lance de toutes les exceptions.

Avec «la mondialisation», le continent avide de protéger ses saveurs, se découvre-t-elle enfin l’âme sœur de l’île?



(Le présent article est issu d'une étude longue du même auteur, que vous trouverez à l'adresse suivante : Iles et Mondialisation)


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