Pour les enfants qui vivent dans les zones les plus reculées, de l'Angola à la Zambie en passant par le Bangladesh et le Brésil, l'école est souvent concurrencée par d'autres demandes sollicitant leur temps et leur énergie: aller chercher de l'eau, garder les troupeaux et s'occuper de leurs jeunes frères et sœurs. Beaucoup de parents pensent que l'école est trop éloignée, trop onéreuse ou simplement qu'ils ne peuvent pas se permettre d'envoyer leurs enfants sur les bancs de l'école et perdre ainsi une aide pour les travaux ménagers ou agricoles. Mais le savoir est une arme puissante pour libérer ces enfants et leur famille du cycle de la pauvreté et de la faim. Les populations rurales ont besoin de plus d'écoles avec des méthodes et techniques d'enseignement améliorées et adaptées à leurs véritables besoins.
Lavinia Gasperini, organisatrice d'un séminaire sur ces questions, parle du partenariat de la FAO et de l'UNESCO auquel participent des organisations internationales, des gouvernements, des universités et des ONG.
Q: Quelques 840 millions de personnes sur la planète souffrent de la faim et 880 millions d'adultes environ sont illettrés - ces chiffres sont singulièrement similaires. De quelle façon sont-ils liés?
R: Les 840 millions de personnes sous-alimentées et les 880 millions d'adultes illettrés sont, dans la plupart des cas, les mêmes personnes, des pauvres vivant en milieu rural. Mais nous devons y ajouter 130 millions d'enfants illettrés, ce qui élève le nombre total d'illettrés à plus d'un milliard. Il y a environ 180 millions d'enfants sous-alimentés. Les problèmes de l'illettrisme et de la faim sont liés: des études ont montré qu'accroître le niveau d'éducation a un effet direct sur l'amélioration de la production agricole. Une étude de la Banque Mondiale par exemple a montré qu'une augmentation de la scolarisation des femmes peut accroître la production agricole de 24 pourcent.
Q: L'éducation et le développement rural permettent aux populations de se libérer de la pauvreté. De quelle façon une nouvelle approche combinant ces deux éléments peut-elle aider à résoudre le problème de la pauvreté ?
R: La collaboration entre les spécialistes de l'éducation et de l'agriculture est un pas important vers une solution au problème de la pauvreté. Elle a mené à la création d'un nouveau partenariat dénommé L'éducation pour les populations rurales, lancé lors du Sommet Mondial pour le Développement Durable de Johannesbourg (août 2002). Cette initiative appelle les membres de la communauté internationale - les gouvernements, les agences des Nations Unies et la société civile - à joindre leurs forces et à travailler ensemble pour répondre aux besoins des populations rurales les plus pauvres. Jusqu'à maintenant, nous avons travaillé de façon très spécialisée - chacun s'intéressant à son propre domaine: la FAO s'occupe de la faim, l'UNESCO de l'éducation. Aujourd'hui nous savons que nous devons travailler ensemble pour nous adresser à des personnes qui ont des problèmes similaires. Les problèmes - et les solutions- à la faim et à l'illettrisme sont liés.
Q: Quels sont les principaux obstacles à l'éducation en milieu rural ?
R: La plupart des personnes pauvres et qui souffrent de la faim dans le monde vivent dans des zones rurales. Les enfants qui ont faim ne peuvent pas aller à l'école et apprendre. La faim handicape leur croissance mentale et physique. Si des millions d'enfants ne peuvent pas apprendre, ou sont forcés de travailler au lieu d'aller à l'école, nous n'atteindrons pas l'objectif de Développement pour le Millénaire d'assurer l'éducation primaire pour tous. Il y a également des problèmes d'infrastructures - on manque d'écoles dans les zones rurales parce que l'Etat investit d'abord dans les zones urbaines. Puis, il y a le problème d'un parti-pris urbain dans les méthodes d'enseignement - la plupart des choses enseignées à l'école sont préparées par des spécialistes des villes pour des élèves des villes, et sont enseignés dans la langue officielle au lieu de la langue parlée dans le village.
Q: Comment inciter les enfants qui travaillent à aller à l'école ?
R: Il faut trouver des moyens pour les motiver à aller à l'école et pour encourager leurs parents à les y envoyer, par exemple en leur offrant un déjeuner ou une collation en milieu de matinée. L'estomac plein, les enfants pourront se concentrer et mieux apprendre. L'enseignement devrait être adapté à leurs vies. Ils s'intéressent certainement davantage à la façon de traire une vache ou d'utiliser des pesticides qu'au cirque ou au supermarché. Le calendrier scolaire devrait prendre en compte leurs rythmes de vie. Par exemple, il ne peut pas y avoir classe pendant la saison des récoltes et parfois, il peut être nécessaire d'avoir des cours du soir pour les enfants qui travaillent dans les champs pendant la journée. Certains enfants font partie de familles nomades, il y a donc besoin d'écoles mobiles - des caravanes - pour pouvoir les suivre partout. Ce ne sont que quelques exemples.
Q: Est-ce si important d'adapter les méthodes d'enseignement y compris la langue, à la culture et aux valeurs locales?
R: C'est même crucial. Le développement intellectuel des enfants est très lié à la langue qu'ils parlent. S'ils reçoivent des cours dans leur langue maternelle, leur intelligence se développe, mais apprendre dans une langue qu'ils ne comprennent pas gêne leur développement. Il est très important d'adopter la langue du village dans les zones rurales. Souvent ce n'est pas le cas car il y a dans certains pays beaucoup de langues différentes et il est plus facile d'utiliser la langue officielle.
Q: Y a-t-il une différence entre la scolarisation des garçons et celle des filles? Pourquoi?
R: Les filles ont en général moins de chances d'aller à l'école que les garçons. Les raisons sont d'ordre aussi bien pratique - les parents ne peuvent souvent pas payer les frais de scolarité et le matériel scolaire - que culturel - les filles sont censées s'occuper des tâches ménagères et on ne les encourage pas à étudier. Selon de récentes études, en Inde par exemple, 17,3 % des filles déclarent qu'elles ne vont plus à l'école car on a besoin d'elles pour travailler à la maison. Des parents ont peur que leur fille, éduquée, ne trouve pas de mari ou soit attirée par la ville et quitte sa famille. Les parents sont également souvent préoccupés par la sécurité de leur fille à l'école et ont peur qu'elle se fasse agresser sur le chemin de l'école.
Q: Comment encourager les parents à envoyer leurs filles à l'école?
R: Il devrait y avoir une école dans chaque village de sorte qu'une fille n'ait pas à entreprendre un long ou périlleux trajet pour se rendre en cours. Des bourses peuvent être attribuées aux familles pour alléger les coûts. Une autre solution serait d'avoir des professeurs de sexe féminin ou, lorsqu'il n'est pas acceptable d'avoir ensemble filles et garçons, d'avoir des classes uniquement composées de filles.
Q: Un séminaire sur l'éducation en milieu rural s'est récemment tenu à la FAO, quels étaient les participants et quels en étaient les objectifs au plan national et international?
R: Ce séminaire a réuni des organisations internationales comme les Nations Unies, la Banque Mondiale, l'UNICEF, et des pays - la France, la Norvège et les Etats-Unis - ainsi que des ONG. Notre objectif était de mettre l'éducation des populations rurales au coeur de l'ordre du jour de l'aide internationale comme un élément crucial de la lutte contre la pauvreté. Et de donner la parole à ceux qui ne l'ont pas.
Quelques chiffres:
1 milliard: nombre de personnes illettrées dans le monde
840 millions: nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde
180 millions: nombre d'enfants mal nourris
130 millions: nombre d'enfants qui ne vont pas à l'école
70 pourcent:pourcentage depauvres vivant dans les zones rurales
15,3 pour cent: pourcentage de lettrés au Niger (chiffres de 1999).
7,9 pour cent: pourcentage de femmes lettrées au Niger (chiffres de 1999).
13,1 pour cent: pourcentage de filles indiennes n'ayant jamais été à l'école car elle est considérée comme inutile
15,6 pour cent: écoles rurales de Côte d'Ivoire n'ayant pas d'électricité
52,6 pour cent: enfants mexicains indigènes ne recevant aucune aide pour leurs devoirs.