9 MARS 2004 | GENEVE -- Pour la première fois, les rédacteurs en chef des principales revues médicales se joignent à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour favoriser la publication de travaux de recherche plus nombreux sur la santé mentale issus de pays en développement. Actuellement, l’écrasante majorité des études concernant la santé mentale publiées dans les principales revues provient de pays développés, la part provenant des pays en développement ou les concernant atteignant à peine 2 %.
Afin de modifier cette tendance, l’OMS et 42 rédacteurs en chef de grandes revues de santé publique et de santé mentale comme le British Journal of Psychiatry, Acta Psychiatrica Scandinavica, le British Medical Journal, the Lancet et d’autres ont adopté une déclaration commune visant à réduire les importants obstacles qui entravent la publication de travaux de recherche sur la santé mentale provenant de pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire.
Comme l’a souligné le Dr Benedetto Saraceno, Directeur chargé de la Santé mentale et toxicomanies à l’OMS, «Très peu de travaux de recherche concernant les pays à revenu intermédiaire ou à faible revenu, ou provenant de ces pays trouvent un écho dans les revues et il s’agit de changer cette situation. Les revues scientifiques peuvent jouer un rôle fondamental en encourageant la production et la diffusion des résultats de la recherche. La recherche sur la santé mentale dans ces pays doit être encouragée pour mieux informer les gouvernements et mieux les aider à planifier les différents aspects des soins.»
La publication d’études sur la santé mentale se heurte à d’importants obstacles. Les chercheurs de pays en développement sont souvent incapables de satisfaire aux exigences des revues parce qu’ils ont un accès limité à l’information, n’ont pas reçu les conseils nécessaires sur la conception des travaux de recherche et les statistiques, ont du mal à rédiger dans une langue qui n’est pas la leur et doivent faire face à toute une série de contraintes matérielles, financières, politiques ou concernant l’infrastructure. Ils travaillent généralement dans des centres de recherche ou des universités qui ne sont pas considérées comme assez prestigieuses pour retenir l’attention des comités de rédaction des grandes revues. De ce fait, la plus grande partie des travaux de recherche des pays en développement sont publiés dans des revues qui ne jouissent pas d’une large diffusion et ne figurent pas dans les bases de données internationales.
Pour Kamran Abbasi, rédacteur en chef adjoint du British Medical Journal, «Les revues ont un rôle important à jouer pour développer la capacité de recherche des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, notamment dans un domaine négligé comme la santé mentale. En ne tenant pas compte des travaux de ces pays ou en ne les publiant pas, les revues ne reconnaissent pas la réalité démographique, la charge de morbidité et les problèmes économiques à long terme du monde de plus en plus interdépendant dans lequel nous vivons. Par ailleurs l’information ne doit pas se faire à sens unique : les scientifiques et les médecins des pays riches ont eux aussi beaucoup à apprendre de leurs homologues des pays plus pauvres.»
Les rédacteurs en chef et des responsables techniques de l’OMS ont mis au point un ensemble d’idées pour orienter les actions de suivi des différentes revues en faveur de la publication d’études de recherche sur la santé mentale de pays en développement. On a notamment proposé que les revues internationales aident les chercheurs de pays en développement à améliorer leurs textes au moyen d’une évaluation rapide et de recommandations détaillées concernant la révision afin que les articles puissent être directement publiés. Une formation à la méthodologie de recherche et à la rédaction scientifique est également nécessaire. Les efforts pourraient prendre différentes formes : encadrement, encouragement personnel, cours de formation, collaboration à la recherche. Un meilleur accès aux publications de recherche sur la santé mentale contribue à renforcer les capacités.
Comme l’a souligné Laragh Gollogly, rédacteur en chef de the Lancet, «Il y a là un véritable mouvement pour amener les rédacteurs en chef à aborder le problème de la représentation inéquitable de la charge de morbidité mentale mondiale dans les différentes revues. Avec quelques efforts et beaucoup de bonne volonté, ces recommandations devraient permettre d’arriver à une représentation équilibrée – c’est d’ailleurs un problème qui concerne tous les domaines de la médecine.»
L’importance de l’accès en ligne comme technologie économique a également été soulignée, car il faut peu de moyens supplémentaires pour assurer l’accès à des nouveaux utilisateurs à part le coût initial de la mise des documents sur un site web. Beaucoup de revues offrent l’accès gratuit à de nombreuses catégories de ressources électroniques dans le cadre de l’interréseau-santé, initiative d’accès aux recherches dirigée par l’OMS (HINARI), qui permet aux institutions de pays en développement d’avoir un accès électronique à des milliers de revues gratuitement ou pour un prix modique.
Selon le Professeur Robin Emsley, responsable scientifique du South African Journal of Psychiatry, «La recherche en santé mentale dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire n’est pas un luxe ; il s’agit d’une composante nécessaire d’un service de santé mentale efficace qui doit être appuyée à la fois au niveau local et au niveau international.»
Pour sa part, le Dr Catherine Le Galès-Camus, Sous-Directeur général de l’OMS chargée des maladies non transmissibles et de la santé mentale a déclaré : «Le renforcement des revues dans les pays en développement commence avec la reconnaissance du rôle qu’elles doivent jouer pour renforcer la base des connaissances en santé mentale et en tant que partenaires au sein de la communauté internationale des chercheurs. Il faut apporter un soutien pour améliorer le niveau du travail de rédaction, celui de l’examen par les comités de lecture et celui de la gestion générale des revues, car les compétences et une expérience suffisantes font parfois défaut. La charge de morbidité mentale touche en grande partie les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Le partage des connaissances et de l’information au niveau mondial permettra de renforcer notre capacité de répondre au problème.»