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Date :  2003-06-02
langue :  Français
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De la diversité culturelle à l'altérité : approches de la diversité culturelle à travers les disciplines d’enseignement


Si la reconnaissance de la diversité culturelle ne peut que faire l'objet d'un consensus large et spontané, encore faut-il mettre en lumière les principes philosophiques, sociologiques et anthropologiques qui la sous-tendent. Les années 1970 ont vu l'émergence de notions comme différence et pluralisme. Aujourd’hui, on évoque davantage les concepts de diversité culturelle et d’interculturel. Comment faut-il comprendre et interpréter ce changement ? Quelles en sont les incidences au plan scolaire et éducatif ? Chercher à traduire en termes d'objectifs et de programmes éducatifs la reconnaissance de la diversité culturelle ne peut s'effectuer sans en préciser le cadre théorique et philosophique. Notre postulat est que le passage de la différence à la diversité, du pluralisme à la pluralité, du multiculturalisme à l'interculturalité ne relève pas d'une simple évolution sémantique mais suggère un changement profond de perspective. Aucune proposition pédagogique et éducative ne peut faire l'impasse d'une réflexion sur la nature de cette évolution et les mutations profondes qu'elle suggère.

A. Propositions pour un paradigme du divers

1. Du pluralisme à la pluralité :

Le paradoxe de la prise en compte de la diversité culturelle est que celle-ci est à la fois un principe structurant du tissu social et scolaire mais aussi un objectif d'apprentissage. En effet, la diversification de plus en plus grande des publics implique une différenciation de plus en plus fine des procédures et des modalités d'enseignement et des apprentissages. La question essentielle demeure de savoir comment traduire dans les pratiques pédagogiques et éducatives ces processus de complexification.

La formulation la plus répandue et la plus expérimentée reste, à l'heure actuelle, le pluralisme sous toutes ses formes : multiculturalisme, communautarisme, pluralisme culturel ou encore pluralisme scolaire. Le paradigme théorique sous-jacent est structuré à partir des notions de différence, de juxtaposition de groupes ou de références, d'appartenance, d'"identité-racine", de logique unitaire et homogène et de catégories. Le postulat est celui de l'existence de cultures distinctes, identifiées et identifiables. L'idée de diversité, à l'opposé de celle de différence, repose moins sur la reconnaissance de catégories culturelles que sur celle de dynamiques et de processus du "mixte". En effet, toute culture est "une œuvre ouverte" susceptible de lectures interprétatives et d'expressions plurielles. Cette question de l'infini des cultures à travers le temps et les lieux, les conjonctures et les subjectivités, les structures et les circonstances pose la question de la pertinence d'une initiation et d'une connaissance des cultures. C'est une "pensée de la trace par opposition à une pensée de système" qu'il nous faut développer.

La diversité culturelle infère le principe de variation comme élément constitutif de toute formation aux cultures ou plus exactement aux dynamiques culturelles. L'affaiblissement, pour ne pas dire la fin des paradigmes de causalité, de cohérence et de logique unitaire et homogène ouvre la voie à la notion de réseau, au primat de la notion de relation au détriment de l'esprit de système et de structure, à l'apologie des interstices, de la diagonale, des chemins de traverse, d'une logique de la transition et de la transgression. Le point nodal réside dans l'élaboration d'une pensée duale et non pas dualiste, d'une pensée plurielle et non pas pluraliste.

Entre la reconnaissance des cultures et celle de la diversité culturelle, il n'y a pas qu'une différence de formulation mais le passage d'une analyse en termes de structures, d'états, de faits et de différences culturelles à une analyse en termes de processus, de dynamiques, de bricolage, de métissage, de manipulations.

2. Des cultures à l'altérité :

La question de l'altérité revient sur le devant de la scène sociale et éducative à travers la question de la diversité culturelle. Si la reconnaissance de la diversité culturelle n'est pas le retour des cultures et du pluralisme culturel, elle signifie, par contre, le retour de l'altérité. Travailler sur les cultures, c'est nécessairement retrouver les philosophies de l'altérité. C'est cette irruption de l'altérité qui exige une mise en perspective plurielle et fluide car autrui ne se laisse pas voir, ne se laisse pas regarder et maîtriser facilement. L'Autre n'est pas un objet, mais une aventure, un devenir, un événement. L'anthropologie est, en ce sens, arrimée à l'éthique. De même, en redécouvrant, à travers la question de la diversité culturelle, la question de l'altérité, l'école redécouvre la question de l'éthique et celle de la définition d'un nouvel humanisme, d’un humanisme du divers.

3. Pour une anthropologie herméneutique :

Prendre en compte la diversité culturelle comme dynamique, c'est rompre avec les analyses et les pratiques qui s'appuient sur la description des différences pour expliquer les comportements et les attitudes par une appartenance à un groupe culturel. Il ne s'agit pas de s'appuyer sur des techniques de codage et de décodage des signes culturels, mais de tendre à comprendre autrui et non à le décrire et à le stigmatiser. L'anthropologie est en réalité une herméneutique dans la mesure où elle effectue un travail d'interprétation et non d'explication. En conséquence, c’est une formation à l’analyse et non une démarche descriptive qui fonde la découverte et la compréhension de la diversité culturelle.

4. Pour une anthropologie pragmatique :

La compréhension des cultures ne relève pas d'un paradigme du savoir (inventaire de particularismes, par exemple) mais d'une compétence pragmatique qui permet de saisir la culture à travers le langage, la communication, les actes, les comportements, c'est-à-dire de comprendre "une culture en acte" – une "culture mise en scène" par opposition à une "culture-système".
La culture de l'Autre n'est pas une "culture-cible" et ne peut, à ce titre, être érigée en objet autonome d'étude. Marquée par le contexte, inscrite dans un réseau d'intersubjectivités, la culture est utilisée pour signifier quelque chose, pour dire et pour agir. Elle assure, en ce sens, une fonction pragmatique au détriment des fonctions structurante, dénotative dans lesquelles on a souvent tendance à l'enfermer.

B. Approche de la diversité culturelle à travers les disciplines d’enseignement

La prise en compte de la diversité culturelle est une question de cadrage philosophique avant d'être une question de programmes. C'est en fait davantage la manière dont les enseignements disciplinaires vont être abordés qui importe plus que les contenus eux-mêmes. C'est pourquoi, il est essentiel que la philosophie sous-jacente au respect de la diversité culturelle soit comprise et perçue comme étant fondamentalement novatrice. C'est la nature même des enseignements qui se trouve infléchie et non pas la simple ouverture à d'autres cultures. L'ouverture à la diversité culturelle n'est pas de l'ordre du quantitatif (plus de cultures, plus de groupes, plus de modèles, etc.) mais de l'ordre de l'épistémologie par intégration du principe de variation entre des singularités potentielles, actualisées ou non dans des comportements et des pratiques, et une universalité fondatrice de l'humain – la diversité culturelle ne se réduisant pas à une simple addition de différences culturelles.

Quel est l'impact de cette introduction du divers dans les enseignements disciplinaires ? À défaut d'être exhaustif, nous envisagerons seulement les disciplines qui sont par essence des disciplines de l'altérité : les langues, la littérature, les arts, l'histoire, l'éducation civique.

1. Les langues :

Prôner le bi- voire le plurilinguisme fait désormais partie des évidences largement partagées. Pourtant, au-delà de la maîtrise d'une ou plusieurs langues et cultures, ce qu'il importe de développer, c'est essentiellement la compréhension et l'usage du Monde. Or, la mondialisation, l'internationalisation du quotidien ne se réduisent pas à une augmentation numérique du nombre des interlocuteurs. De même, le développement d'une compétence strictement linguistique d'une ou plusieurs langues n'induit pas systématiquement une meilleure ouverture éthique et intellectuelle sur autrui. Dès lors, à quelles conditions l'apprentissage d'une ou plusieurs langues, d'une ou plusieurs cultures peut-il répondre à des finalités éthiques autres que strictement fonctionnelles et instrumentales ?

La question de la précocité des apprentissages ou plus exactement de la maîtrise des langues par les jeunes enfants est de nos jours tranchée en faveur d'un plurilinguisme reconnu comme condition favorable d'une construction identitaire plurielle et d'une meilleure insertion sociale dans un monde plurilingue de fait. La question de la (ou des) langue(s) maternelle(s) par rapport aux langues étrangères ou secondes est de moins en moins posée en termes d'incompatibilité. Seules demeurent les conditions de leur mise en synergie au plan éducatif, d'abord, au plan social, ensuite, d'autant que désormais le plurilinguisme est devenu un critère de sélection professionnelle et que le monolinguisme est désormais considéré comme un handicap. C'est donc en fonction des ces évolutions sociales et professionnelles qu'il faut repenser la question des langues et non pas seulement dans une perspective individuelle. La reconnaissance d'un marché des langues introduit le plurilinguisme comme un impératif de la démocratisation de l'école.

Si la maîtrise de l'outil linguistique est une condition nécessaire à la communication, peut-on considérer qu'elle est une condition suffisante ? L'importance du non-verbal, l'incursion permanente de la variable culturelle, les stratégies discursives, les enjeux communicationnels complexifient considérablement la question de l'enseignement des langues. Apprendre les langues, apprendre de plus en plus de langues étrangères ou apprendre à communiquer dans un environnement de plus en plus hétérogène sur les plans linguistique et culturel ?

Les traditions éducatives et sociales ont, jusqu'à présent, privilégié l'apprentissage des langues par rapport aux apprentissages culturels. On passait, on passe de l'apprentissage d'une langue à l'apprentissage de la culture correspondante (cf. les enseignements de langue et civilisation étrangère dans l'université française, par exemple). Désormais, directement ou indirectement, tout individu est susceptible de rencontrer, travailler, discuter, échanger avec des individus dont il ne connaît pas la langue. En ce sens, la compétence culturelle devient première par rapport à la compétence linguistique. Dans quelle mesure faut-il envisager de privilégier les compétences culturelles par rapport aux compétences linguistiques et développer par exemple les cross-cultural studies tout en évitant le développement des stéréotypes culturels au nom de la connaissance ?

Les langues renvoient autant à la culture au sens civilisationnel, c'est-à-dire académique du terme (aspects littéraire, historique, économique, artistique, etc.) qu'à la culture anthropologique. La complémentarité des deux approches est à repenser en fonction des objectifs pédagogiques, car elles répondent à des besoins sociaux différents. Leur confusion, leur amalgame ou au contraire la promotion exclusive de l'une par l'autre invalident partiellement ou totalement l'enseignement des langues. Il convient donc de repenser leur articulation et les modalités de leur enseignement.

Les échanges scolaires souvent liés à l'apprentissage des langues et des cultures sont à repenser en fonction d'une véritable éducation cognitive et expérientielle préalable sous peine d'être réduits à du "tourisme scolaire" dont les incidences sur l'esprit d'ouverture et de tolérance sont loin d'être démontrés. La pédagogie des échanges scolaires relève d'une véritable pédagogie et d'apprentissages intellectuels, civiques et sociaux qui ne se suffisent ni de l'implicite, ni de l'évidence, ni de la déclaration d'intention. Apprendre objectivement et rationnellement les valeurs liées à l'altérité et à la diversité, tel est un des enjeux des échanges qui doivent sortir de l'esprit "bon enfant" qui les imprègne souvent.

2. L'histoire :

L'histoire se définit comme une mise en scène de l'Autre, comme une rencontre de l'altérité et du divers à travers l'espace et le temps. L'histoire comme l'anthropologie sont des sciences de l'altérité et donc du raisonnement car de l'interprétation. Elles relèvent en ce sens d'une démarche éthique.

La double dimension de l'histoire comme connaissance (dimension académique) et de l'histoire comme expérience de l'altérité et du divers (dimension humaniste) a souvent été niée au profit exclusif de la première. La volonté de prendre en compte la diversité culturelle impose de les réunifier.

A un enseignement de l'histoire conçu dans un contexte national – voire nationaliste, parfois – succède un enseignement qui ne peut éviter de s'arrimer aux mutations actuelles, notamment à l'internationalisation du quotidien et à la mondialisation des structures. C'est en ce sens que doivent être réfléchies, en relation avec la pédagogie et la didactique des questions comme :

- Enseignement de l'histoire et pratiques identitaires ;

- Le passage du pluralisme historique à la pluralité des points de vue historiques (histoires croisées, regards en miroir…) ;

- Le développement d'une histoire comparée

- Les relations histoire / mémoire et histoire / patrimoine ;

- Au plan méthodologique, l'histoire comme apprentissage de la décentration, de l'analyse critique et de la distanciation ;

- L'intelligibilité du passé comme intelligibilité du présent ;

- Une meilleure articulation des enseignements historiques, littéraires, philosophiques et artistiques, permettant de contextualiser et donc de mieux relativiser certains choix et événements historiques.

L'histoire comme connaissance, mais aussi l'histoire comme expérience, expérience de l'altérité et du divers. Comme pour les langues, il s'agit davantage d'un changement de perspective au sens philosophique du terme que d'un changement dans les programmes. L'élargissement d'une histoire nationale à d'autres histoires nationales ne change rien dans son principe si les axes de diversité et d'altérité ne sont pas des principes structurants mais réduits à un simple élargissement numérique.

3. La littérature :

Le texte littéraire, production de l'imaginaire, représente un genre inépuisable pour l'expérience de la rencontre avec l'Autre : rencontre par procuration mais rencontre tout de même. Produit de la culture en deux sens (culture académique et culture anthropologique), le texte littéraire est au cœur de la reconnaissance et de l'apprentissage du divers. La littérature permet d'étudier l'homme dans sa complexité et sa variabilité. C'est cette dimension humaniste qu'il convient de redécouvrir et d'accentuer. Comme écriture du multiple, comme espace de distanciation, comme illustration de la tension entre universalité et singularité, la littérature n'est pas un "supplément d'âme", mais elle est au cœur de l'expérience du divers. La reconnaissance de la littérature comparée et sa diffusion dès l'enseignement secondaire, l'ouverture de la littérature aux espaces francophone, anglophone, lusophone et hispanophone sont autant de condition du renouveau de la littérature dans une perspective d'ouverture sur l'altérité.

4. Les médias :

C'est par les médias que le monde est quotidien et proche, c'est par les médias que l'individu s'ouvre à l'expérience du monde, et c'est encore par eux que les connaissances se diffusent mais aussi se déforment. C'est donc aussi par les médias, mais surtout par une éducation aux médias que passe l'éducation à la diversité et à l'altérité. Apprendre à voir, à entendre, à se distancer, à relativiser, à contextualiser, à mettre en synergie des informations ponctuelles, éphémères et parfois contradictoires. Comment travailler avec les médias, comment apprendre avec eux, comment les utiliser et non être utilisés par eux, tels sont les enjeux, certes pas nouveaux, mais plus d'actualité que jamais, que l'éducation doit intégrer.

5. L'éducation artistique :

Dire que l'art, que les arts sont l'expression du divers, c'est énoncer une tautologie. Cependant l'éducation artistique, minorée ou normalisée, reste le parent pauvre d'une éducation de masse. Comment prendre en compte cette source incommensurable de richesse pour favoriser l'émergence de personnalités multiples riches de leurs différences et de leur diversité ? Comment s'ouvrir à l'autrui culturel dans des mondes et des environnements scolaires résolument monoculturels et d'ailleurs souvent en décalage par rapport à une société largement métissée ? Dans le domaine artistique, comme dans les autres domaines, l'élargissement ne peut se suffire d'une juxtaposition de mondes homogènes. Diversité et variation sont dans ce domaine aussi des principes structurants dont les incidences ne se présentent pas sur le seul registre cumulatif. Vivre dans un environnement scolaire multi-référencé sur le plan artistique est une des conditions de cette ouverture à la diversité culturelle. Celle-ci ne relève pas seulement du discours, des intentions mais de l’imprégnation, des conditions de vie scolaire qui restent malheureusement résolument hermétiques aux autres mondes.

Une investigation plus profonde de chaque discipline est souhaitable. Il ne s’agit ici que d’initier une démarche, un esprit, une philosophie et donc des pratiques d’enseignement qui s’articulent autour de la notion de diversité culturelle. Au-delà de l’objectif, il convient de s’appuyer sur la diversité elle-même. Il serait erroné de penser que l’apprentissage de la diversité culturelle n’est que le point d’aboutissement de la pédagogie. Elle en est, au contraire, le fondement.

C. Diversité culturelle et pédagogie

Prendre en compte la diversité culturelle, c'est prendre en compte la diversité des publics ainsi que la diversité des modes d'enseignement et des modes d'apprentissage. La question lancinante des modalités de cette prise en compte doit être posée. Entre l'établissement de profils (cognitifs, d'apprentissage, de travail…etc.) et l'introduction du principe de variation, il y a une différence de nature et pas seulement un élargissement des publics et des solutions éducatives.

C'est dans cet esprit qu'il conviendra d'analyser le passage d'une pédagogie différenciée à une différenciation de la pédagogie. C'est aussi dans cet esprit que l'on s'attardera sur la distinction fondamentale entre une approche par définition de catégories et de profils au détriment du principe de variation via la notion de vicariance, par exemple.

De même, l'expérience des enfants et des élèves se diversifie au maximum. On peut de moins en moins s'appuyer sur des apprentissages non scolaires présentés et admis comme identiques. Le rapport éducation formelle / éducation informelle, qui en soi n'est pas un principe nouveau, est à redécouvrir et à analyser. Différenciation des apprentissages mais aussi différenciation des parcours personnels, différenciation des expériences non scolaires, différenciation des savoirs personnels, autant de différenciations que l'école ne peut plus ignorer. Selon quelles modalités, selon quels principes ? La réponse n’est pas dans la juxtaposition de publics, la juxtaposition de démarches, de pédagogies, de spécialisations de la pédagogie mais, là encore, dans l’introduction du principe de variation en évitant de rechercher une liaison systématique et causale entre des profils, des pratiques et des groupes culturels, ethniques ou sociaux.

La relation éducative est marquée par cette volonté de sortir des processus de catégorisation : tel enfant, tel public pour telle pédagogie. Entre connaître et re-connaître, c'est toute une éthique de l'éducation et de la diversité qu'il faut développer. Comment construire une relation éducative qui ne soit pas une relation de maîtrise par identification a priori et assignation identitaire autoritaire ?

On ne saurait prétendre à l’exhaustivité dans cette approche, mais une réflexion sur la progression de la maternelle à l’université est urgente avec la nécessité de s’interroger sur la chronologie des priorités et des actions. Au-delà des spécificités de chaque niveau, il conviendrait d’inverser les habitudes : commencer les réformes à la maternelle pour ensuite atteindre le niveau universitaire. Pourquoi ne pas envisager une démarche inverse et commencer les réformes à l’université ? En effet, les cadres éducatifs, sociaux, économiques d’un pays ou d’une société sont formés à l’université et dans les établissements d’enseignement supérieur. Ce sont les cadres de demain, ils peuvent multiplier et mettre en œuvre instantanément de nouvelles orientations. Inutile donc d’attendre que la réforme atteigne le niveau universitaire : il faut commencer par lui, ou, tout au moins : l’impliquer dans le même temps que la maternelle, le primaire et le secondaire.

D. Approche civique et éthique

Connaître les cultures ou faciliter la compréhension de l’expérience humaine dans sa diversité, sa singularité et son universalité ? Il est plus que nécessaire de jeter un pont entre le discours de la connaissance et celui de l’éthique. Approche éthique au sens où l’éthique est le lieu d’exercice de l’interrogation et du jugement critique contrairement à l’éducation morale qui est le lieu de l’application des normes et des références. L’expérience de la diversité culturelle exige d’apprendre à interpréter et comprendre des informations ambiguës et incomplètes. Rien ne prouve, et malheureusement les horreurs de l’histoire le confirment, que la morale et l’esprit civique sont les conséquences directes de la connaissance. Ils ne se fondent pas seulement sur une positivité et une approche académique des groupes culturels. La connaissance des cultures ne peut, en ce sens, être un préalable à l’émergence de comportements moraux. L’éthique s’inscrit, s’insinue, supporte et sous-tend la formation elle-même. Connaissances et valeurs sont étroitement mêlées et ne sont pas dans une relation de causalité ou de conséquence. Elles ne se situent pas non plus dans une diachronie mais dans une synchronie qu’il convient de repenser, de penser et d’articuler.

1. L’éducation aux Droits de l’Homme :

Les Droits de l’homme sont désormais présentés et reconnus comme la pierre angulaire de l’éducation civique. Nous ne nous attarderons pas sur le contenu d’un enseignement aux Droits de l’homme (textes, dates, instances internationales… font déjà l’objet d’un accord). Par contre, l’adhésion aux valeurs, y compris aux valeurs démocratiques ne fait pas, au-delà d’une adhésion spontanée, l’objet d’un consensus fort. Pour qu’il y ait éducation, encore faut-il que l’école objective ses propres choix éthiques, que ceux-ci soient en cohérence avec le projet de société (très souvent non formulé et réduit à des mesures techniciennes, politiciennes qui ne fondent pas une cohérence, tout au plus un programme d’actions). Il s’agit d’élaborer une pédagogie du sujet, active et responsabilisante afin de permettre aux élèves de structurer et d’organiser leur socialisation comme une ouverture à autrui.

2. La laïcité, une notion moderne et prospective :

Inscrite dans un contexte, un temps et un lieu, la laïcité n’en demeure pas moins une notion moderne et ouverte qu’il conviendrait de redécouvrir. Si la reconnaissance de la diversité se définit comme autre chose qu’une simple addition d’homogénéités, la notion de laïcité devient une condition de la tolérance en acte. La dévalorisation dont elle fait l’objet au nom de son ancrage historique mérite d’être remise en question. La nécessité de relier singularité et universalité dans un équilibre permanent s’appuie sur une laïcité positive. Il serait peut être temps de sortir du tabou qui marque cette notion au nom d’un contexte, au nom aussi de sa faible représentation numérique. La validité d’un concept ou d’un principe n’est pas dans son poids numérique. Il convient de relancer la réflexion au nom justement de la nécessité de rendre opérationnelle la diversité culturelle au plan politique, social et éducatif.

E. Approche institutionnelle : école plurielle ou pluralisme des écoles ?

L’accommodation d’un projet éducatif à la réalité plurielle de la société signifie-t-elle un pluralisme des cursus, un pluralisme scolaire en liaison avec les appartenances groupales ? A une école intégrationniste, chargée d’assurer la convergence des cultures vers une culture dominante faut-il substituer une école adaptée à la diversité des publics, en prônant une école polymorphe, atomisée et pluri-normative ? Le pluralisme est alors envisagé comme la multiplication de systèmes culturels, plus ou moins compatibles et hermétiques les uns aux autres, comme une mosaïque scolaire sans cohésion, ni cohérence d’ensemble. Comment concilier la liberté de choix, la reconnaissance de la diversité et la nécessité de ne pas réduire l’apprentissage de la diversité culturelle à l’apprentissage statistique des différences ?

Le rôle, la place et les objectifs de l’école dans une société plurielle restent à définir. Cette réflexion ne peut faire l’impasse de la définition d’un projet social qui soit autre chose que la recherche d’intérêts particuliers. Repenser l’institution scolaire en fonction de la diversification du tissu social demeure un préalable à toute définition de programmes ou de pratiques. Cela renvoie à un choix de société et donc à un choix de citoyenneté.

Reconnaître et former à la diversité culturelle entraîne une véritable mutation de la pensée et des pratiques. Il ne s’agit pas d’un simple élargissement par extension ou addition de modalités d’être et de faire. La diversité culturelle ne sortira du registre discursif et intentionnel qu’à la condition de dégager un projet philosophique, social et politique fondamentalement novateur. Ceci est en quelque sorte, une invitation à fonder un nouvel humanisme.


Bibliographie indicative :

Abadallah-Pretceille, M. & Porcher, L. : Ethique de la diversité et éducation, PUF, Paris, 1998.
Affergan, F. : Exotisme et altérité. Essais sur les fondements d’une critique de l’anthropologie, PUF, Paris, 1987.
Derrida, J. : L’écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967.
Glissant, Ed : Introduction à une poétique du divers, Paris, Gallimard, 1996.
Labarrière, P.J. : Le discours de l’altérité. Une logique de l’expérience, PUF, Paris, 1983.
Levinas, E. : Humanisme de l’autre homme, Ed Fata Morgana, Paris, 1972.
Meunier, J. : Le monocle de Joseph Conrad, Ed de la Découverte, Paris, 1987.
Edouard Glissant : Carrefour des littératures européennes, 4 Novembre 1993, Strasbourg (in Le Monde du 5 Novembre 1993)



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