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Date :  2003-08-28
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Remarques à propos de « la protection de la diversité culturelle »

Source :  Bernard Grelon


La question de « la protection de la diversité culturelle » a déjà été longuement traitée dans de nombreux travaux : travaux de l’Unesco, du réseau international sur la diversité culturelle ou du réseau international sur la politique culturelle, travaux d’universitaires notamment canadiens, en particulier les travaux d’Ivan Bernier, et ceux de Hélène Ruiz-Fabbri qui est professeur à l’Université Paris 1. Je voudrais simplement reposer les termes du débat juridique, tout en ayant parfaitement conscience que ce n’est pas par le droit que l’on résoudra l’ensemble des problèmes. Cependant le droit peut dans un certain nombre de cas avoir un effet de contrainte, de limitation, de régulation.

Lorsque l’on parle de l’instrument juridique sur la diversité culturelle il est nécessaire de commencer par définir précisément ce dont on parle. Le premier obstacle, la première ambiguïté vient du mot "culture". Ce mot a, globalement et de manière très schématique, deux sens. Dans un sens esthétique assez limité, il s’agit de l’ensemble des activités sensibles et intellectuelles qui se référent à la recherche du beau, ou à la recherche de la finalité du monde. Mais il est aussi utilisé dans un sens beaucoup plus large, anthropologique pour nommer un ensemble d’habitudes, de modes de vie, de techniques, de savoirs, de croyances. Généralement, lorsque l’on parle de diversité culturelle, on retient le sens anthropologique, c’est-à-dire l’ensemble des représentations qu’une société élabore sur elle-même et donne à voir aux autres, et qui se manifestent par son particularisme.

La deuxième difficulté vient du terme “diversité”. Ce terme est également ambigu, non seulement parce qu’il indique une certaine pluralité, mais surtout parce qu’il peut désigner aussi bien la diversité entre des sociétés différentes que celle qui traverse une même société. La question de la diversité culturelle se pose, par exemple, au sein d’une nation comme la France. Faut-il une politique d’homogénéisation de la culture, des processus culturels, ou au contraire respecter l’ensemble de tous les particularismes ? C’est un débat permanent, récurrent, lié à la conception que l’on se fait de la société et qui pose la question du mode de relation des sociétés entre elles.

Par ailleurs, cette diversité culturelle est avant tout un fait, une situation observable. Or, la question qui est posée à travers la déclaration universelle de l’UNESCO, c’est-à-dire la reconnaissance de droits culturels par la création d’un instrument juridique, c’est le passage de ce fait observable – et dont on craint la disparition – à une valeur. Une valeur à la fois sociale, morale, et historique, mais aussi – et c’est en ce sens que la Déclaration universelle de l’UNESCO dépasse le cadre du symbole : juridique. La Déclaration transforme “ce qui est” en “ce qui doit être”, dans un système de conception morale et de plus juridiquement contraignant.

La difficulté, dans ce passage du fait au droit, réside dans le fait que les règles de droit doivent être précises et font naître des obligations entre débiteurs et créanciers. Or, il y a également ambiguïté sur ces destinataires. Le premier d’entre eux est le marché, c’est-à-dire la confrontation de la norme juridique à venir avec le phénomène, lui aussi encadré, d’une libéralisation des activités économiques et d’une homogénéisation de leurs conditions d’exercice, à travers notamment la « clause de la nation la plus favorisée » et la règle du traitement national.

Un certain nombre d’activités culturelles, pour ne pas dire la plupart, participent de l’activité économique et c’est particulièrement vrai pour l’audiovisuel, le cinéma, les activités liées à Internet. Toutes ces activités risquent de s’inscrire dans ce processus de constitution d’un marché mondial cohérent, objectif affiché des accords négociés dans le cadre de l’OMC, notamment l’AGCS, l’accord sur les services. Ne faudrait-t-il pas exclure purement et simplement les activités culturelles de ce système de régulation économique et obtenir une déclaration posant en principe que le droit de l’OMC, c’est-à-dire le droit du libéralisme mondialisé ne devrait pas s’appliquer aux activités culturelles ? Malheureusement, sur cette question, l’échec a été complet. Il n’a jamais été possible d’obtenir une référence aux particularismes des activités culturelles dans le préambule d’un accord, et encore moins l’insertion de l’exception culturelle dans le corps même des accords. Pour l’heure, l’OMC constitue donc une menace potentielle, car même si les services n’ont pas été libéralisés, il existe de fortes pressions directes ou indirectes (notamment par le biais d’accords bilatéraux) en ce sens.

Ainsi, faute de pouvoir infléchir la politique de l’OMC, il a été décidé d’élaborer un instrument juridique de reconnaissance de la diversité culturelle dans une autre enceinte, en l’occurrence l’UNESCO. Cette convention serait un véritable corpus de règles, voire un code de conduite, destiné à guider les Etats dans la mise en œuvre d’une politique culturelle, à leur indiquer ce qu’ils peuvent faire, mais également ce qu’ils doivent faire. Cet aspect est également ambigu, car si une convention internationale sur la diversité culturelle signifie la reconnaissance d’une certaine autonomie de l’Etat dans l’élaboration de sa politique culturelle (protection des artistes, des œuvres,...), elle peut aussi être amenée à imposer une certaine conduite à l’Etat. Les deux projets actuels de convention, le premier élaboré par le réseau international sur la diversité culturelle, le second par le réseau international sur la politique culturelle, divergent sur la nécessité ou non de contraindre les Etats. Cette question aura des incidences majeures sur le contenu de la Convention.

Par ailleurs se pose la question de l’articulation des obligations découlant de la Convention avec le droit élaboré au sein de l’OMC. La collision de ces ensembles est inévitable dans la mesure où les politiques et les droits culturels ont un effet économique, et où une convention qui admet et promeut la diversité culturelle justifiera des pratiques qui pourront entrer en conflit avec les règles de l’OMC.

L’année dernière (2002), le Conseil d’Analyse Economique, organisme qui élabore des études à l’intention du Premier Ministre français, a publié un ouvrage sur la gouvernance mondiale. Cet ouvrage examinait notamment l’articulation des règles de l’OMC avec ce qui y est considéré comme „des règles externes“, c’est-à-dire les règles environnementales, les règles de protection à la santé, etc. Il est intéressant de noter que cet ouvrage rédigé sous l’égide du Premier Ministre et qui traite des biens publics ne parle pas spécifiquement de la culture : l’on n’y trouve du reste aucun article sur la relation entre les règles de l’OMC et les préoccupations et problématiques culturelles. Or cette question se posera nécessairement à partir du moment où la Convention sur la diversité culturelle établit un droit contraignant, dont la violation pourra être jugée par un organe de règlement des différends, éventuellement sur le modèle de l’ORD de l’OMC. Dans une telle hypothèse, les deux instances de règlement des différends pourraient rendre des avis opposés sur une même pratique, l’un la jugeant contraire aux règles du libéralisme économique, l’autre la jugeant légale parce que conforme aux obligations découlant de la Convention. Cette discussion, si elle a lieu, permettra de mesurer l’engagement effectif des Etats en faveur d’une véritable protection et promotion de la diversité culturelle.


(script d’une intervention faite lors de L’Université des Mondialisations du GERM le 4 juin 2003 au Parc de La Villette)


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