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Date :  2001-07-19
langue :  Français
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OSCI

OSCI


Chacun en est aujourd’hui conscient: l’enjeu du G8 de Gênes s’est déplacé, malgré ses grands dignitaires, leurs efforts et leurs dénégations. Sur les tablettes mêmes où était écrit un agenda normatif, sur ce texte soudain raturé, un nouveau «programme» est apparu, dissimulant l’ancien.

Le palimpseste de Gênes est devenu, pour les dirigeants du Premier monde, un enjeu que l’on peut ainsi résumer: – comment faire avec «la société civile» (ce concept introuvable)? Comment ne pas se laisser submerger par son flux? Comment en maîtriser la fièvre sans susciter en retour de terribles accès de violence?

En vérité, on ne peut rien comprendre à l’importance prise en quelques années par «la société civile» dans les relations internationales et l’ensemble du débat politique, si on ne la corrèle pas avec celle de la crise de «la démocratie représentative» dans les Etats-nations. Les ONG, les «mouvements alternatifs», les «forums (de) citoyens» ne sont pas seulement, en effet, une expression de «la modernité», la conséquence des moyens originaux d’information et de communication qu’elle a domestiqués. Ils ne sont pas ces enfants des «nouvelles technologies», et de l’Internet en particulier, que certains souhaitent voir en eux pour se rassurer.

Plus fondamentalement, ces figures de la société civile naissent, croissent et se multiplient pour stigmatiser et pallier les insuffisances d’une démocratie qui ne progresse pas assez vite aux yeux des citoyens, et au sein de laquelle la persistance des pratiques oligarchiques d’exercice du pouvoir devient chaque jour plus inacceptable à leurs yeux.

Inutile d’invoquer, comme le Premier ministre canadien à Québec en avril dernier, la légitimité conférée par le vote aux gouvernants pour disqualifier celle d’ONG qui «ne représenteraient qu’elles-mêmes», si l’on ne gouverne pas, de fait, d’une manière ouverte à la contradiction, à la proposition, enfin: à la délibération menée dans un cadre de liberté et d’équité – critères de toute véritable démocratie depuis Périclès. Sauf à renoncer à la prétendue «clause démocratique» que M. Chrétien invoque comme clé de Saint Pierre de la «Zléa» – comme condition d’accès au Paradis du libre-échange des biens, des services… à défaut d’être celui des idées?

Le vote démocratique et majoritaire d’un jour ne donne pas aux gouvernements des démocraties auto-satisfaites quitus par avance d’une gestion qu’il leur reste toujours à adapter aux nouvelles exigences qu’elles rencontrent et à justifier devant ceux qui l’ont concédée. Il n’exonère pas d’une pratique démocratique au quotidien dans l’exercice effectif du pouvoir ultérieur à l’élection. Une pratique démocratique qui, non seulement s’efforce de prendre en compte la diversité des opinions qu’elle doit représenter, mais encore se doit d’être attentive à l’évolution de ces opinions, qu’elle ne peut prétendre figer par commodité.

Plus loin, le débat sur la légitimité de la société civile et de ses organisations à intervenir dans les processus politiques nationaux et transnationaux (G7, 8, 20, Banque Mondiale, FMI, OMC… ) est un combat d’arrière-garde.

En réalité, tout prouve aujourd’hui que l’on ne peut laisser aux dirigeants élus l’exclusivité de la décision politique. Ne serait-ce que parce de fait les dirigeants non élus d’organismes multilatéraux prennent de nombreuses décisions politiques essentielles motivées par des critères politiques.

Quant aux «élus démocratiques», l’invalidation du Protocole de Kyoto par le président Bush et la mollesse de la réaction que ce rejet a suscité chez ses pairs–au-delà des cris d’orfraie, et en dépit de la gravité exceptionnelle de l’affaire–, manifestent que l’on ne peut accorder qu’un mandat limité à des responsables de plus en plus souvent dépassés par «l’ampleur et la complexité de leurs missions» (excuse invoquée par eux-mêmes), quand ils ne se révèlent pas irresponsables.

C’est pourquoi la question de la légitimité se dissipe au profit de celle des modalités du dialogue que devraient entretenir acteurs politiques et administratifs traditionnels, d’une part; acteurs politiques et «civils» non normatifs, d’autre part. Et de celle du partage, de «l’équilibre des pouvoirs» qu’il s’agit de forger pour régler leurs relations, en vue de l’élaboration du monde en devenir.
La question n’est plus de savoir si les acteurs de la société civile doivent jouer un rôle politique éminent, mais comment, et selon quels droits et devoirs.

Dans cette perspective, j’avance une proposition, aussi simple dans son principe que complexe dans sa mise en œuvre – proposition qui se heurte bien s ûr à de nombreuses objections, mais dont l’heure me semble être venue, et qui devrait être examinée, sinon promue, avec tout le volontarisme nécessaire.

Cette proposition est de procéder le plus tôt possible à la création d’une Organisation de la Société Civile Internationale.

Cette «OSCI» aurait au moins trois vocations.

La première, de recueillir et de traiter la somme exceptionnelle de travaux menés en permanence par les différents types d’acteurs (indépendants ou institutions) de «la société civile» : tout d’abord, leurs analyses critiques, leur s études qualitatives et quantitatives, ainsi que leurs propositions.

La deuxième serait de rendre accessible ces contributions de diverse nature auprès du plus grand nombre de citoyens, et, en particulier, de les faire connaître des responsables politiques, économiques, sociaux, éducatifs, scientifiques et culturels.

La troisième serait de discuter et négocier directement sur toutes les grandes questions engageant le devenir de l ’humanité (politiques de l’environnement, de l’énergie, de la santé, de l’éducation, organisation du commerce international, diversité culturelle, droits de propriété intellectuelle, contrôle de la spéculation financière, des ventes d’armes, du crime organisé…), d’une part, avec les gouvernements, d’autre part, avec les organismes multilatéraux (aussi bien l’OMC, l’OMPI, le FMI, l’UE que le gouvernement américain), et avec un pouvoir de saisine, voire de contrainte, à définir.

Cette institution pourrait, le cas échéant, être «rattachée» au «Système des Nations Unies», rattachement à concrétiser soit sous la forme d’un simple «partenariat structurel», soit sous celle d’une véritable intégration, si cette intégration recevait l’aval de ses fondateurs. Son financement serait assuré par les Etats membres de l’ONU, selon une règle de contribution qui pourrait être proportionnelle au PNB global ajusté du PNB par habitant. Des fondations seraient autorisées à participer à ce financement, dans des conditions ne leur permettant pas d’en retirer des avantages particuliers.

La représentativité de l’OSCI devrait être reconnue par tous les Etats membres et institutions du système des Nations Unies, ainsi que les autres institutions multilatérales régionales. Cette représentativité lui donnerait, dans le cadre de l’exécution de ses missions, tous pouvoirs d’investigation et de diffusion de ses travaux. Par ailleurs, l’OSCI serait conviée par l’ONU, les autres institutions multilatérales, les gouvernements, l’UE, à participer aux travaux relevant du champ de ses missions.

Certains diront que cette OSCI ne pourrait être, au mieux, qu’une façon assez perverse «d’instrumentaliser la société civile», en la rapatriant dans le cercle du débat et des processus de décision normatifs existants, avec ce qu’ils ont de sclérosant (au moins sur les plans de l’analyse et de la créativité) et d’oligarchique. C’est clairement un risque, que l’on ne saurait ignorer. Pour autant, la meilleure façon de répondre à pareille objection serait de concevoir pour l’OSCI une charte qui lui attribue des missions, des règles de fonctionnement, des moyens et des objectifs préservant de la réalisation d’un tel risque.

Il me semble que les ONG disposent d’un capital collectif d’expérience et de mémoire des dysfonctionnements du «système international» suffisamment considérable pour parer à leur reproduction à l’identique au sein d’une organisation qu’elles contribueraient à créer.

En toute hypothèse, les modalités présentes du «débat» gouvernements-société civile sur la scène internationale ne sont plus soutenables, même à court terme.
Il devient urgent de changer de perspective, de moyens de communication et d’échange, enfin: de rapports politiques. J’invite tous ceux que cette idée intéresse à participer à son élaboration critique.


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