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Date :  2018-05-25
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80 ans après, les préjugés subsistent entre Jordaniens et Palestiniens

Ecrit par Maram Alkayed
Traduit par Suzanne Lehn

Source :  GlobalVoices

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Un homme portant le keffieh (le couvre-chef traditionnel palestinien) converse avec un homme portant la shemagh (le couvre-chef traditionnel jordanien). Photo dans le domaine public, Source: Garaa News.


Près de 70 % de la population de la Jordanie est d'origine palestinienne, et généralement bien intégrée dans la société jordanienne. Jordaniens et Palestiniens vivent côte à côte depuis la guerre israélo-arabe de 1948 et la Nakba palestinienne, et même longtemps auparavant.

Pourtant, parlez à des Palestiniens et Jordaniens ordinaires et vous découvrirez les histoires qui disent les tensions sous-jacentes entre les deux groupes.

Sara Suod est de Madaba, dans le centre de la Jordanie. Elle a raconté à Global Voices que ses parents ne la laissaient pas aller chez ses copines palestiniennes :

« Je viens de Madaba, et ma famille est extrêmement fière de ça [être jordanienne] Si fière qu'on ne me laissait pas, mes sœurs et moi, aller enfants dans les maisons de nos amies palestiniennes. »


Si la cohabitation a créé avec le temps un sentiment de paix entre les deux peuples, une harmonie totale reste absente. Le mariage et le sport sont deux des domaines où ces tensions restent les plus visibles.


Les mariages jordano-palestiniens toujours tabous ?



Sur les 82.000 Jordaniennes mariées à des étrangers, près de 53.000 le sont à des Palestiniens. Un chiffre plutôt élevé que l'on pourrait prendre pour un signe de normalité des mariages jordano-palestiniens en Jordanie, mais qui peut aussi être trompeur.

Les récits de citoyen.ne.s jordanien.ne.s (d'ascendance jordanienne ou palestinienne) dessinent un autre tableau de la société jordanienne à propos de ces mariages. Même si le mariage n'est pas exactement un tabou, il peut être –selon le lieu et la famille— banal, mal vu ou totalement interdit.

Pour commencer par les histoires de familles sereines sur le sujet, voici celle d'Ahmad Khalil, un homme palestinien, et de sa femme jordanienne. Il considère leur mariage comme une réussite et raconte à Global Voices :

« Nous nous sommes rencontrés à l'université en premier cycle, et nous sous sommes fiancés après avoir terminé tous les deux. Sa famille a su dès le début, et la mienne aussi. Aucune n'a eu la moindre objection, et tout s'est déroulé sans accroc pendant la durée des fiançailles. A part quelques pinaillages normaux entre belles-familles, aucune difficulté majeure ne s'est élevée. D'ailleurs, les différends n'étaient jamais d'ordre racial. Je suppose que c'est parce que ma maman est jordanienne, et que ses oncles sont tous mariés à des Palestiniennes, on peut donc dire que nos familles sont toutes deux également habituées à cette situation. »

Ahmad et son épouse ont de la chance, comme tous ceux et celles né.e.s dans des familles mixtes, puisque le problème du préjugé ou du racisme est minimisé par le fait que chaque individu se réclame des deux identités.

Mais le vécu d'Ahmad n'est pas celui de tout le monde. Sara Majali est une jeune femme de 26 ans et vit à Al-Salt, dans le centre-ouest de la Jordanie. Elle évoque pour Global Voices l'opinion de sa famille sur son mariage avec un Palestinien :

« En grandissant, ma famille n'a jamais été spécialement stricte sur le fait que mes frères et sœurs et moi se marient avec un Palestinien [ou une Palestinienne], mais quand je leur ai dit que ce serait mon cas, il n'étaient pas exactement enthousiastes. Ils auraient préféré que j'épouse mon cousin, qui est aussi d'Al-Salt, ou au moins quelqu'un de là. Maman a commencé par être contre le mariage et m'a dit que je pourrais trouver quelqu'un ‘plus proche de nous’, mais papa n'avait pas des idées aussi arrêtées. »

Sa mère a fini par consentir au mariage.

« Maman a fini par accepter le mariage après des mois de persuasion, mais elle ne le bénit pas encore de tout son cœur. Quand mon conjoint et moi nous disputons, les premiers mots qui sortent de sa bouche sont “ça n'aurait pas été mieux si tu avais épousé…?” et elle cite le nom de n'importe quel homme né à Salt. »

Elle poursuit :

« La famille de mon conjoint, même si elle n'était pas aussi agressivement contre notre mariage que maman, lui a quand même donné du fil à retordre. Craintifs de ce que je viens d'une famille nombreuse, un trait qu'ils pensaient que j'utiliserais contre mon mari, ils lui ont aussi conseillé moqueusement de trouver quelqu'un de “plus proche” d'eux. Au bout de trois ans de mariage, ils ont appris à mieux me connaître, mais je garde l'impression qu'ils mettent des limites à mes rapports avec eux — à la différence de leurs relations avec les femme palestinienne de mes beaux-frères, tout de suite acceptées et traitées comme faisant partie de la famille. »

L'histoire de Sara reflète une idée implicite qui prédomine dans la société jordanienne depuis la première immigration palestinienne en Jordanie en 1948 : à savoir que les familles jordaniennes sont plus grandes et tendent à être plus puissantes, alors que les familles palestiniennes (étant immigrées) sont “sans colonne vertébrale”.

“Sans colonne vertébrale” est une façon péjorative de dire que les familles palestiniennes ne sont pas aussi étendues et/ou n'ont pas le bras aussi long que les jordaniennes, avec le sous-entendu qu'un Jordanien ou Jordanienne dominera le mariage parce que disposant de la famille et du pouvoir pour cela.

D'où les réticences de nombreuses familles palestiniennes envers un mariage dans une famille jordanienne, et réciproquement.


Rivalités entre supporters de football



Al-Faisaly est une des équipes les plus célèbres de la Ligue de football jordanienne, et est devenue un symbole du patrimoine jordanienne pour les citoyens du pays.

Al-Wehdat, du nom du 2ème plus camp de réfugiés palestiniens au sud-ouest d'Amman, est tout aussi célèbre, et est de son côté un symbole de patrimoine palestinien pour les citoyens de Jordanie.

Si les supporters s'en prennent toujours les uns aux autres quelles que soient les équipes, les Jordaniens des deux côtés ont coutume de s'apprêter quand un match est prévu entre les deux équipes citées plus haut.

Les cas de bagarres sont fréquents, et en sont arrivés une fois au point que 250 supporters ont été blessés. Magasins et voitures de passants sont souvent incendiés sans raison apparente autre qu'une poussée de violence.

La police intervient d'ordinaire, et les directions des deux clubs s'efforcent en général de discipliner leurs supporters en interdisant ceux d'entre eux qui tentent de lancer une bataille entre les deux camps—ce qui ne se produit pas quand l'une des deux équipes joue contre l'autre.

En 2009, un câble diplomatique américain fuité indiquait :

« Le hooliganisme anti-palestinien et les slogans dénigrant les origines palestiniennes de la reine et du prince héritier ont entraîné l'annulation d'un match de foot le 17 juillet entre les clubs rivaux Faisali et Wahdat [sic], qui représentent traditionnellement et respectivement les communautés cisjordanienne et palestinienne. »

On peut en conclure que les échauffourées, incendies et volontaires et méfaits vont au-delà du seul football, il s'agit de ce que représentent les équipes : la race. Un point souligné par le président d'Al Wehda lui-même, qui a affirmé dans un de ses entretiens avec World Soccer :

« Pour le Wehdat, 99 pour cent des supporters sont Palestiniens, vous ne trouverez aucun supporter jordanien du Wehdat. »

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