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Date :  2003-06-04
langue :  Français
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Table ronde : La diversité culturelle a-t-elle besoin de protecteurs ?

Contribution de Louis Weber, Président de l’Institut de recherches de la FSU à l’Université des mondialisations (Paris, Parc de la Villette, 3-4-5 juin 2003)

Source :  Louis Weber


Posée ainsi, la question est de celles, somme toute assez fréquentes, dont le libellé contient la réponse. Oui, bien sûr, il faut protéger la diversité culturelle. A condition toutefois de ne pas donner à ce mot une connotation trop paternelle, comme si la diversité culturelle devait être à jamais une petite créature fragile. Il faut, je crois, l’affirmer davantage comme une valeur positive. Elle relève en effet d’une vision du monde dont le contraire serait une forme de totalitarisme. Ce que plus personne ne préconise explicitement, même si les politiques concrètes, et notamment celles qui font confiance à la « main invisible » du marché, peuvent y conduire.

Mais la question va un peu plus loin : elle sous-entend que cette protection n’est pas une donnée immédiate, qu’elle est une construction sociale, qui n’est donc pas spontanée, qu’elle relève d’un parti-pris. Il y a besoin de protecteurs, c’est-à-dire de personnes qui agissent consciemment en faveur de la diversité culturelle, qui en font en quelque sorte une des dimensions d’un projet politique au sens premier de ce mot, un projet de vivre ensemble, ce qui est bien autre chose que de vivre côte à côte, hors des systèmes de domination et parfois d’exploitation qui ont fait jusqu’ici l’histoire de l’humanité.

Ce qui conduit à une deuxième réflexion préliminaire. On dit ordinairement que la diversité culturelle est un moyen de protéger les cultures. En général, on entend par là non seulement la Culture, celle qui réfère au répertoire légitimé par le temps des chefs-d’œuvre des arts et des lettres, de la pensée, qui incarne le modèle prétendument universel du vrai, du beau et du bien. Mais aussi les cultures, plus largement, qui renvoient elles à la diversité des pratiques des sociétés humaines et de leurs productions, celles qui en manifestent l’identité et la signification humaine, dans un temps et un espace donnés. La diversité culturelle est donc à la fois une fin – elle traduit le fait que l’objectif à atteindre c’est la coexistence de plusieurs cultures –, et un moyen, – c’est précisément par la diversité culturelle que l’on permettra cette coexistence. Ou, dit plus abruptement, que l’on empêchera un ou plusieurs modèles culturels de dominer le monde au prix de la disparition de quelques autres.

Enfin, une remarque peut-être un peu paradoxale, a priori en tout cas : c’est parce qu’elle fait aujourd’hui, en apparence tout au moins, l’objet d’un très large consensus, qu’il faut peut-être montrer beaucoup de vigilance. Un consensus mou pourrait en effet cacher des désaccords profonds, susceptibles d’affaiblir les protections, puisqu’il s’agit de cela, faisant en principe l’objet d’un large accord.

Il faut en effet se souvenir des circonstances, très récentes, qui ont conduit à l’usage, aujourd’hui largement répandu, du concept de diversité culturelle.

Dans le contexte français, on parlait, jusqu’il y a cinq ou six ans, exclusivement d’exception culturelle. Et ceci, principalement, en rapport avec les négociations commerciales internationales. Plus précisément, dans les années 1990, au cours de l’Uruguay Round, qui devait conduire à la signature des accords de Marrakech en 1994. Ces accords comportaient deux innovations importantes, en rapport direct avec notre sujet : un accord général sur le commerce des services (l’AGCS) – alors que jusque-là seuls le commerce des marchandises et l’agriculture avaient fait l’objet d’accords visant à l’ouverture des marchés – et une sorte de bras séculier pour le mettre en œuvre – l’Organisation mondiale du commerce.

A cette époque, les milieux de la culture ont agi, bien avant les autres, pour que les échanges culturels, y compris les échanges marchands, ne soient pas soumis aux règles ordinaires du commerce international, règles qui depuis l’après seconde guerre mondiale font de la libéralisation des échanges commerciaux le nerf du développement économique. On sait ce qu’il en est : non seulement le libre échange n’a pas, c’est un euphémisme, réduit les inégalités dans le monde, il a en plus très largement contribué à écraser, à travers une concurrence très inégalitaire, toutes les niches qui, dans les économies nationales, étaient restées à l’abri de l’emprise des grandes sociétés transnationales, basées bien entendu dans les pays les plus riches. Sur le plan économique, cela a conduit à la disparition des industries et maintenant des agricultures locales, avec le cortège de chômage que l’on imagine. Pour les biens culturels, cela a été une des causes de la tendance à l’homogénéisation/standardisation que nous connaissons aujourd’hui.

Cette action des milieux de la culture a conduit à un succès non négligeable mais cependant fragile. Il n’y a pas eu, pour reprendre le langage de l’OMC, d’ouverture des marchés nationaux de secteurs ayant à voir avec la culture. Mais ces secteurs relèvent de l’AGCS, ce qui ne les met pas à l’abri dans les négociations présentes et futures visant, comme le dit le texte de l’accord, la « libéralisation progressive et continue du commerce des services ».

Le deuxième grand épisode a été la lutte contre l’accord multilatéral sur les investissements en général et l’inclusion de la culture dans le champ de cet accord en particulier. Là encore, les plus fervents partisans du libéralisme économique ont dû reculer. Et l’action pour l’exception culturelle a été une dimension importante, mais pas la seule, de ce combat.

En même temps, si on regarde attentivement la chronologie, ce fut aussi pour l’exception culturelle une sorte de chant du cygne. Le traité de Marrakech, il faut bien le dire, ou le reconnaître, a été signé et ratifié dans une assez grande indifférence. Sauf, précisément, pour les milieux de la culture, qui ont joué un rôle majeur dans l’élucidation des enjeux de ces négociations, avec peut-être, mais pour d’autres raisons, les agriculteurs. Pour l’AMI, et en partie à cause de cette action pionnière, la mobilisation fut beaucoup plus large. Mais du coup, la seule revendication de l’exception culturelle paraissait étroite. Stricto sensu, elle ne visait pas en effet, et ne vise toujours pas, à contester globalement le caractère néolibéral de ces accords mais à dire : les biens et services culturels ne doivent pas en relever. Mais on peut très facilement montrer qu’un raisonnement très semblable est valable pour l’éducation ou pour la santé, pour l’eau et plus généralement pour tout ce qu’on désigne aujourd’hui par la notion de bien public. Ces biens devraient se traduire par une batterie de droits fondamentaux et non pas être soumis aux règles commerciales.

C’est une des raisons pour lesquelles l’exception culturelle, au sens qui vient d’être dit, n’était pas très opératoire comme revendication commune dans l’action plus générale contre les accords commerciaux. Sauf à l’articuler à d’autres revendications de même nature, l’exception éducative, l’exception sanitaire, etc. Ou alors à considérer, ce qui est parfois soutenu, que la culture est un domaine très particulier de l’activité humaine, au-dessus du lot commun des autres activités en quelque sorte. Ce qui renverrait à une vision très élitiste, étrangère en général à celles et ceux qui se battent pour le développement culturel.

Une deuxième raison, qui rejoint la précédente mais en partie seulement, c’est le fait que l’exception culturelle est restée une notion assez étroitement française, ou plus exactement francophone. Cela vient, certes, en grande partie d’un malentendu. Celui qui est dû au fait que dans certains textes il n’est pas toujours facile de distinguer ce qui relève d’une revendication de portée universelle – l’exigence de « sortir » la culture du champ des accords commerciaux – et ce qui s’apparente à l’affirmation d’une exception française. Il est vrai que dans notre pays, et cela fait partie de son histoire, la politique culturelle a toujours constitué une dimension de la politique de l’Etat, et ceci même bien avant la République. Mais, dans l’arène internationale, les choses ne sont pas toujours vues comme cela. Et à l’UNESCO par exemple, ou au Conseil de l’Europe, on parle aujourd’hui exclusivement de « diversité culturelle ».

Le problème, et cela renvoie au devoir de vigilance que j’ai évoqué plus haut, c’est que, dans l’esprit de beaucoup, on ne voudrait pas seulement y voir un changement de vocabulaire, mais un changement de concept, pour tout dire un recul. C’est bien comme cela que l’entendait Jean-Marie Messier, du temps de sa splendeur, quand il déclarait à la presse américaine que « l’exception culturelle française était morte » et qu’était venu le temps de la diversité culturelle. C’est pour le moins nous indiquer la nécessité de donner chair à ce concept et de ne pas le réduire à une vague pétition de principe pour reconnaître un tout aussi vague droit à la diversité, cousin du très controversé droit à la différence !

Voilà donc une première grande raison pour laquelle il faut protéger la diversité culturelle : les accords commerciaux internationaux, en plein développement avec l’hégémonie actuelle des théories économiques libérales, ont un champ d’application très large qui englobe virtuellement, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici, tous les services. Et parmi eux, les « services culturels ». Il faut y ajouter la dimension européenne. On sait en effet qu’un des acquis, positifs, du Conseil européen de Nice en 2000 a été le fait que les décisions communautaires touchant le commerce des services relevant de l’éducation, de la santé et de la culture doivent continuer à faire l’objet d’une décision commune des Etats membre et non de la majorité qualifiée. Ce qui laisse à chaque pays la possibilité de s’y opposer. Or cette clause risque de disparaître dans le futur Traité constitutionnel, toutes les décisions devant à l’avenir être prises à la majorité qualifiée. Ce qui fera qu’un ou plusieurs pays pourront se voir imposer des décisions contre leur volonté par les autres

Quand on connaît le jeu de massacre prévisible en cas de libéralisation totale – ce qui est l’objectif affirmé – du commerce de ces services et leurs conséquences sur la spécificité et la diversité culturelles, sur les manières de vivre, d’être et de penser, il est essentiel d’établir des protections sérieuses !

Dit rapidement, le libéralisme économique aujourd’hui dominant a une visée générale : lever les obstacles à la liberté des échanges, c’est-à-dire les normes et les réglementations établies dans le passé pour protéger ce que les sociétés concernées estimaient nécessaire de protéger, notamment les intérêts économiques nationaux, parfois aussi l’identité culturelle nationale, considérée comme la charpente de l’identité nationale elle-même.

Ceci dit, essayons d’aller plus loin, ne serait-ce que pour ne pas tomber dans le catastrophisme et le désespoir. Ce qui serait aussi, d’une certaine façon, renoncer ! Il suffit par exemple de regarder les textes comme ceux de l’OMC pour constater que le libéralisme s’accommode fort bien de l’existence de normes. L’AGCS par exemple, contient quantité de normes, d’interdictions, de restrictions, de mécanismes de contrôle et même de mécanismes répressifs. Certes, pour être juste, il faut dire que ces normes sont davantage conçus pour contraindre les pays membres à lever les obstacles à la liberté du commerce que pour protéger certains domaines de l’activité humaine. Il reste que cet accord est, comme tous les textes de ce genre, un compromis durement et longuement négocié. Ce qui veut dire aussi qu’en face des rêves les plus fous des plus fervents partisans du libre-échange, il y a une sorte de reconnaissance implicite et contrainte du fait qu’il y a conflit entre des systèmes de normes, en l’espèce des normes protectrices d’une part, notamment pour les productions les plus fragiles ou alors pour celles qui on peu de chances de rapporter gros, et d’autre part les normes dominantes en nombre et en force, normes visant la libéralisation totale.

Ce qui pose d’ailleurs, mais cela mériterait presque une autre contribution, la question de la hiérarchie des normes. Plus concrètement : qu’est-ce qui doit prévaloir dans les accords internationaux ou dans les législations nationales, pour lesquelles le raisonnement est le même ? Les normes sociales ? Les normes environnementales ? Les droits des plus démunis ? Ou, comme le voudraient l’OMC et les pays les plus développés, les règles du commerce international, c’est-à-dire le marché et la concurrence ? Dans la réalité, cette question revient de façon récurrente dans toutes les arènes internationales, que la discussion porte sur le développement durable, sur l’importation des médicaments ou sur les accords commerciaux. Elle est chaque fois l’objet d’affrontements ce qui veut dire aussi, que, en un sens et à la limite, le choix de l’instance chargée de légiférer au plan international sur une question, celle de la diversité culturelle par exemple, peut devenir second par rapport à ce choix politique fondamental.

Le fait que les accords soient toujours des compromis passés à un moment donné laisse un espace pour la négociation avec les forces en situation de le faire. C’est-à-dire, formellement, les gouvernements et leurs administrations. Mais aussi, et l’expérience prouve que c’est au moins aussi efficace, la société civile, pour résumer. En somme, il reste une place pour l’action, ce qui légitime complètement des initiatives comme celle de ces trois journées de débats.

Mais revenons à la question plus générale de la diversité culturelle. Je ne pense pas que l’affirmation selon laquelle la diversité culturelle aurait pris la place de l’exception culturelle aux seules fins de la vider de son sens épuise une réalité autrement plus complexe. Il faut rechercher dans l’histoire récente de l’Europe et de quelques autres régions du monde ce qui a donné un tel statut aujourd’hui à la notion de diversité culturelle dans les réflexions sur le « vivre ensemble ». La chute du mur de Berlin y a fortement contribué, avec la crainte que le démantèlement du système antérieur – que personne ne défend évidemment pour autan – ne libère des forces, notre ami américain dirait les forces du Mal, dont les ravages dans l’histoire ne sont que trop connus.

Parallèlement, en Europe de l’Ouest en tout cas, le changement des politiques de l’immigration, avec son arrêt officiel et, comme conséquence, le fait qu’il était clair que les immigrés allaient s’installer durablement, avec leurs familles, ont été à l’origine de réflexions analogues.

Au fond, et pour résumer, les systèmes intégrateurs, les creusets ayant permis depuis deux siècles de forger les nations, souvent par la contrainte culturelle ne l’oublions pas, ne sont plus opératoires en ce début du 21ème siècle. Et ceci pour de nombreuses raisons dont certaines sont autant de progrès : le refus de régler les problèmes de coexistence dans le même espace par la répression ou par la guerre par exemple. Disant cela, je n’oublie pas que ces nouvelles vertus jouent pleinement lorsqu’il s’agit de populations européennes ou américaines. Mais guère ailleurs comme la guerre anglo-américaine en Irak vient encore de le montrer !

Nous sommes passés au cours de ces années, plusieurs interventions l’ont déjà rappelé, du très anglo-saxon multiculturel à l’interculturel et au pluriculturel, avec toutes les variations possibles, jusqu’à l’intermulticulturel de nos amis brésiliens.

Les questions se posent en fait à deux niveaux, sous des formes qui peuvent être sensiblement différentes, le niveau national et le niveau international.

Avec cependant une caractéristique commune : de puissants mécanismes jouent en permanence en défaveur de la diversité culturelle, dans le sens, simultanément, du nivellement et de l’hégémonie d’un nombre réduit de modèles qu’il est inutile d’énumérer ici.

Ces mécanismes sont fondamentalement économiques. Mais gardons-nous là comme ailleurs d’une explication qui serait purement de ce type. Le développement des nouvelles technologies, celui concomitant des communications, celui des échanges, du tourisme, etc., jouent tendanciellement dans ce sens, comme cela a déjà été évoqué par d’autres intervenants.

Au regard de notre propos, il reste cependant que si nous admettons que l’avenir démocratique de la planète passe par la diversité culturelle, et même par l’épanouissement de chacune des cultures du monde, cela veut dire qu’il y a nécessité de protéger et, au-delà, de promouvoir. Et ceci pour éviter une autre dérive, celle d’en faire une simple question de patrimoine.

Au niveau national, il n’est pas possible, dans le contexte actuel, de traiter de la diversité culturelle sans, en même temps, dire quelques mots de ce que sont aujourd’hui nos nations. Avec, on le sait, des traditions, précisément nationales, qui peuvent être sensiblement différentes d’un pays à l’autre, y compris dans un espace relativement réduit à l’échelle du monde comme l’est l’Europe. Fait partie de ces traditions la question des communautés, celle des droits individuels de leurs membres mais aussi celle de leurs droits collectifs.

Pour qui pense la nation, et par conséquent l’Etat, dans les termes dans lesquels on les pensait en France il y a deux siècles, il y a, immédiatement, contradiction possible entre cette conception des choses et la diversité culturelle, perçue dans ce système de pensée comme une sœur jumelle et parfois une cause immédiate du communautarisme. A l’inverse il existe aussi des conceptions de la diversité culturelle, ou plutôt de la place qui doit lui être faite, qui s’apparentent précisément au communautarisme. C’est-à-dire une conception du vivre ensemble qui a tendance à sous-estimer et même à ignorer l’existence de liens dans les communautés humaines autres que le fait de vivre au même moment sur le même territoire.

En fait, et heureusement, la réalité est beaucoup plus complexe. Le vivre ensemble, dans la plupart des pays, est en effet organisé par des institutions existant à l’échelle globale ou de leurs grandes subdivisions régionales : le parlement, le système judiciaire, les partis politiques, les syndicats, les associations, avec une tendance forte aujourd’hui à faire jouer un rôle de plus en plus grand à la société civile.

Il revient tout naturellement à ces institutions de « protéger » la diversité culturelle, à travers des mécanismes garantissant le respect des droits individuels et collectifs des divers groupes résidant sur le territoire. Ces institutions sont donc aussi des instances de négociation, formelles ou plus informelles, comme le montre l’existence qui se généralise de médiateurs.

Une des questions concrètes qui est posée, comme on le voit dans l’actualité française, c’est celle des interlocuteurs et, au-delà, celle de l’identification et de la représentation des porteurs des droits revendiqués.

Quand par exemple le parlement français adopte la loi créant le PACS, le pacte civil de solidarité, cela ne veut pas dire pour autant qu’il a fait droit aux revendications d’une communauté, même s’il a repris celles de certains groupes de la société, notamment celles des homosexuels. Mais ceux-ci ne constituent pas une communauté au sens fort de ce mot. Par ailleurs, en ne permettant pas aux Pacsés d’adopter des enfants, le Parlement a fait droit en même temps à ce qu’il a considéré comme une demande de la société dans son ensemble, que celle-ci soit légitime ou non n’étant pas l’objet de ma réflexion ici.

Dans ce cas, on est donc bien davantage en présence d’une situation où il y a régulation démocratique, plus que prise en compte d’une des formes de la diversité dans notre pays.

Si on prend la question du port du foulard islamique dans les lieux publics, on peut convenir que le débat pourrait être posé en des termes semblables. Ce qui est en cause, est-ce le respect ou le non respect de la diversité culturelle dans le pays ? Beaucoup défendent ce point de vue. Ou la décision de permettre ou de ne pas permettre le port du voile dans les lieux publics doit-elle être une décision d’ensemble, certes historiquement datée, prise dans le cadre de la communauté politique dans sa totalité, en l’espèce la République ? Si c’est le cas, la discussion se situe dans un contexte politique et social concret.

Tout ceci pour dire que la protection de la diversité culturelle peut aussi conduire à poser, dans le débat public, un certain nombre d’autres problèmes. Ce qui doit inciter à raisonner en termes de complémentarité et, la vie est ainsi faite, de tensions entre mesures protectrices de la diversité culturelle et mesures régulatrices valables pour toutes et tous dans un cadre national commun.

Au plan international, la question se pose en des termes en partie différents du fait qu’il n’y a pas, ou pas encore, d’espace politique commun, parallèle aux espaces politiques nationaux. En simplifiant, on peut dire que les pays dominants ont cherché à imposer aussi bien la perspective communautariste à l’américaine, en l’élargissant aux rapports entre les nations, que celle du cadre commun qui domine en Europe. Dans tous les cas, les pays anciennement dominés n’ont guère eu le choix. Ce qui fait que les deux modèles s’avèrent en fait très largement inopérants. Il existe certes des normes protectrices et celles-ci vont plutôt, et c’est heureux, se multiplier, comme cela est maintenant revendiqué de toutes parts. Reste une question fondamentale : quel va être l’espace politique commun de référence ? Les Nations unies ? Outre leurs déboires récents, on peut craindre qu’elles ne soient plutôt en train de basculer vers le simple multiculturalisme. Ce qui pose d’ailleurs une question redoutable à laquelle je me garderai bien de tenter de répondre ici : une organisation politique et sociale très différenciée, et qui revendique ces différences, peut-elle faire l’accord sur autre chose que des compromis très généraux, sur le mode – ce qui n’est pas rien malgré tout – « je respecte la différence même si je n’aime pas ce que fait l’autre » ?

Plus terre à terre, mais n’est-ce pas cela précisément qui pose problème ?, la mondialisation actuelle repose sur l’idée de normes communes, mais quasi exclusivement au sens de normes économiques communes. Pour des raisons variées, et d’abord parce que ce n’est généralement pas considéré comme d’une importance décisive, on laisse un espace à la diversité culturelle. Mais on n’en fait pas un choix politique. Ce qui ravale les aspects culturels au rang de simples coutumes, voire d’un folklore à préserver, éventuellement pour en faire un objet de commerce, l’essentiel du mode de vie relevant des modèles standardisés dont la société de consommation mondialisée favorise l’émergence.

Ce qui est évidemment le degré zéro de la reconnaissance de la diversité culturelle comme enjeu et en même temps comme moteur du développement humain.


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