La Commission européenne a publié le 22 mai une proposition de recommandation du Conseil relative à une approche globale de l’enseignement et de l’apprentissage des langues.
Elle ne répond que partiellement à l’invitation du Conseil européen du 14 décembre 2017 à faire des propositions « en vue de renforcer l’apprentissage des langues et de faire en sorte que davantage de jeunes parlent au moins deux langues européennes en plus de leur langue maternelle », reprenant ainsi l’objectif du Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002, soit quinze plus tôt.
La Commission constate globalement l’échec des politiques menées par les États membres.
« À l’heure actuelle, les États membres n’accomplissent pas suffisamment de progrès vers la réalisation de l’objectif convenu lors du Conseil européen de Barcelone de 2002 invitant à prendre de nouvelles mesures pour l’enseignement d’« au moins deux langues étrangères dès le plus jeune âge ». « Si la plupart des élèves de l’Union commencent à apprendre une première langue étrangère plus tôt que ce n’était le cas au cours des décennies précédentes, le niveau d’ambition est encore faible en ce qui concerne la deuxième langue étrangère. Le pourcentage des élèves qui commencent à apprendre leur première langue étrangère à l’école primaire est actuellement de 83,8 %, ce qui représente une hausse de 16,5 points de pourcentage par rapport à 2005. Toutefois, l’on dénombre encore 11 pays dans lesquels une deuxième langue étrangère n’est pas obligatoire dans l’enseignement secondaire général et, dans 16 systèmes d’enseignement, les étudiants de l’enseignement professionnel apprennent nettement moins de langues étrangères que leurs homologues de l’enseignement général. »
« Si l'on change de perspective et que l’on se place du point de vue de l’acquisition effective de compétences plutôt que de celui de la simple participation à l'apprentissage, les études constatent un niveau de maîtrise généralement faible à la fin de la scolarité obligatoire, ainsi que de très grandes différences entre les États membres. »
La Commission ne fait aucun diagnostic de cette absence de résultat. Mais elle émet quelques propositions que l’on pourrait interpréter comme un début de diagnostic permettant de comprendre pourquoi en matière d’enseignement des langues, on a réellement perdu 15 ans.
La commission recommande ainsi de mieux mettre en cohérence les autres politiques avec l’objectif de Barcelone.
On peut en effet s’étonner par exemple que le cadre stratégique pour la coopération européenne dans le domaine de l’éducation et de la formation (« Éducation et formation 2020 ») adopté en 2009 ne fasse aucune référence à l’objectif de Barcelone et les rapports conjoints du Conseil et de la Commission de 2012 et 2015 sur la mise en œuvre du cadre stratégique, n’en font pas davantage mention. Il n’y a donc pas eu de stratégie de mise en œuvre de l’objectif de Barcelone et les États membres ayant agi de manière désordonnée, avec une volonté politique variable, on comprend aisément qu’aucun résultat tangible n’ait été obtenu à ce jour. Et le principe de subsidiarité ne saurait en aucun cas justifier la pusillanimité aussi bien du Conseil, de la Commission et des gouvernements nationaux dans ce domaine.
Sans vouloir donner dans la caricature, nous pouvons dresser un raccourci de ce qui s’est passé au cours de quinze années écoulées.
Le coup d’envoi a été donné par le gouvernement britannique de l’époque, dirigé par Tony Blair, qui en 2004 a rendu facultatifs les enseignements de langues vivantes après le collège. Il s’est ensuivi un effondrement des langues vivantes enseignées au lycée, au premier rang desquelles le français, mais la mesure a été astucieusement présentée comme un progrès parce que dans le même temps il avait été décidé de mettre en place à l’école primaire des enseignements de sensibilisation aux langues.
La plupart des pays ont fait de même, en ce qui concerne le premier degré, ce qui a bénéficié exclusivement à l’anglais, alors qu’un peu de volonté aurait permis de développer « dès le plus jeune âge » des enseignements diversifiés. Mais plusieurs pays lui ont également emboîté le pas en ce qui concerne l’enseignement secondaire supérieur (le lycée correspondant au CT3 de la classification internationale), soit en ne gardant qu’un enseignement optionnel, soit en limitant l’enseignement à une seule langue.
L’abaissement de l’âge des premiers apprentissages en langue s’est ainsi fait au détriment des enseignements des secondes langues vivantes au niveau du second cycle de l’enseignement du second degré, c’est-à-dire du lycée.
L’anglais s’est imposé à un niveau très élevé à l’école primaire (moins de 5 % apprennent deux langues en moyenne, mais 30 % en Estonie et en Grèce, 83 % au Luxembourg) et s’est renforcé au niveau du lycée (la proportion d’enseignement en une seule langue passant de 36,3 % à 39,5 % de 2005 à 2015), donc de l’enseignement supérieur, les secondes langues ne progressant qu’au niveau du collège (les enseignements à deux langues passant de 46,7 % à 58,8 %).
Si la concentration sur l’anglais s’est accentuée, cela ne veut pas dire que le niveau en anglais s’est élevé.
Mis à part les diplômés de l’enseignement supérieur aux niveaux les plus élevés, le niveau de la population en langue ne semble pas avoir progressé sur la période. S’il s’est à peine maintenu pour l’anglais, il a régressé dans les autres langues.
Le rapport « Les Européens et leurs langues » de 2012 signalait déjà la très grande inertie des États membres. « Seuls huit États membres remplissent l’objectif de long terme de l’UE qui prévoit que chaque citoyen puisse s’exprimer dans au moins deux langues étrangères, avec une majorité de citoyens répondant à cette exigence ».
Entre 2005 et 2012, en fait très peu de pays ont progressé du point de vue du nombre de personnes se déclarant capables de parler deux langues : les Pays-Bas (+2), la Lettonie (+3), la Lituanie (+1), la Finlande (+1), l’Allemagne (+1), l’Irlande (+5), et l’Italie (+6).
Ainsi, sur la période 2005-2012 on constate une baisse des sachant s’exprimer en au moins une langue de 2 points (56 %→54 %), une baisse également des sachant s’exprimer en au moins deux langues de 3 points (28 %→25 %) et une augmentation corrélative des personnes ne sachant s’exprimer en aucune langue étrangère de 2 points (44 %→46 %).
On attend avec impatience une mise à jour de ces données.
Globalement, au niveau européen, les politiques linguistiques éducatives sont un échec.
Les causes de cet échec sont complexes.
La première cause est probablement que les gouvernements et les décideurs en sont restés au discours et ont pensé que, vu d’un point de vue étroitement économique, l’anglais était suffisant et s’imposerait de lui-même.
Ce comportement est signe d’un grand aveuglement et d’une absence totale d’ambition européenne.
Il faut donc revenir aux fondamentaux posés à Barcelone et rappelés au Conseil européen du 14 décembre 2017, mais cette fois-ci se doter d’une vraie stratégie linguistique à laquelle les États membres devraient adhérer.
Voici cinq orientations qui nous semblent fondamentales
1re orientation : confirmer l’objectif d’au moins deux langues européennes en plus de la langue maternelle.
Il ne s’agit pas de nier l’utilité au niveau mondial de lingua franca, qui ne se limitent pas à l’anglais. Mais l’ambition doit être politique et culturelle et pour un individu, l’usage d’une ou plusieurs langues étrangères n’est pas une question purement alimentaire, même si cela peut être le cas.
2e orientation : Travailler sur tous les niveaux d’enseignement. Viser l’objectif que tous les jeunes ou le plus grand nombre possible d’entre eux puissent s’exprimer en au moins deux langues européennes, nécessite d’agir à tous les niveaux d’enseignement, de l’école primaire, voire de la maternelle à l’enseignement supérieur, celui-ci devant être inclus et non exclus (sous-entendu réservé à l’anglais) de la politique linguistique éducative. L’objectif crucial qui devrait être introduit comme un objectif, et non une simple recommandation, ce qui figure dans la proposition de la Commission européenne, c’est l’obligation de deux langues vivantes au niveau du baccalauréat, y inclus l’enseignement professionnel. Compte tenu de la très grande diversité des situations, il est difficile de recommander un modèle plutôt qu’un autre. Signalons toutefois que deux modèles permettent d’y parvenir. D’abord le modèle suivi par la Finlande, la Suède, la Roumanie, la France, la Slovaquie, la République tchèque, la Slovénie, la Croatie, la Lettonie et l’Estonie, où deux langues sont obligatoires sous tout ou partie du premier cycle et tout le second cycle du second degré, avec autour de 80 % d’élèves et plus présentant deux langues au baccalauréat. Un second modèle où la seconde langue n’est obligatoire qu’au second cycle du second degré. C’est notamment le cas de la Bulgarie, de la Communauté francophone de Belgique et de l’Autriche.
3e orientation : S’inscrire résolument dans une optique d’une « éducation plurilingue et interculturelle », considérant la compétence linguistique comme une compétence globale qu’un individu gère tout au long de sa vie.
4e orientation : nécessité d’évaluer le seul élément tangible des quinze années écoulées, à savoir l’abaissement de l’âge des premiers apprentissages en langue, c’est-à-dire au niveau de l’école primaire (CT1). On peut imaginer que les réalisations sont très hétéroclites. Quand dans certains pays, le nombre d’heures hebdomadaires se limite à une heure, alors que le nombre d’heures permettant d’espérer un résultat est plutôt de 3 heures par semaine, et quand les enseignements sont dispensés par des enseignants non ou mal formés, on peut considérer qu’il s’agit d’un gaspillage de l’argent public.
5e orientation : Diversifier. Le but n’est absolument pas d’éliminer l’anglais, mais d’éviter d’aligner les politiques sur les moins offrants linguistiques. Commencer en primaire, en allemand, espagnol ou italien n’a absolument rien de scandaleux. Il faut bien sûr qu’ensuite ces langues soient poursuivies dès la première classe du collège en parallèle avec une langue internationale comme l’anglais. En effet, l’attirance pour l’anglais, ne vient pas de la langue anglaise, et c’est bien dommage, mais du caractère international de cette langue. D’une manière générale, les enfants qui ont démarré par une autre langue que l’anglais, deviennent rapidement aussi bons sinon meilleurs en anglais que ceux qui ont eu l’anglais en première langue.
La proposition de la Commission européenne de Communication du Conseil sur les langues devrait contenir une vraie stratégie, sinon, on pourra en rediscuter dans quinze ans.