Ref. :  000024942
Date :  2006-09-28
langue :  Français
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Discours d'ouverture de Jean-Jack Queyranne, Président de la Région Rhône-Alpes

Séance d'ouverture des Rencontres Interrégionales "Régions et diversité culturelle : une dynamique européenne et mondiale" - Lyon, le 28 septembre 2006


Mesdames, Messieurs,


Je suis particulièrement heureux d’ouvrir ces Rencontres interrégionales "Régions et diversité culturelle : une dynamique européenne et mondiale", organisées dans le cadre de la Présidence Rhône-Alpes 2006 du partenariat des "Quatre Moteurs pour l’Europe".

Je voudrais souhaiter d’abord la bienvenue aux représentants des Régions membres de ce partenariat : le Bade Wurtemberg, la Catalogne et la Lombardie.

Je tiens aussi à saluer chaleureusement les artistes, philosophes, écrivains, universitaires, professionnels de la culture, représentants d’organisations de la société civile et d’institutions socioculturelles, qui ont bien voulu se joindre à nous à l’occasion de ces Rencontres et de la 12e Biennale de la Danse qui, depuis 1984, fait de Lyon - sa ville d’accueil - la scène des chorégraphes, des artistes et des spectateurs du monde entier, de l’échange interculturel le plus fructueux.

Enfin, un remerciement particulier à ceux des intervenants qui sont venus de loin et parfois de très loin - du Brésil, d’Argentine, d’Inde, du Mali, du Québec… - afin de partager avec nous leur expérience et leurs savoirs.

Je me réjouis d'autant plus de votre large mobilisation que nous célébrerons dans quelques jours le premier anniversaire d’une étape décisive dans la bataille en faveur de la diversité culturelle menée depuis au moins une décennie : l'adoption, à la quasi-unanimité des membres de la Conférence générale de l’UNESCO, le 20 octobre 2005, de la « Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles » .

Plus qu’une simple commémoration, cet anniversaire doit être l’occasion d’un rappel… mais aussi, me semble-t-il, d’un approfondissement.

Le rappel s’adresse particulièrement aux responsables politiques : je veux insister ici sur la nécessité et l’urgence d’obtenir des États une ratification massive de la Convention, dont nous sommes encore loin, et sans laquelle, vous le savez, nous ne pourrons donner une véritable personnalité juridique à la diversité culturelle, afin qu’elle acquière force de droit dans les relations économiques, commerciales et politiques internationales.

Tel sera, sans aucun doute, l’un des fils rouges de ces Rencontres : quelles stratégies, quels partenariats devons-nous mettre en œuvre afin de soutenir le processus en cours ? Comment les expériences que vous conduisez, les projets dont vous êtes porteurs peuvent-ils faire avancer cette grande cause ?
Mais nous ne saurions nous contenter, au cours de ces deux journées, de parler de stratégie. Il nous faut aller au fond des choses.

Nous tous ici réunis, qui venons d’horizons géographiques, professionnels, culturels, en définitive si différents, qu’entendons-nous vraiment par diversité culturelle ?


Comment chacun d’entre nous reçoit-il la mise en garde du Prix Nobel d’économie Amartya Sen : « La diversité culturelle doit servir la liberté et non pas signifier l’enfermement des cultures, isolées les unes des autres, repliées sur les conservatismes identitaires. (…) La liberté culturelle bien comprise, c’est de savoir résister à l’approbation systématique des traditions passées quand les individus voient des raisons de changer leurs modes de vie » ?

Dans un récent éditorial du Nouvel Observateur, intitulé « La violence et la foi » , Jean Daniel faisait observer qu’ « il n’est pas de problème plus important dans ce XXIe siècle que de savoir si l’on pourra concilier la diversité des cultures avec l’universalité des valeurs ».

Est-ce mettre en danger la diversité des cultures que de souhaiter qu’elles ne demeurent pas figées ?

Est-ce mettre en danger la diversité des cultures que de tout mettre en œuvre pour qu’elles dialoguent entre elles, pour qu’elles s’enrichissent et se fécondent mutuellement ?

Inversement, fascinés que nous sommes par la richesse de nos différences et séduits par le plaisir de la découverte de l’Autre, ne péchons-nous pas par naïveté ou par irénisme, si nous ne voyons dans la diversité culturelle que la promesse de surprises toujours renouvelées, alors que, si souvent dans l’Histoire, l’altérité a suscité la méfiance, l’incompréhension, le refus, et bientôt la haine et la violence ?

Je voudrais que nos échanges, se fondant sur des exemples concrets, des expériences vécues, nous permettent de poser ces questions dans la plus grande clarté, rendue possible par le respect mutuel qui nous anime, nous qui sommes prêts à accepter l’idée que si les cultures sont diverses, on ne saurait s’étonner qu’elles appréhendent de façons très différentes la question même de la diversité culturelle…

C’est à ce prix seulement que nous resterons fidèles à l’esprit de la Convention de 2005 dont je me permettrais, en guise d’introduction à nos travaux, de résumer en quelques mots les finalités.

Au regard de l’extension des formes de marchandisation de la culture et des risques d’uniformisation que celle-ci engendre, la Convention a tenu à consacrer « la nature spécifique des activités, biens et services culturels en tant que porteurs d’identités, de valeurs et de sens ».

Comblant un vide juridique du droit international, la Convention reconnaît aux États la légitimité de définir, mettre en place et faire valoir des politiques culturelles indépendantes. Le texte vise aussi bien la protection de la diversité culturelle nationale que la promotion de la coopération culturelle internationale.

En effet, si les mondialisations en cours favorisent le rapprochement entre les hommes, la globalisation économique et financière fait planer des menaces sérieuses sur la pluralité et la pérennité des expressions et des identités culturelles.

La menace d’un appauvrissement de la diversité culturelle se trouve d'ailleurs renforcée pour les pays déjà marginalisés par une globalisation inéquitable des échanges, en particulier ceux que l'on nomme avec désinvolture "Pays les moins avancés", alors que ces mêmes pays sont, bien souvent, les plus riches en termes de diversité, aussi bien culturelle que naturelle.

Aussi, au regard de l’aggravation structurelle de la fracture entre riches et pauvres (en 40 ans, l’écart de revenu entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres de la planète a été multiplié par 3 !) et de l’instabilité chronique qui en résulte, il faut ré-ancrer les politiques de coopération internationale autour de cet axe géopolitique majeur que constitue la préservation et la promotion de la diversité culturelle.

Par ses effets juridiques, politiques et économiques novateurs, la Convention de 2005 doit donner corps à l'idée selon laquelle la diversité culturelle doit être considérée comme un « patrimoine commun de l’Humanité » et sa « défense comme un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine ».

Grâce à la non subordination de la Convention aux accords de commerce existants ou à venir et par une promotion volontaire du dialogue interculturel, la diversité culturelle réaffirme le primat du politique et de la paix sur l’économique, l’intolérance et la guerre.

Et, si l’on considère que cette Convention contribuera à galvaniser les forces créatrices, les moyens de production et de diffusion culturelles, la diversité culturelle est aussi la promesse d’un marché de l’emploi créateur de richesses symboliques et économiques considérables.


Tels sont les convictions, les espoirs et les attentes qui ont incité la Région Rhône-Alpes à organiser ces Rencontres, avec le concours du Groupe d'Etudes et de Recherches sur les Mondialisations (le GERM) et de l’Observatoire des Politiques Culturelles (OPC) de Grenoble.

Nous savons en effet que, pour que la Convention de 2005 ne se réduise pas à un énième beau projet multilatéral, il faut modifier en profondeur les rapports de forces culturels, et donc aussi politiques, économiques, socio-éducatifs, sur les scènes internationale et interrégionale : il faut prolonger cette étape historique par un combat politique et citoyen.

Je suis fier de rappeler à cet égard que ces Rencontres sont la première manifestation consacrée spécifiquement au rôle des Régions dans la dynamique européenne et mondiale en faveur de la diversité culturelle.

Ces Rencontres interrégionales veulent en être à la fois le témoin et le laboratoire, à l'image de nombreuses actions initiées par la Région et ses partenaires dans la période récente.


Du Festival Est-Ouest de Die, petite ville de la Drôme qui s’efforce de faire connaître en France les cultures de l’Europe centrale et orientale dans toute leur diversité, jusqu’aux actions interculturelles conduites par l’association Peuplement et Migrations, pour qui les cultures issues de l’immigration contribuent à la réinterprétation du patrimoine national, nous essayons de montrer en Rhône-Alpes que l'échange d'idées, de savoir-faire et d'expériences stimule la compréhension mutuelle entre communautés, sociétés et cultures, et contribue, de manière significative, au rapprochement des peuples.

Cette conviction, Rhône-Alpes la porte comme l’héritage d’une histoire millénaire d’échanges et de croisements fertiles. Elle s’efforce aussi d’en faire l’emblème de son action culturelle et internationale depuis de nombreuses années.

En atteste, bien sûr, notre partenariat aujourd'hui célébré des "Quatre Moteurs pour l’Europe", mis en œuvre avec le Bade Wurtemberg, la Catalogne et la Lombardie depuis près de deux décennies.

Le groupe de travail culture des Quatre Moteurs s’est précisément réuni hier durant toute la journée, afin de donner une nouvelle impulsion à notre coopération dans ce domaine et ses animateurs auront demain le plaisir de vous résumer les conclusions de cette journée, dont on me dit qu’elle a été très fructueuse.

En témoignent encore les coopérations menées avec d'autres Régions européennes, telles que le Valdo-Genevois en Suisse, le Piémont en Italie, la Malopolska en Pologne et la Transdanubie en Hongrie.
Parmi tous les exemples que j’aurais pu choisir ici, il en est un qui me tient particulièrement à cœur : c’est l’hommage que nous rendrons en novembre prochain à Tadeusz Kantor, l’un des plus grands artistes européens du XXe siècle, en partenariat avec la Cricoteka de Cracovie et avec le concours de nombreuses institutions culturelles de Rhône-Alpes.

Région francophone située au cœur de l’Europe, Rhône-Alpes cultive aussi un partenariat privilégié avec le Québec. Notre Région apporte également son soutien au développement d’un pôle de formation et de rayonnement francophone, assumé par l’Institut pour l'Étude de la Francophonie et de la mondialisation de l’Université Lyon III.

Enfin, Région du monde, soucieuse de la vitalité de ses projets de coopération décentralisée et de solidarité internationale, Rhône-Alpes a développé de nombreux partenariats avec des Régions et villes d’Afrique (les partenariats engagés avec la 6e Région de Tombouctou, les provinces de Saint-Louis et de Matam au Sénégal, celles de Tamatave à Madagascar et des Hauts-Bassins au Burkina Faso), du Maghreb (liens étroits avec le Gouvernorat de Monastir et la Région de Rabat-Salé-Zemmour, convention de coopération avec Tripoli) et d’Asie (coopérations avec la Municipalité de Shanghai et la Province de Khammouane au Laos).

Ces relations interrégionales incarnent aussi notre détermination à défendre et promouvoir la diversité culturelle au sein d'une Europe forte sur la scène internationale.
Une Europe « laboratoire de l’intégration régionale », qui ne peut défendre ses valeurs de solidarité, de justice sociale, de démocratie et de respect du pluralisme sans mettre de manière résolue son projet en phase avec les aspirations sociales et culturelles de ses citoyens, toujours plus inquiets d’un retrait du politique et des « repères identitaires ».


Je veux, pour conclure, souligner l’important travail accompli par les services de la Région, avec la collaboration du GERM et de l’OPC de Grenoble.

Je salue particulièrement François de Bernard et Jean-Pierre Saez, qui se sont mobilisés pour faire de ces Rencontres un lieu important de réflexion, de débat et d’élaboration de propositions.

Je voudrais remercier aussi Anais Chassé, coordinatrice des Rencontres, ainsi que les services de la Région, pour la qualité du travail accompli afin d’accueillir les six cents participants que vous êtes, venus du monde entier.

Puissent ces Rencontres faire germer de nouveaux projets et des stratégies de coopération interrégionale par et pour la culture, ainsi que la formulation de propositions d’actions rencontrant les grandes problématiques contemporaines : celles de la paix, du développement durable et des solidarités internationales.

Au moment de conclure, je souhaite vous remémorer ces mots d'Octavio Paz qui résonnent comme un avertissement stimulant au seuil de ces deux journées d’échange :

« Toute culture naît du mélange, de la rencontre, des chocs. À l'inverse, c'est de l'isolement que meurent les civilisations. »

Mesdames, Messieurs, je vous remercie vivement de votre attention.


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