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Date :  2002-10-04
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Droits culturels

Droits culturels

Source :  Bernard Grelon


L’affirmation, dans la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, selon laquelle les « droits culturels » relèvent des droits de l’homme, peut n’être perçue que comme un rappel des principes énoncés par l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et les articles 13 et 15 du Pacte international relatif aux droits économiques et sociaux.

Cette affirmation peut être perçue comme l’indice des difficultés rencontrées pour donner une effectivité satisfaisante aux différentes déclarations affirmant l’existence de droits culturels. Il n’en demeure pas moins que cette réitération s’inscrit dans un double mouvement : l’affirmation que les droits culturels s’inscrivent dans la nécessité d’œuvrer pour la diversité culturelle, et l’affirmation qu’ils ne sont concevables que comme parties des droits de l’homme et ne peuvent donc légitimer une atteinte à ces droits.

Les droits culturels présentés comme instruments de la diversité culturelle tendent d’abord à préserver ce qu’il est convenu de nommer l’identité culturelle. Mais ces droits doivent aussi préserver les conditions de développement d’une création d’œuvres culturelles dont la diversité est la condition de la richesse intellectuelle des cultures.

Il est devenu habituel de distinguer le droit des biens culturels de celui des activités culturelles. Traditionnellement, la nécessité d’un droit du patrimoine culturel qui assure la protection des biens immobiliers et mobiliers est sans doute plus universellement admis que la nécessité de protéger et développer les instruments et les cadres d’activités culturelles diversifiées, même si l’histoire offre de nombreux exemples de négation de ces droits.

Nombreux sont les États ou les groupes d’États qui, comme la France ou l’Union européenne, ont édicté des dispositions législatives destinées à protéger leur patrimoine en imposant notamment à leurs propriétaires des contraintes destinées à assurer leur conservation et à limiter, voire interdire, leur déplacement.

Mais ces efforts des États, pour aussi importants qu’ils soient, ne sont pas suffisants. L’effort international doit donc compléter et renforcer les effets nationaux et régionaux. Si la protection du patrimoine se heurte à des difficultés importantes et à l’hostilité des lobbies du marché de l’art qui protestent contre les restrictions que ces textes apportent à la circulation marchande des grandes œuvres du passé, la difficulté est encore plus grande lorsqu’il s’agit de garantir la diversité des pratiques culturelles dans le respect de l’identité culturelle des artistes et créateurs.

Dans cet ordre d’idées, la reconnaissance des langues régionales constitue un effort pour maintenir, voire faire renaître des traditions culturelles étouffées par le centralisme des États ou la colonisation. Mais ces efforts, outre qu’ils constituent des remparts extrêmement fragiles contre les mécanismes du marché mondial, ne sont en rien une garantie de la créativité sans laquelle la tradition culturelle n’est plus que folklore. Les droits destinés à favoriser la créativité peuvent privilégier le mécanisme de création des œuvres ou développer les incitations en faveur des auteurs.

Dans le domaine des industries audiovisuelles, l’institution de quotas de productions nationale ou régionale constitue un des moyens (largement soutenu par les producteurs d’œuvres audiovisuelles françaises) de maintenir un espace où l’identité culturelle est censée pouvoir s’exprimer. L’exception culturelle que ces quotas devraient permettre de renforcer est, en effet, présentée comme l’instrument indispensable d’une véritable diversité culturelle. Dans d’autres secteurs, la protection des filières culturelles a été assurée par des politiques législatives ou conventionnelles de régulation des prix, afin d’éviter que la concentration des circuits de distribution ne pèse sur les producteurs des œuvres. La protection de l’œuvre ou plus exactement de son accès au marché, ne suffit pas. Un autre effort constant est celui d’améliorer la situation des créateurs.

Les dispositifs de protection mis en place pour les créateurs s’articulent autour de la reconnaissance des droits d’auteurs. Mais, outre que cette notion connaît une dilution certaine avec l’assimilation à des droits d’auteurs de droits – sur des logiciels notamment – qui n’ont pas grand chose à voir avec la création culturelle, les droits d’auteurs obéissent à un statut ambigu. Traditionnellement conçus, au moins en droit français, comme le moyen devant permettre aux auteurs de recueillir les fruits de l’exploitation de leurs œuvres (droits patrimoniaux) et le moyen de préserver l’intégrité de ces œuvre (droit moral), le droit d’auteur est très largement le mode d’appropriation, par les industries culturelles, du capital intellectuel.

Par l’effet de la cession des droits patrimoniaux aux exploitants, la protection accordée a revêtu une importance croissante pour les industriels de la culture dans l’économie mondiale. De leur côté, les textes communautaires, au travers de la durée du monopole d’exploitation, de droits de location et de prêt, les règles relatives au logiciel et aux bases de données, s’apprêtent à poser un cadre nouveau adapté à la société de l’information. Ce faisant, ils ont privilégié les investisseurs, ignorant les créateurs. La priorité est à l’entreprise qui exploite les droits.

Le déséquilibre s’accentue davantage avec la signature des accords ADPIC (1) dans lesquels la logique est similaire. Le texte favorise une interprétation restrictive des droits d’auteurs auxquels l’accord fait référence en imposant la condition qu’« ils ne puissent constituer des entraves au commerce légitime ».

Le traitement de la propriété intellectuelle comme instrument du commerce international va jusqu’au bout de cette logique en mettant volontairement à l’écart le droit moral. L’intérêt du créateur n’entre pas dans les prévisions du législateur communautaire. L’ambivalence des droits culturels fragilise ainsi leur condition sous la poussée d’un ordre juridique communautaire et mondial aux préoccupations essentiellement économiques. Face à la menace qui pèse sur les fondements du droit et de la culture, la réaffirmation de l’appartenance des droits culturels aux droits de l’homme est l’indice d’une résistance à ce mouvement d’assimilation de certains droits culturels à de simples droits économiques.

Finalement, l’affirmation de l’appartenance des droits culturels aux droits de l’homme présente plusieurs dimensions. Elle participe d’abord de l’affirmation de l’universalité de ces droits et de leur importance. Elle implique aussi la négation de toute contradiction possible entre droits de l’homme et droits culturels. Ces derniers ne sauraient justifier des atteintes ou des violations des droits de l’homme. Il ne peut, ou plus exactement, il ne doit pas y avoir de contradiction entre les droits culturels et les droits de l’homme. Pour satisfaisante qu’elle puisse paraître, l’affirmation de l’interdépendance relève parfois de la pétition de principe ou d’une sympathique utopie que la pratique des Etats et des groupes sociaux se charge souvent de démentir. Dans un autre ordre d’idées, il existe une incertitude sur la nature des droits culturels.

Traditionnellement, s’opposent les droits civils et politiques opposables à l’État et les droits sociaux qui sont exigibles de lui. Les premiers imposent simplement à l’État de respecter les droits des sujets et éventuellement de mettre en place les instruments juridiques permettant aux sujets d’acquérir ces droits. Les seconds imposent une intervention de l’État qui devient débiteur et prestataire au profit des sujets de droit. Les droits culturels ne sont sans doute pas homogènes. Car plus que de droits autonomes s’ajoutant aux droits civils et politiques et aux droits économiques et sociaux, les droits culturels sont des modalités d’exercice des droits de l’homme ou de certains d’entre eux. Dans tous les cas, les États sont au centre de ces dispositifs. Mais ils y jouent un rôle ambigu.

Ces divergences, dont certaines, sont essentielles, font ressortir la nécessité et la difficulté de la mise en œuvre effective de ces droits qui ne peut être laissée à la seule discrétion des États. Se pose alors avec acuité la question de l’instrument juridique qui pourrait être mis en place de l’ordre international actuel.


(1) ADPIC : Accord de l'OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Cet accord a pour objet d'atténuer les différences dans la manière dont ces droits sont protégés de par le monde et de soumettre ces droits à des règles internationales communes (source : OMC).



(Le présent article est issu d'une étude longue du même auteur, que vous trouverez à l'adresse suivante : Les droits culturels)


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