En s’appuyant sur les statistiques des paradis fiscaux, dont les Bermudes ou l’Irlande, des économistes estiment que 40 % des profits des multinationales échappent à l’impôt. L’Union européenne perdrait ainsi un cinquième des recettes qu’elle est censée collecter auprès des entreprises.
La compétition accrue entre pays depuis les années 1980, date du début de la généralisation du libre-échange, a entraîné un chute radicale du taux de taxation des entreprises, de 49 % en moyenne à 24 % en 2018.
Dans un article publié cette semaine, plusieurs économistes dont le Français Gabriel Zucman, spécialiste de l’évasion fiscale, s’interroge sur les motifs de cet effondrement. Or contrairement à la thèse qui voudrait que dans le cadre d’une concurrence pure et parfaite les agents économiques développent leurs activités dans les pays où les investissements sont le plus propices en raison d’un environnement global favorable, l’économiste estime que 40 % des profits des entreprises sont transférés artificiellement dans des paradis fiscaux.
Ils le sont sur le papier, à l’instar d’Alphabet, la maison mère de Google, qui a réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 19.2 milliards d’euros aux Bermudes, où elle n’exerce aucune activité. La raison n’en est pas l’attractivité de la petite île des Caraïbes, mais bien son taux de taxe à 0 % pour les bénéfices des entreprises.
Qui triche : l’indice de la rentabilité des entreprises
La rentabilité des entreprises étrangères est le critère principal sur lequel les spécialistes se reposent, en puisant dans des statistiques récentes : dans les pays qui ne sont pas des paradis fiscaux, les entreprises étrangères présentent une rentabilité inférieure à celle des entreprises locales. Dans les paradis fiscaux à l’inverse, les entreprises étrangères sont là précisément pour optimiser leur rentabilité. C’est ainsi qu’en Irlande, les profits des entreprises affichent des taux aberrants. Ils représentent 800 % de la masse salariale en moyenne, quand logique voudrait qu’ils ne comptent que pour 30 à 40 % de ses salaires.
Au total, 40 % des bénéfices des multinationales auraient atterri dans des paradis fiscaux en 2015, selon l’étude.
L’Union européenne en première ligne
Plus grave, les Etats-membres de l’Union européenne et les pays en développement sont les principales victimes de cette situation : l’Europe perdrait ainsi 20 % des taxes qui lui sont dues par les multinationales.
Les conclusions de cette étude sont alarmantes au regard des efforts actuels menés notamment pour l’OCDE pour contrer cette érosion des taxes des entreprises, qui risquent d’être sans effet. Selon les auteurs, imposer des sanctions économiques aux pays à faible taxation des revenus serait plus efficace que de chercher à récupérer.
Un capital en vadrouille qui fausse les statistiques
Autre conséquence de cette analyse : l’optimisation fiscale des entreprises est telle que les statistiques globales en sont faussées pour tous les pays de l’OCDE : le PIB, les profits des entreprises, les balances commerciales…La part du capital des entreprises en Europe serait ainsi deux fois plus important qu’il n’est déclaré dans les comptes nationaux.