Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de répondre à l’invitation qui m’a été adressée. En effet, je fête aujourd’hui le centième jour de mon mandat de Commissaire européen en charge de la coopération au développement et l’aide humanitaire.
L’heure est donc aux premières analyses. Mais aussi aux perspectives.
Cette invitation me permet de saluer l’initiative des organisateurs de la campagne interuniversitaire d’éducation au développement, « Campus Plein Sud ». Je les en félicite.
Je voudrais aussi les remercier de me donner l’occasion de m’exprimer sur la politique de développement de l’Union européenne, et cela devant une telle assemblée. Je suis conscient que celle-ci réunit des spécialistes du développement. Vous comptez donc parmi nos agents multiplicateurs privilégiés. Je compte sur vous pour engager un véritable débat avec moi. Mais aussi pour porter ce débat partout où vous le pourrez.
Ceci a d’autant plus de signification que nous entrons dans une année où nous serons tous amenés à expliquer une fois de plus l’Europe au citoyen, à l’occasion de la ratification de la Constitution européenne.
Je tiens aussi à rappeler que l’année 2005 est l’année du développement.
Pourquoi ? Parce que les résultats des rapports du Secrétaire Général de l’ONU, Kofi Annan, et celui du professeur Sachs sur la réalisation des Objectifs du Millénaire sont peu encourageants, surtout pour l’Afrique subsaharienne. Nous sommes toujours confronté à un désastre humain :
* plus d’1 milliard d’hommes et de femmes vivent avec moins d’1 dollar par jour ;
* plus de 6 millions d’enfants âgés de moins de 5 ans meurent chaque année de maladies comme la diarrhée, la malaria, la pneumonie ;
* plus de 100 millions d’enfants ne vont pas à l’école primaire ;
* presque 600 millions de femmes sont illettrées.
Pourtant, la communauté internationale a mis ces enjeux à l’ordre du jour :
* en juillet, le G8 se réunira en Angleterre ; il mettra l’Afrique en haut de l’agenda ;
* en septembre se tiendra la grande conférence des Nations Unies sur les Objectifs du Millénaire ;
* en décembre, à Hong Kong, le débat continuera dans le cadre du « Doha Development Agenda ».
L’Europe sera présente au cœur de toutes ces initiatives. Nous nous sommes déjà mis au travail :
Nous avons préparé notre rapport sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement pour la période 2000-2004, ainsi que les Etats Membres. Nous devons maintenant préparer un rapport de synthèse, prévu pour avril 2005.
Le Conseil a approuvé nos suggestions. Il nous a invité à préparer des propositions spécifiques et ambitieuses sur trois lignes d'action en vue des objectifs pour 2015: (1) le financement, (2) la cohérence des politiques, (3) l'Afrique.
* Au niveau du financement, nous voulons discuter du volume de l’Aide Publique au Développement, avec de nouveaux objectifs intermédiaires pour la période au delà de 2006. Nous voulons également évaluer l'efficacité de l'aide, et la rendre plus prévisible et plus stable. Nous voulons considérer de nouvelles formes de taxation et de financement.
Enfin, nous voulons considérer de nouvelles options pour répondre au problème de la dette (à la fois au sein de l'initiative PPTE, et au-delà).
* Dans le contexte de la cohérence des politiques, le rapport de la Communauté mentionne une longue liste de priorités. Je me limiterai à en mentionner quelques-unes. Nous voulons arriver à un résultat des négociations commerciales (tant au niveau bilatéral que multilatéral) qui soit favorable au développement et qui soit soutenable. Nous nous sommes engagés à diminuer le niveau des distorsions commerciales liées aux mesures de soutien de l’UE au secteur agricole (dans le contexte de l'exécution des réformes de la PAC). Nous voulons exploiter les synergies entre migration et développement, notamment au niveau des transferts de fonds, d’un retour des cerveaux dans leur pays d’origine, d’une migration temporaire de la main d’œuvre. Nous voulons faire des phénomènes de migrations un facteur positif pour le développement.
* Nous réfléchissons aussi, dans le cadre de l’événement majeur de la Session des Nations unies en 2005, à une stratégie structurée pour l'Afrique. Une telle initiative aura une dimension politique, financière et commerciale. Ce ne sera pas, une fois de plus, un « grand projet de la communauté des bailleurs ». Mais cette initiative sera développée en étroite collaboration avec l'Union africaine.
Nous avons donc un plan de travail important devant nous. Celui-ci n’entend pas seulement faire de l’Union européenne le plus grand donateur en aide publique au monde. Il doit aussi nous mettre à l’avant-garde politique de cette année du développement.
En novembre 2000, la Commission a défini un cadre politique important pour sa politique de développement. Il est aujourd’hui indispensable de le revoir, en raison des changements profonds intervenus sur la scène internationale.
Je suis donc occupé à mettre au point un nouveau cadre général pour la politique de développement. J’y associe, outre la Commission et le Parlement, la société civile au sens large et les pays partenaires. Deux séminaires ont ainsi réuni des personnalités éminentes du développement. Les ONG ont été associées à ce travail au travers de rencontres, à Madrid, Lisbonne, Londres et Prague.
J’ai également lancé une très large consultation sur Internet jusqu’au 9 mars.
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais donner à voir l’ampleur du défi qui nous attend, en évoquant les données d’un sondage de l’Eurobaromètre réalisé conjointement avec l’OCDE. Celui-ci indique la large méconnaissance des citoyens de ce que l'Europe fait en matière de développement. Beaucoup ignorent même que nous sommes le premier donateur mondial d'aide.
Voilà l’enjeu d’information et de communication auquel nous sommes confrontés en 2005: l’Union apporte 55% de l’aide publique au développement pour les Objectifs du Millénaire qui sont aussi nos objectifs. Mais une grande partie des citoyens l’ignore.
Comment mieux informer à propos de la politique européenne de développement ? En expliquant pourquoi il est essentiel pour l’Europe d’avoir une politique d’aide extérieure, dans un premier temps. Et en expliquant, ensuite , comment nous aidons les populations, quels sont les concepts qui guident notre action.
Tout d’abord, nous devons nous souvenir qu’aujourd’hui, les conflits, l’insécurité, l’émergence du terrorisme international nous concernent tous. Il y va de notre propre intérêt de faire face à ces problèmes.
Tout d’abord, nous devons nous souvenir qu’aujourd’hui, les conflits, l’insécurité, l’émergence du terrorisme international nous concernent tous. Il y va de notre propre intérêt de faire face à ces problèmes.
Ainsi, de nombreux programmes de développement, quand ils s’attaquent à l’exclusion sociale, quand ils encouragent la bonne gouvernance, quand ils permettent aux infrastructures d’être opérationnelles , contribuent de manière déterminante à prévenir la montée des réseaux terroristes, qui, autrement, tirent parti de la précarité des populations.
Les risques d’une mondialisation mal maîtrisée constituent également un autre défi qu’une politique d’aide extérieure peut aider à relever.
Parce que nous n’avons pas été capables de mettre en place une véritable gouvernance mondiale, la mondialisation a eu un effet d’accélérateur des inégalités dans de nombreuses parties du monde.
Il est aujourd’hui de notre devoir – mais aussi de notre intérêt – de tout faire pour réduire ces inégalités qui sont vécues comme autant d’injustices.
La coopération au développement représente, de mon point de vue, l’instrument le plus pertinent et le plus efficace pour faire face à ces menaces.
L’accord de Cotonou qui nous lie aux 77 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique fournit un cadre exemplaire à ce propos, puisqu’il encourage une approche intégrée. Celle-ci situe bien les politiques de paix et de gestion des situations de crise et d’après-crise dans une optique et une stratégie de développement.
Les négociations ministérielles sur la révision de cet accord ont été conclues avec un succès que je qualifierais presque d’inattendu mercredi dernier. Elles ont permis d’assurer le financement durable de notre coopération avec les pays ACP, et d’inclure des aspects importants en termes de sécurité, de non-prolifération et de coopération avec la Cour pénale internationale.
Il me reste encore à préciser comment j’entends mener une politique de développement crédible et efficace. Je voudrais mentionner la nécessité de respecter certains principes. Parmi ceux-ci, celui de l’appropriation. Nous devons faire de nos partenaires les acteurs de leur propre développement. Pour cela, nous devons associer la population civile locale au dialogue sur le politique et les priorités de la coopération, qu’il s’agisse des autorités locales, des ONG, des partenaires sociaux ou du secteur privé.
Un deuxième vecteur de l’appropriation est, de mon point de vue, l’aide budgétaire. Si nous voulons permettre pleinement aux pays partenaires de devenir les acteurs de leur propre développement, il faut cesser de dévaloriser leur système étatique. Celui-ci doit rester le partenaire principal de la Commission dans sa politique de développement.
Il me paraît encore très important de faire progresser l’Union européenne sur la voie de la coordination. Nous devons mettre davantage en commun nos politiques au sein des enceintes internationales, et unifier les règles qui définissent les politiques de coopération des différents Etats-Membres.
L’Union doit encore veiller à un effort de transparence, mais aussi de cohérence entre ses différentes politiques. Il est important que des mesures prises dans un domaine (commercial ou environnemental par exemple), ne soient pas en contradiction avec l’objectif du développement.
Mesdames et Messieurs,
Je m’inscris totalement dans la démarche des organisateurs de cette conférence. Je ne ménagerai pas mes efforts pour aider à re-populariser la politique de coopération au développement, notamment auprès des jeunes, et à mobiliser davantage les citoyens.
J’entends rappeler que l’aide de l’Europe est non seulement la plus importante dans le monde, mais qu’elle est aussi l’une des plus efficaces. Que l’argent du contribuable européen est correctement utilisé pour répondre aux drames humains qui affectent la planète.
La politique européenne de coopération au développement constitue l’une des projections les plus concrètes, et les plus ambitieuses, de l’Union.
C’est dans la concrétisation d’une telle démarche que l’Europe marque son identité et promeut ses valeurs.
Les Européens ne s’y trompent d’ailleurs pas. C’est ce qu’indique d’ailleurs un résultat du sondage de l’Eurobaromètre sur la politique de développement: en 2002, plus de 80% des Européens pensaient qu’il est important pour l’Union de soutenir les pays en voie de développement.
La coopération au développement est une des plus belles expressions de l’Union européenne, car elle est porteuse de nos valeurs fondatrices : la solidarité, l’engagement personnel, l’égalité et le respect de la personne humaine.
Je vous remercie.