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Date :  2003-06-04
langue :  Français
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Le débat politique et juridique sur la diversité culturelle

Source :  Debora Abramowicz


A. Le Comité de Vigilance

Créé en 1997 contre l’A.M.I. (accord multilatéral sur les investissements négocié à l’OCDE), le Comité de Vigilance rassemble 45 organisations professionnelles de la culture (cinéma, télévision, spectacle vivant, édition, musique, arts graphiques et plastiques et multimédia) et défend la diversité culturelle face aux négociations commerciales internationales.

Le Comité coordonne les objectifs que veulent défendre ensemble les professionnels auprès des pouvoirs publics français, européens et internationaux :

ß La défense de la liberté d’expression et de création dans un environnement social et économique favorable à l’émergence des talents et à l’expression de toute la diversité de la création, sous quelque forme que ce soit.

ß La défense de la capacité des Etats et des groupements d’Etats à mettre en place, à développer et à adapter leurs politiques culturelles, tous secteurs confondus.

ß Le maintien de la culture en dehors des accords de commerce internationaux et des engagements de libéralisation dans le cadre de l’OMC.

ß Le développement en dehors de l’OMC de normes juridiques internationales favorisant la diversité culturelle et le pluralisme.

Le Comité de Vigilance assure un relais avec les organisations professionnelles étrangères et les fédérations internationales partageant les mêmes préoccupations et les mêmes objectifs. Il encourage les organisations professionnelles du monde entier à se regrouper en coalitions nationales pour défendre cette position auprès des pouvoirs publics.


B. L’OMC, le GATT, l’AGCS et l’UNESCO

En fixant à la négociation sur les services, débutée en 2000, un calendrier extrêmement précis (juin 2002 pour la présentation des demandes bilatérales de libéralisation et mars 2003 pour la présentation des offres), les Etats membres de l’OMC se sont engagés dans une course à la libéralisation qui pourrait, si elle n’est pas maîtrisée, porter gravement atteinte aux politiques culturelles.

L’Accord général sur le commerce des services (AGCS) conclu lors du cycle de l’Uruguay appréhende les services audiovisuels et les services culturels. Il n’existe dans l’AGCS aucune exception culturelle formelle qui exclut juridiquement la culture du champ de l’accord ou des négociations futures .

Appliquées aux services audiovisuels et aux services culturels, les disciplines de l’AGCS remettent en cause l’ensemble des réglementations qui régissent ces secteurs. En effet, toute réglementation qui tente d’apporter des correctifs aux effets radicaux du libre jeu du marché est considérée comme un obstacle au commerce qui doit être éliminé.

Par exemple, les règles concernant la propriété des médias qui requièrent un niveau de propriété nationale pour certains médias, sont considérées comme restreignant l’accès au marché des opérateurs étrangers. Les règles réservant aux opérateurs nationaux ou établis sur le territoire certaines ressources financières ou certaines facilités sont considérées comme contraires au traitement national. Les quotas, quant à eux, sont des restrictions quantitatives, insupportables selon les règles du commerce international.

Enfin, les subventions ne font pas encore l’objet de disciplines propres aux services, mais ce sujet est dans le programme de travail de l’OMC. En ce qui concerne les marchandises, des règles existent déjà et classent les subventions en trois catégories : celles qui sont autorisées, celles qui peuvent être autorisées sous certaines conditions et celles qui sont totalement interdites. On trouve dans cette dernière catégorie les subventions à l’exportation. Si on se réfère à la vision américaine des subventions qui pourraient être autorisées dans le domaine audiovisuel , on peut aisément redouter que les conditions soient très restrictives.

L’approche purement commerciale des biens et services culturels telle qu’adoptée à l’OMC revient à nier la valeur culturelle de ces biens et services qui fait pourtant toute leur spécificité. La culture est nécessaire à toute nation et ne peut être soumise à des règles qui permettent que les cultures d’un pays disparaissent parce que soumises aux seules lois du marché.

Les expressions culturelles d’une communauté lui sont indispensables pour refléter et accompagner son identité et les évolutions qu’elle rencontre. Ces expressions culturelles, sous toutes leurs formes, sans être exclues du commerce, ne peuvent y être uniquement et totalement soumises. Elles répondent à des besoins vitaux pour l’identité de chaque communauté et doivent donc être préservées et encouragées.

La promotion de la diversité culturelle passe par la reconnaissance de la capacité des Etats de définir eux-mêmes leurs politiques culturelles.

Le seul jeu des forces du marché ne permet pas d’atteindre l’objectif de diversité culturelle car il ne fait que refléter des rapports de forces économiques et les situations de domination qui existent. Seules des politiques publiques permettent d’apporter des correctifs que ce soit en permettant l’accès au marché international à des productions culturelles locales (politiques de promotion à l’étranger et échanges privilégiés dans le cadre d’accords de coproduction) ou en offrant au public local une grande variété de productions culturelles venues d’ailleurs.

Au vu des attaques que subissent les politiques culturelles d’ores et déjà en place, il apparaît indispensable de reconnaître dans un instrument juridique international contraignant le droit des Etats à définir librement leurs politiques culturelles.

Les organisations professionnelles de la culture, réunies à Paris du 2 au 4 février 2003 à l’occasion des Deuxièmes Rencontres Internationales des Organisations Professionnelles de la Culture, se sont clairement prononcées en faveur d’un Traité international assurant un fondement juridique au droit fondamental des Etats et des gouvernements d’établir librement leurs politiques culturelles. Elles ont par ailleurs demandé à être associées au processus en cours à l’UNESCO, organisation intergouvernementale naturellement compétente en matière culturelle.


C. Diversité culturelle et développement

L’expression " pays en développement " est fondée sur une appréciation purement économique de la situation de tel ou tel pays. Or, force est de constater que de nombreux pays dits " en développement " sont en pointe en matière de créativité et en ce qui concerne le niveau de leur production culturelle.

Si ces pays sont parfois mal connus des citoyens occidentaux, il n’en est pas de même de leurs artistes, portes-voix de leurs cultures et de leur imaginaire collectif au-delà de leurs frontières, de leurs continents.

Quand nous nous battons pour la diversité culturelle, il ne s’agit pas d’une attitude protectionniste mais d’une volonté ambitieuse de continuer à nous enrichir au contact des cultures d’ailleurs. Nous souhaitons avoir accès à nos propres cultures mais également à celles des autres et nous souhaitons que d’autres aient encore la possibilité d’avoir accès à la leur.

Le dialogue Nord-Sud passe souvent en pratique par des échanges culturels qui permettent aux différentes cultures de se rencontrer.

Pour ne parler que de l’audiovisuel, une libéralisation de ce secteur dans le cadre des négociations commerciales à l’OMC impliquerait la suppression des fonds nationaux mis en place par les pays en développement pour soutenir leur secteur audiovisuel ainsi que la suppression des soutiens européens aux œuvres des pays en voie de développement alors que l’Europe et ses Etats membres sont les principaux financiers du cinéma de ces pays.

Par exemple, la France a conclu des accords de coproduction avec de nombreux pays en développement (notamment avec l’Argentine, le Brésil, le Burkina Faso, le Cameroun, le Chili, la Colombie, la Côte d’Ivoire, l’Egypte, la Guinée, l’Inde, le Liban, le Maroc, le Mexique, le Sénégal, la Tunisie, le Venezuela). En plus de la contribution financière aux œuvres audiovisuelles concernées, ces coproductions permettent de qualifier les œuvres coproduites d’oeuvres européennes et de les faire ainsi entrer dans les quotas de diffusion d’œuvres européennes issus de la directive " Télévision sans frontières ".

En fait, les obstacles rencontrés par les œuvre des pays en voie de développement pour l’accès aux marchés étrangers ne sont ni d’ordre juridique ou politique mais bien d’ordre économique : seuls les pays à forte capacité de production et de promotion peuvent prétendre à une forte présence sur leur marché national et sur les marchés étrangers. En raison des problèmes économiques des pays en voie de développement, leurs industries culturelles nécessitent un soutien financier. Les systèmes d’aide déjà en place risqueraient d’être remis en cause dans le cadre d’une libéralisation multilatérale du secteur audiovisuel par exemple.

Nul est besoin de le rappeler : l’OMC n’est pas une organisation tiers-mondiste. La protection du patrimoine et de la culture des pays en voie de développement ne fait pas partie de ses priorités, ni de ses compétences.

Or, il convient d’être vigilant face aux risques d’une libéralisation de la culture dans le cadre de l’OMC : les engagements contractés par les différents membres de l’OMC sont en pratique quasiment irréversibles ; ils ne peuvent être modifiés ou retirés qu’après des négociations avec les pays affectés et l’octroi de compensations financières.

C’est pourquoi il est essentiel que les questions culturelles soient négociées dans une autre enceinte, une enceinte spécialisée dans la protection du patrimoine et de la culture, une enceinte où la voix de chaque Etat membre est entendue de façon équitable.

Les négociations concernant la future Convention Internationale sur le diversité culturelle doivent débuter au plus vite au sein de l’UNESCO et se tenir parallèlement aux négociations OMC afin que les questions culturelles soient clairement identifiées comme étant du ressort de la première et non de la seconde. Par ailleurs, l’initiation des négociations à l’UNESCO permettront aux Etats de prendre la mesure des enjeux de la diversité culturelle et les rendra plus attentifs aux engagements de libéralisation qu’ils pourraient être amenés à prendre à l’OMC.

Les organisations professionnelles de la culture sont fortement engagées en faveur du processus en cours à l’UNESCO. Elles ont été les premières à s’inquiéter des menaces qui pesaient sur les politiques culturelles lors des négociations du GATT en 1993 ; elles ont poursuivi victorieusement leur combat en 1998 à l’occasion des négociations de l’AMI (Accord Multilatéral sur l’Investissement) et sont depuis 2001 mobilisées face aux négociations de l’AGCS.

Représentantes de centaines de milliers de créateurs, artistes, producteurs, éditeurs, distributeurs et techniciens, elles se battent pour la reconnaissance internationale indispensable du droit des Etats à définir leurs politiques culturelles.


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