L’actualité sportive mondiale résonne actuellement des clameurs de la 21e Coupe du monde de football masculin dont les matchs se déroulent en Russie. Dans moins d’un an, la France accueillera la 8e Coupe du monde de football féminin. Si l’engouement médiatique international pour le premier événement n’est plus à démontrer, qu’en sera-t-il réellement pour le second ? Et même si, depuis quelques années, on note un réel attrait pour la pratique et la diffusion du football féminin, on peut légitimement imaginer que les hommes en crampons focaliseront largement sur leurs maillots les objectifs des caméras et, par contraste, relégueront leurs consœurs dans une relative confidentialité médiatique. Comme si les uns et les autres ne pratiquaient pas le même sport. A moins que les sportives ne se heurtent encore et toujours au mur de verre de l’inégalité des sexes.
En 1960, au lendemain des Jeux de Rome, un éminent patron de presse écrivait : « Dans tout cet échantillonnage de médailles glanées par les grandes puissances sportives du monde, nous pouvons abandonner le plus grand nombre sans aucune amertume : celles qui ont été enlevées par ces femmes pachydermes, ces dames-canons ou ces moitiés d’hommes » (Bouzinac, Rome. Unique objet de nos ressentiments, 1960).
Depuis cette date, la vision des footballeuses a – heureusement – nettement évolué. Le chemin parcouru par le sport féminin de compétition et particulièrement le football est sans doute pour beaucoup des cette métamorphose. Pour preuves, les statistiques de la Fédération française de football : à peine 35 000 licenciées à l’aube du XXIe siècle contre plus de 103 000 en 2016. Un triplement des effectifs qui pourrait satisfaire de prime abord. Sauf que notre optimisme est largement tempéré par le fait que ce bataillon de sportives ne constitue qu’environ 5 % de l’ensemble des licenciés de la FFF.
Que nous inspirent à la fois la remarque plus que désobligeante et absolument misogyne de Bouzinac et les chiffres que nous venons de mentionner ? Sans doute que depuis ses débuts, la pratique féminine du football n’est jamais appréhendée en tant qu’entité autonome et qu’elle demeure vassalisée à celle des hommes, comme si la première ne pouvait exister qu’en comparaison avec la seconde.
Nous tenterons ici de souligner que l’empreinte masculine sur le football féminin est concomitante à son développement actuel, tout en constatant l’apparition d’un paradoxe imparable : si le fait que les femmes pratiquent davantage et en plus grand nombre pourrait laisser penser que cette pratique s’émancipe, il n’en demeure pas moins que l’omni-référence à la pratique masculine (comparaison ou encadrement) renforce finalement une image du football comme un « sport de tradition masculine »
(Tout part) des hommes
Si, en 2010, l’Olympique Lyonnais féminin est déjà finaliste (méconnu) de la Women’s Champion’s League avec certaines joueuses qui font encore le bonheur de la sélection nationale (Henry, Renard…), l’équipe de France masculine, quant à elle, vice-championne du monde quatre ans plus tôt, défraie la chronique en Afrique du Sud, en refusant de descendre du bus lors du premier tour de la Coupe du monde. Et comme le mentionne Diana :
« Il est incontestable de relever l’événement de Knysna ou « la grève improbable », telle que la désigne le sociologue Stéphane Béaud (2011) agencée à de précédents épisodes (« la main d’Henry » qualifiant la France au dépend de l’Irlande « déchaînent le Net », selon la formule du Monde du 19 novembre 2009, la défaite contre la Chine en match de préparation…). Elle provoqua en effet une rupture qui fut, à bien des égards, l’accomplissement de la complexité des relations passionnées entre le public français et son équipe nationale de football. »
« L’esthétisation des comportements dessine les contours du football féminin, construit dans l’opposition aux comportements « violents » et donc au football masculin. Alors que la capitaine (seule joueuse dont on connaît le nom) souhaite que « le foot féminin s’émancipe et trouve des moyens pour atteindre le professionnalisme » ; le journaliste homme, conclut, paternaliste : « surtout pas ».
« L’omniprésence des dirigeants et autres entraîneurs masculins est attestée, elle aussi. En équipe mixte, les dirigeants sont toujours des hommes, et ils participent plus d’une fois sur deux à la direction ou à l’entraînement des équipes strictement féminines ».
« Les jeunes filles devenues footballeuses déclarent avoir été marquées par des personnages masculins qui les ont influencées : le père, le ou les frères – près des deux tiers des enquêtées ont en effet un frère footballeur et la présence fréquente de faux jumeaux est à signaler. Plus d’un tiers des pères des enquêtées est encore actif dans le milieu du football, comme dirigeant ou comme joueur, et les deux tiers l’ont été par le passé (le plus souvent comme joueur). En outre, près de 10 % des mères participent ou ont participé (comme membres du bureau essentiellement) à la vie du club local. »
« Certes les femmes sont largement sous représentées dans les événements violents enregistrés sur le terrain, mais leur contribution à la délinquance, ramenée à leur faible présence parmi les licenciés, semble plus importante ici que dans d’autres cadres sociaux. Cela pose la question d’une éventuelle spécificité de l’implication des femmes dans les violences lorsqu’elles investissent des fiefs de la masculinité. »
« C’est maman qui joue et papa qui regarde, en ne perdant pas de vue le bébé qui dort dans la poussette ». Ce rôle souvent attribué aux femmes, est également assumé par les hommes lors des déplacements pour des matchs joués à l’extérieur. »
(Nneme Abouna & Lacombe)