Le Tribunal de première instance annule la décision autorisant la création de Sony BMG
La Commission n’a démontré à suffisance de droit ni l’inexistence d’une position dominante collective avant la concentration, ni l’absence de risque de création d’une telle position du fait de l’opération.
Le 9 janvier 2004, Bertelsman AG et Sony, des sociétés de médias internationales, ont notifié à la Commission un projet de concentration par lequel elles envisageaient de regrouper leurs activités mondiales en matière de musique enregistrée (à l’exclusion des activités de Sony au Japon) dans trois nouvelles sociétés exploitées ensemble sous le nom de Sony BMG.
Le 24 mai 2004, la Commission a informé les parties qu’elle concluait provisoirement que la concentration était incompatible avec le droit communautaire puisque, notamment, elle renforcerait une position dominante collective sur le marché de la musique enregistrée. Après avoir entendu les parties, la Commission, le 18 juillet 2004, a déclaré la concentration compatible avec le marché commun.
Le 3 décembre 2004, Impala, une association internationale regroupant 2 500 sociétés indépendantes de production musicale ayant participé à la procédure devant la Commission, a demandé au Tribunal de première instance d’annuler cette décision. La procédure accélérée demandée par la requérante a été accordée par le Tribunal.
Aujourd’hui, le Tribunal annule la décision de la Commission.
Le Tribunal rappelle que, selon la décision de la Commission, l’absence de position dominante collective sur le marché de la musique enregistrée peut être déduite de l’hétérogénéité du produit en cause, du manque de transparence du marché et de l’absence de mesures de rétorsion entre les cinq plus grandes sociétés.
Toutefois, le Tribunal constate que la thèse selon laquelle les remises promotionnelles ont pour effet de réduire la transparence du marché au point d’empêcher l’existence d’une position dominante collective n’est pas motivée à suffisance de droit et est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Les éléments sur lesquels cette thèse est fondée sont incomplets et ne comprennent pas l’ensemble des données pertinentes qui auraient dû être prises en considération par la Commission. Ils ne sont donc pas de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées.
Le Tribunal relève en outre que la Commission s’est fondée sur l’absence de preuve d’exercice de mesures de rétorsion dans le passé, alors que, selon la jurisprudence, la simple existence de mécanismes de dissuasion efficaces suffit dès lors que, si les sociétés se conforment à la politique commune, il n’y a pas lieu de recourir à l’exercice de sanctions. Dans ce contexte, le Tribunal précise que la décision et le dossier font apparaître que de tels moyens de dissuasion crédibles et efficaces semblent exister, en particulier, la possibilité de sanctionner la maison de disques déviante en l’excluant des compilations. De plus, même si le test approprié à cet égard consistait à vérifier si de tels moyens de rétorsion ont été exercés dans le passé, l’examen auquel la Commission a procédé était insuffisant. Elle n’a pas été, lors de l’audience, en mesure d’indiquer la moindre démarche qu’elle aurait accomplie ou entreprise à cette fin.
Ces deux motifs constituant les motifs essentiels sur la base desquels la Commission a conclu à l’inexistence d’une position dominante collective, chacune de ces erreurs serait suffisante, à elle seule, pour justifier l’annulation de la décision.
De plus, en ce qui concerne la création possible d'une position dominante collective après la fusion, le Tribunal reproche à la Commission d’avoir procédé à un examen extrêmement succinct et de n’avoir présenté, dans la décision, que quelques observations superficielles et formelles sur ce point.
Le Tribunal estime que la Commission ne pouvait, sans commettre d’erreur, se fonder sur l’absence de transparence du marché ou sur l’absence de preuve de l’exercice de mesures de rétorsion dans le passé pour conclure que la concentration ne risquait pas d’entraîner la création d’une position dominante collective.
Enfin, le Tribunal reproche aux parties leur comportement durant la procédure judiciaire. En particulier, il estime que l’attitude de Impala, la partie qui a insisté pour que l’affaire bénéficie de la procédure accélérée, était peu compatible avec la lettre et l’esprit de cette procédure et a ralenti le déroulement de l’affaire. Pour cette raison, le Tribunal décide que Impala supportera un quart de ses dépens.
RAPPEL: Un pourvoi, limité aux questions de droit, peut être formé devant la Cour de justice des Communautés européennes contre la décision du Tribunal, dans les deux mois à compter de sa notification.