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Date :  2001-07-12
langue :  Français
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Désocialisation et resocialisation

Désocialisation

Source :  Wolfgang Kaempfer


La recherche forcenée de l'identité, à laquelle nous assistons actuellement, recherche plus ou moins fiévreuse, risque de se répandre comme une épidémie sur toute la planète, en s'adaptant involontairement, elle aussi, aux lois du marché mondial. Il est fort possible qu'elle vise en vérité un but, un objectif, à jamais perdu - perdu justement au cours d'une désintégration et d'une déterritorialisation des hommes, des familles, des clans, des peuples, des ethnies, désintégration et déterritorialisation en acte de longue date et provenant des activités et de l'esprit d'un capitalisme qui n'a jamais connu et reconnu en vérité, ni peuple ni nation, ni pays, ni frontières.

Toute identité, même la plus modeste, fonctionne comme une sorte de paravent. En étant l'autre de l'homme, en étant son ombre, son écho, son partenaire, elle lui assure le signe, le symbole de ce que l'on pourrait appeler son monde. L'homme contemporain vit sans monde véritable, et il est donc sans "paravent", sans protection solide, sans peau. La violence, exercée par un régime, étant plutôt omniprésente que présente, plutôt sensation qu'expérience tangible, semble au contraire exprimer la vulnérabilité de l'homme poussée à l'extrême. Le libéralisme des sociétés libérales, exerce en quelque sorte un totalitarisme démocratique, déjà dénoncé par Alexis de Tocqueville dans son œ;uvre De la démocratie en Amérique. Par son propre mouvement — mouvement scientifique et analytique, mouvement de mode, de marché — il relativise tout concept, toute foi, toute "identité" de façon quasi-automatique. En ce sens, il ne produit pas, mais il détruit, suivant la ligne d'un cercle, d'une sorte de plaque tournante, étant toujours déjà arrivé à son but virtuel et mécanique : la dissolution/relativisation/neutralisation de toute chose, de toute "production", de toute "identité". Toute recherche de l'identité, même la plus authentique, la plus traditionnelle, la plus "normale", court le risque paradoxal de se trouver un jour à son point de départ, au point de son expérience initiale, marqué par l'isolement total au sein de la société de masse. Resocialisation et désocialisation se rejoignent, et c'est là que l'on s'aperçoit d'une contradiction fondamentale, inhérente à tout concept d'identité. On se rend compte que l'identité telle quelle, l'identité pure et absolue, n'est qu'un simple concept abstrait et théorique, une pauvre généralité, imposée par une société, elle-même abstraite et générale, une véritable "société générale" pour tout le monde et pour personne. Comme tout concept pur et absolu, "identique à soi", l'identité jette en vérité une ombre, l'ombre d'elle-même, l'autre d'elle-même, l'altérité de l'identité. Mécanisme qui lui est inhérent, décrit déjà par Hegel, dans la Phénoménologie de l'esprit, il est le simple résultat d'un mouvement de pensée qui ne peut pas concevoir l'un sans l'autre, l'identité sans altérité. Ce mécanisme, appliqué aveuglément à une donnée réelle quelconque, ne peut qu'arrêter ce qui, pour Hegel, aurait été mouvement dialectique qui ne s'arrête ni volontairement ni arbitrairement mais qui cherche à suivre les mouvements réels et historiques. Restant lié ainsi au stade initial du mouvement dialectique, à la pure et simple opposition identité/altérité, opposition entièrement théorique, le mécanisme d'une identification banale, fixe et définitive, nous amène en voie directe à l'impasse bien connue d'un code binaire, d'une alternative entre Oui et Non, identique et non-identique, selon les lois de la logique philosophique, remontant à la logique philosophique de l'Antiquité.

Le consommateur réel réclame le non-consommateur réel, le pauvre, la victime. On tombe ici sur la même dialectique stagnante, le même cercle clos, censé ne tourner qu'en rond, cercle oscillant sans cesse et sans issue entre homme et sous-homme, entre êtres favorisés et êtres non-favorisés, qui caractérisaient les régimes totalitaires. Cette société tournant sans cesse autour du soleil de sa conservation/auto-conservation illimitée semble textuellement avoir renoncé à toute histoire possible. En tant que telle, en tant qu'une société, se bornant sans réserve à sa conservation/auto-conservation, au statu-quo de son existence pure et simple, à sa survie plate et matérielle, elle ne serait en effet plus en mesure de s'occuper de ceux qui sont — et qui seront — les victimes manifestes de l'arrêt de tout "progrès historique". Elle ne sait que les exclure, au profit du bon fonctionnement du système et de son statu quo, au profit du mouvement éternel de la plaque tournante immense des affaires et du marché mondial. Le sous-homme, de nos jours, n'est même plus en mesure de se servir, comme Jacques Poulain l'a observé, des droits de l'homme les plus élémentaires. Ces droits pour lui restent purement et simplement formels. Ils n'existent pas.

Nous suivons, à l'heure actuelle, consciemment ou inconsciemment, volontairement ou involontairement, deux pistes opposées : la piste d'une globalisation et planétarisation sans pareil, et la piste d'une individualisation et repli identitaire sans pareil. Ces deux pistes ne sont pas "fausses" comme telles. Le drapeau d'un individu libre, fort et fier de soi, flottant à côté du drapeau d'une humanité enfin réunie, paisible et tolérante, serait bien plus que souhaitable. Mais la condition d'un tel état des choses — état quelque peu paradisiaque — serait de pouvoir se libérer de l'impasse, du piège d 'une dialectique stagnante, qui fait que nos ambitions de tolérance le plus souvent sont aussi vides, aussi théoriques que nos expériences d'intolérance réelles. Tolérance et intolérance vont, elles aussi, en vérité, de pair. Tout tolérer n'est au fond pas moins dangereux que rien tolérer du tout. Pourquoi ne pas avouer nos sensibilités, nos aversions, nos "allergies", nos différences et divergences véritables? Il n'est tout simplement pas vrai qu'elles s'excluent les unes les autres. La dialectique stagnante est une maladie mensongère. Provenant probablement des contraintes multiples et embarrassantes de la bataille économique de tous les jours, envahissant toute la planète, elle a complètement fait oublier que jadis rien n'était considéré comme plus normal que la cohabitation des gens, cohabitation des races, des peuples, des ethnies, des familles, des religions. Et non pas par tolérance présupposée et contrainte, mais par la reconnaissance, par le respect de l'autre, n'étant pas encore considéré comme l'altérité de l'identité, comme négation d'une prétendue position. Ce mode d'exclusion/inclusion "automatique" n'est que le signe même, semble-t-il, d'une perte d'identité et d'identification profonde de l'homme actuel.


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