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Date :  2003-08-25
langue :  Français
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Pour une coalition des biens communs


Notre monde voit apparaître de nouvelles alliances (environnement, commerce équitable, altermondialisation). Ne leur manque qu'une traduction politique claire.

Les temps sont rudes. Aux Etats-Unis comme en Europe se constitue à droite une solide alliance néolibérale et néoconservatrice. Cette alliance est sécuritaire en politique internationale et intérieure, où elle pratique la mise en scène permanente des menaces. Elle invoque des droits qu'elle n'entend faire valoir en fait qu'au profit des grands acteurs économiques ou d'une petite caste, et méprise avec arrogance les faits sociaux. Elle est déterminée à réduire l'Etat à un rôle de gardien de la paix et de servant promoteur de réseaux d'intérêts, et s'appuie, dans certains pays, sur un contrôle des médias, dont la concentration atteint un point sans précédent à l'âge moderne.

Face à cette alliance, la gauche est hébétée, tétanisée devant la perte de prise sur le monde des modes d'action qu'elle privilégiait. Elle ne sait où chercher une nouvelle légitimité. Elle tente de défendre des droits sociaux, des institutions et des façons d'agir fragilisées par suite de changements profonds dans les techniques, l'organisation de la production et des échanges, la sociologie d'usage du temps, la consommation, ou l'urbanisme. Certains de ses dirigeants, s'en rendant compte, essaient de retrouver une modernité en épousant les méthodes et les idées de leurs adversaires, prétendant se les approprier au service de leurs valeurs, alors que cela n'aboutit qu'à les miner plus avant. La politique elle-même s'en retrouve décrédibilisée, particulièrement auprès de ceux pour qui elle devrait jouer un rôle intégrateur.

Ce tableau démoralisant ne traduit nulle fatalité. Il exprime surtout la cécité du monde politique, même dans ses composantes les plus nobles, à l'égard de la révolution introduite par les technologies de l'information et les techniques à base informationnelle. Informatique, télécommunications puis biotechnologies ont précipité notre monde depuis trente ans dans deux mouvements contradictoires. L'un vers la concentration de valeur, de pouvoir et d'influence à travers la capitalisation de l'information et de sa manipulation. L'autre vers la production coopérative de nouveaux biens communs informationnels et leur usage social. Le premier mouvement contribue à la financiarisation de l'économie, et à la constitution de monstres industriels qui ne font plus commerce de biens ou de services, mais de monopoles que leur confèrent divers titres de propriété intellectuelle. Le second mouvement nous donne les logiciels et les publications scientifiques libres, la coopération scientifique ouverte à l'échelle mondiale, de nouvelles coalitions militantes thématiques mondiales (environnement, développement, commerce équitable, altermondialistes), les médias coopératifs, de nouvelles formes artistiques. Le premier mouvement pousse le capitalisme à l'extrême en une caricature grotesque et grimaçante. Le second le redéfinit et le dépasse dans la production de nouveaux biens communs et de leur espace public.

Mais, si le premier mouvement a aujourd'hui une traduction politique claire et puissante, le second a échoué jusqu'à présent à s'en trouver une. C'est que, pour parvenir à bâtir une alliance politique crédible sur la base des nouveaux biens communs, il faut donner des réponses concrètes à des questions difficiles. Les nouveaux biens communs ne se développent pas sur une table rase. Ils émergent dans un monde où l'économie des biens physiques reste dominante, et détermine l'accès de la plupart aux moyens de subsistance. Ils émergent dans un monde où les droits sociaux élémentaires, l'accès à l'éducation, à la santé, à la justice, etc., dépendent étroitement de la capacité d'action de l'Etat (à toutes ses échelles géographiques). Ceci alors même que les Etats et collectivités publiques sont de plus en plus démunis de la capacité d'agir en faveur de ces droits. Les mêmes tendances techniques et sociales qui rendent possibles les nouveaux biens communs informationnels - dépassement de l'économie monétaire - contribuent à priver les acteurs publics de ressources qui restent entièrement indexées sur les paramètres de l'ancienne situation (revenus du travail, échanges monétaires).

Les mouvements politiques qui feraient le choix de s'appuyer sur les nouveaux biens communs ne peuvent être crédibles que s'ils savent également refonder le rôle des acteurs économiques et des Etats, et, passant des alliances claires, construire une nouvelle coalition qui dépasse largement les frontières des promoteurs conscients des biens communs.

Les orientations qui pourraient être défendues par une telle coalition sont :

1. L'acceptation d'une orientation qualitative de l'économie, vers les définitions contemporaines de la qualité sociale, environnementale, urbaine, culturelle et esthétique. Cette qualité ne peut se prescrire dans les détails, mais doit être recherchée par des conditions qui la favorisent, et demande à être évaluée en permanence. Nous devons retrouver sous d'autres formes le meilleur de la social-démocratie keynésienne, à savoir la capacité qu'elle a eu de mettre en place des mécanismes qui orientent l'économique sans contrôles excessifs de détail, sans coûts de transactions abusifs. Mais avec l'affirmation forte que, oui, cette orientation est légitime, qu'elle suppose la production dans l'Etat et dans le débat public de compétences et de moyens d'action aux antipodes de l'infirmité stupide où le néolibéralisme entend maintenir Etat et société. Seules l'orientation et la régulation des marchés avec des objectifs qualitatifs peuvent rendre l'économie à nouveau créatrice d'emplois et de sens social.

2. L'invention de nouvelles mesures de la richesse et de nouveaux moyens de constituer les ressources de l'action publique par l'impôt, qui assurent que ces ressources ne se raréfieront pas en proportion du développement des échanges informationnels. Une piste intéressante, pressentie en partie par les mouvements protaxe Tobin, est de taxer en priorité les formes de flux liées à la capitalisation de l'information et à la financiarisation. Ainsi, l'informatisation de la société contribuerait-elle, soit directement (par la création de biens communs) soit indirectement (par l'impôt), au bien public.

3. L'action déterminée pour limiter la puissance des monopolistes de l'information centralisée, par les limites apportées au domaine et à la capitalisation des titres de propriété intellectuelle, et par le réinvestissement des fonctions de recherche et développement par les acteurs publics. Il faut un véritable sursaut pour mettre fin à la complaisance qui pousse aujourd'hui l'Etat européen et les Etats nationaux à rivaliser de servilité vis-à-vis de quelques multinationales du logiciel propriétaire, de la pharmacie, de l'agroalimentaire, ou, pour d'autres raisons, vis-à-vis du complexe militaro-industriel.

Une coalition des biens communs ne peut émerger qu'en se situant d'emblée au niveau européen autant qu'aux niveaux nationaux. Si elle y parvient, elle peut rassembler non seulement l'essentiel de la gauche et des écologistes, mais des courants non négligeables des libéraux politiques et la partie des républicains et des sociaux-chrétiens à qui la nouvelle droite néoconservatrice fait horreur.


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