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Date :  2018-03-12
langue :  Français
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Vers un acte II de l'Union de l'énergie : un nouveau leadership énergie-climat européen


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2018 est une année de réflexion sur les priorités énergie-climat de la Commission européenne. La Commission Juncker publiera à la fin du printemps une communication sur les priorités énergie-climat d'ici à 2025. Dans ce contexte, la présente note détaille les chantiers qui pourraient être confiés à la prochaine Commission européenne pour faire du leadership écologique de l'Union un levier de développement industriel, de croissance et d'emplois durables.

"La transition vers une économie sobre en carbone et économe en ressources exige un changement fondamental dans les domaines de la technologie, de l'énergie, de l'économie, de la finance et, finalement, de la société dans son ensemble. L'Accord de Paris est une opportunité pour la transformation économique, l'emploi et la croissance. " Communication de la Commission européenne "The Road to Paris", mars 2016

A l'approche des élections européennes de 2019 et à l'heure où se préparent les orientations de la future Commission européenne, les questions énergie-climat doivent trouver leur place dans l'agenda politique des 5 prochaines années. Alors que celles-ci ont été placées particulièrement haut dans la liste des priorités de la Commission Juncker, avec l'Union de l'énergie, et au cœur de rendez-vous internationaux historiques où la France et ses partenaires européens ont joué un rôle décisif - l'Accord de Paris sur le climat en décembre 2015, les COP23 et COP24, le sommet " One Planet " le 12 décembre 2017 –, l'Europe doit s'interroger sur la signification de son engagement dans la lutte contre le changement climatique.

Les pages qui suivent posent que, pour l'Europe, la lutte contre le changement climatique n'est plus seulement une affaire de leadership politico-diplomatique et de gestion pragmatique de la coresponsabilité des économies industrielles avancées dans l'adaptation au changement climatique. Au niveau mondial, l'Union européenne ne représente plus que 10% des émissions de CO2 pour 20% de la production mondiale. Après l'annonce du retrait des Etats-Unis de l'Accord de Paris sur le climat en juin 2017, l'Union a la possibilité de transformer la contrainte climatique en leadership industriel porteur de croissance, d'emplois et d'innovation, et de gagner un avantage comparatif décisif dans la mondialisation grâce à la conversion de son économie à l'excellence écologique. Il faut pour cela que l'Union européenne concrétise les objectifs qu'elle s'est donnés depuis 15 ans en matière de développement des renouvelables, d'efficacité énergétique et de modernisation de ses systèmes énergétiques sous l'effet de la révolution des " 3D " - décarbonation, digitalisation, décentralisation. Et qu'elle passe à l'échelle supérieure en lançant un " Acte II de l'Union de l'énergie ".

1. Un modèle de société pour le XXIe siècle, tourné vers l'excellence écologique

L'Union européenne a intérêt à faire de l'excellence écologique un pilier de son développement et de l'évolution de son modèle économique et social. Au plan interne, il s'agit d'un projet mobilisateur pour les citoyens européens. Au plan externe, l'Europe peut se doter d'avantages comparatifs cruciaux dans la compétition internationale.

Des destructions créatrices provoquées par des ruptures technologiques bouleversent des pans entiers de l'ancienne économie. Pour beaucoup d'entre elles, il y a un doute sur leur capacité à générer une croissance soutenable et riche en emplois. Il en est ainsi de la révolution numérique, et demain celles de l'intelligence artificielle et de la robotique. Par contraste, la révolution qui est en cours dans le secteur de l'énergie conjugue sauvegarde du climat et bénéfices sociaux et sociétaux : des créations d'emplois durables et non délocalisables, un environnement plus sain, plus de confort pour les consommateurs, plus d'indépendance énergétique pour les Etats et, au bout du chemin, un accès à une énergie renouvelable inépuisable et à coût marginal presque nul.
Les entreprises qui se hisseront au statut de " GAFA " de l'énergie pourraient être les premiers producteurs mondiaux de biens communs. Les retombées profiteront à leurs pays d'origine mais pas seulement : le nouveau monde de l'énergie sera moins gourmand en capitaux que l'ancien, ses technologies décentralisées et digitalisées se mettront plus facilement à la portée de l'humanité toute entière.

L'Europe a tous les atouts pour être le premier de cordée de ce nouveau monde de l'énergie. Quatre des dix plus grands énergéticiens mondiaux sont européens. L'Union européenne s'est dotée depuis 15 ans d'une politique énergie-climat ambitieuse, elle dispose de ressources renouvelables significatives et d'un savoir-faire mondial en matière de solutions d'efficacité énergétique. L'Union peut affirmer dans ce domaine le leadership qu'elle a laissé échapper au profit des Américains ou des Asiatiques dans les secteurs des télécommunications et du numérique.

Dans la page de l'histoire qui est en train de s'écrire, la transformation énergétique est aussi un enjeu de civilisation. Après avoir donné au monde les modèles de la démocratie, de l'humanisme, des Lumières, et incubé la première révolution industrielle, l'Europe a les moyens, grâce à ses ressources technologiques et d'innovation sociale, de créer un modèle de société plus durable, plus respectueux de l'homme et de la nature qui sont en totale interdépendance. Et de devenir une référence pour le reste du monde. Faire de l'Europe une civilisation durable est un projet optimiste et fédérateur capable de rapprocher les peuples européens, de panser les plaies après une décennie de poly-crises et de rebâtir une Union qui donne confiance en l'avenir.

Ce choix du leadership doit être fait par l'Union européenne, ou alors il sera fait par les grandes économies émergentes avec des ressources d'investissement et à des échelles bien supérieures. La Chine s'est donné des ambitions de développement des renouvelables soutenues par des capacités d'investissement vertigineuses. Les technologies vertes reposant sur des composantes à bas coût développées sur son territoire pourraient déferler sur l'Europe et emporter la mise qui est en train de se constituer dans des domaines aussi variés que le stockage, le photovoltaïque organique ou la maîtrise de la demande grâce à la digitalisation et l'internet des objets.
L'Union doit pour cela se préparer à passer à l'échelle supérieure sur la voie de l'excellence écologique. Alors comment faire ?

2. Vers un " Acte II " de l'Union de l'énergie

Dans les 5 prochaines années, cette ambition pourrait passer par un " Acte II " de l'Union de l'énergie, qui inclut des engagements concrets pour atteindre les objectifs énergie-climat pour 2020-2030. Elle requiert aussi une feuille de route d'ici à 2050 pour crédibiliser ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre (réduire de 80 à 95% ses émissions de gaz à effet de serre, en application de l'Accord de Paris).
Un tel projet pourrait s'ordonner autour de six priorités :

1) Achever l'" Acte I " de l'Union de l'énergie et porter à leur plein potentiel les objectifs de développement des énergies renouvelables et d'efficacité énergétique.

La capacité de l'Union à atteindre ses objectifs énergie-climat d'ici à 2030 fixés par le Conseil européen d'octobre 2014 (40% de réduction des gaz à effets de serre, 27% de renouvelables et au moins 27% d'efficacité énergétique) se décide maintenant. La désindustrialisation et la crise économique qui a frappé l'Europe depuis 2008, ont été des alliées inattendues dans l'atteinte des objectifs de réduction des émissions de CO2 et de la consommation énergétique d'ici à 2020, en réduisant la croissance potentielle du continent et donc mécaniquement ses émissions de gaz à effet de serre. Dans un contexte de reprise économique que l'on souhaite aussi durable et ample que possible, l'Europe doit impérativement consolider les engagements qu'elle s'est donnés pour 2030 et dans la mesure du possible atteindre les bornes hautes des objectifs en cours de discussion dans le cadre du Clean Energy Package[2]. A cet égard, les objectifs de 27% de renouvelables et de 30% d'efficacité énergétique proposés par la Commission européenne dans ce paquet doivent être un plancher, le socle d'une ambition qui doit aller plus loin.

S'agissant de l'objectif de développement des énergies renouvelables, la baisse spectaculaire des coûts de ces technologies autorise plus de volontarisme de la part des autorités européennes comme nationales. Une trajectoire économiquement soutenable peut porter la part des renouvelables au-delà de 30% du mix de la plupart de pays européens, ce qui se traduit par une part d'environ 54% de renouvelables dans la production électrique[3]. L'incorporation de renouvelables dans les réseaux de chaleur et le potentiel des biocarburants sont une autre voie de verdissement des systèmes énergétiques européens. Le secteur des transports peut également constituer un vaste débouché pour les énergies renouvelables, à travers l'électromobilité lorsque celle-ci est d'origine verte, mais aussi le biogaz et l'hydrogène qui sont appelés à jouer un rôle majeur dans l'avenir.

Les débats sur le niveau de l'objectif " renouvelables " ne doit pas occulter celui sur les garanties à déployer pour que ceux-ci soient bien mis en œuvre dans les Etats membres. Dans chaque pays les investisseurs ont besoin du maximum de visibilité sur la trajectoire suivie et les calendriers des appels d'offre. Une gouvernance robuste des objectifs européens est donc indispensable pour crédibiliser les trajectoires. La Commission pourrait réfléchir à un mécanisme de bonus pour les pays qui se donnent les moyens d'atteindre des cibles plus ambitieuses que les 27 % européens.

En matière d'efficacité énergétique, l'Union peut aller plus loin que les propositions mises sur la table par la Commission (30% d'ici à 2030). Certains Etats comme la France se sont donné des objectifs plus ambitieux ; ainsi la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte d'août 2015 porte les efforts d'économie d'énergie à 35% en 2030. Sur ce terrain, l'Union gagnerait à surmonter les conservatismes. Les investissements dans les économies d'énergie cumulent en effet de multiples avantages : l'énergie non produite et non consommée est la moins onéreuse, la plus propre, et libère l'Europe de sa dépendance énergétique. Par ailleurs, les services à l'énergie sont très intensifs en emplois non délocalisables, répartis sur tous les territoires. Chaque euro investi dans ce secteur se traduit par des bénéfices environnementaux et sociaux substantiels. Il faut donc diriger massivement les investissements dans les secteurs à plus fort potentiel, comme le bâtiment, qui représente 40% de la consommation énergétique de l'Union et où 75% du stock n'est pas aux normes, mobiliser massivement les investissements publics et construire des vecteurs de financements efficaces pour que l'investissement privé y afflue. Pour réduire l'empreinte énergétique des bâtiments, de nombreuses solutions existent comme les rénovations lourdes, l'isolation et l'amélioration des systèmes de chauffage et de refroidissement.

La structuration des filières et métiers dédiés à l'efficacité énergétique, le mariage de l'énergie et du digital, l'intérêt croissant des consommateurs pour la maîtrise de leur facture énergétique, de même que la hausse annoncée des composantes carbone dans les factures énergétiques, sont porteurs de ruptures considérables. Pour les anticiper, l'Union ne doit pas avoir peur de passer à l'échelle supérieure et de rompre avec l'approche incrémentale qui a été la sienne jusqu'à présent. L'Union pourrait faire preuve d'audace et d'inventivité, par exemple en mettant en place un livret A européen exonéré d'impôts et de contributions obligatoires pour attirer l'épargne des particuliers et la diriger vers plus d'efficacité énergétique, un exemple très concret et apprécié des citoyens européens. Pour canaliser l'investissement privé vers des projets d'efficacité énergétique, les contrats de performance énergétique ont fait leur preuve et doivent être massifiés. Dans ce type de contrat, l'opérateur industriel paie le risque opérationnel d'un projet d'efficacité énergétique et est rémunéré sur les économies d'énergie. Ces contrats peuvent s'appliquer à tous les types de bâtiments à plusieurs unités, publics et privés (logements sociaux, copropriétés), ainsi que les écoles, les complexes de piscines, les immeubles de bureaux, etc.

Maintenir le caractère contraignant de l'objectif à 2030 et la robustesse du mécanisme d'obligation en matière d'efficacité énergétique (article 7 de la directive sur l'efficacité énergétique) sont une autre condition du succès des politiques européennes.

2) Assurer la cohérence à long terme des politiques énergie-climat nationales et européennes.

Si l'Union européenne est sur la bonne voie pour atteindre ses objectifs de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2020 (de -20% par rapport à 1990), cela est en grande partie attribuable à la mutation de son économie vers les services, aux prix élevés du pétrole et à l'augmentation des prix des énergies fossiles (jusqu'en 2014), et surtout à la crise économique. L'atteinte des engagements pour la décennie suivante n'est pas assurée, dans un contexte de reprise économique et d'évolution des usages. Certains signaux doivent nous alerter comme l'augmentation des émissions de CO2 dans un certain nombre de pays, et notamment en Allemagne, première économie européenne, en raison de la place du charbon et du lignite dans la production électrique et des émissions du secteur des transports.

Il est donc important que la prochaine Commission s'attelle à réconcilier les objectifs de l'Accord de Paris pour 2050 avec le fonctionnement actuel des politiques énergie-climat, dont l'horizon s'arrête à 2030. La capacité de l'Union à délivrer ses engagements pourrait être questionnée par le manque de coordination entre politiques nationales et politiques européennes ainsi que les incohérences des instruments européens.

Pour ce faire, deux types de mesures pourraient compléter l'arsenal européen :

- D'une part, définir des feuilles de route à long terme décrivant, secteur par secteur, les trajectoires que l'Union doit suivre pour atteindre de manière économiquement soutenable les objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Inscrire les politiques nationales dans des cadres de référence de long terme est la véritable plus-value des politiques européennes. Ces feuilles de route sont indispensables pour décider des grands investissements prioritaires qui s'amortissent sur le long terme, en particulier en matière d'infrastructures énergétiques et de transports alternatifs. Elles doivent également aider l'Europe à optimiser les interactions entre les différents secteurs, qui sont de plus en plus liés par les évolutions technologiques, comme par exemple celui du transport et de l'énergie à travers l'électromobilité et le développement des carburants alternatifs.

- D'autre part, généraliser à tous les Etats membres la formule des " budgets carbone ", c'est-à-dire des plafonds pluriannuels de réduction des émissions de CO2, déjà mis en place au Royaume-Uni et en France pour faciliter le pilotage de la décarbonation de tous les secteurs de l'économie. Ces budgets permettraient d'organiser sur des bases documentées un dialogue critique entre la Commission et les administrations nationales sur leur politique de décarbonation.
L'élaboration de ces instruments doit susciter un débat politique, au niveau du Conseil européen, sur l'objectif qui doit être celui de l'Union dans la seconde moitié du siècle et des arbitrages entre secteurs (énergie, industrie, bâtiment, transport, agriculture, etc.). Des députés européens proposent d'inscrire dans les textes du Clean Energy Package l'objectif de la neutralité carbone à 2050. Ce débat, s'il veut gagner en consistance, doit être porté hors de l'enceinte du Parlement européen et être approprié par les citoyens et les responsables politiques nationaux.

3) Renforcer le rôle de la tarification du carbone dans la transition vers une économie neutre en carbone.

Le fonctionnement actuel du marché carbone européen (EU ETS) est incohérent avec les objectifs de moyen et de long terme de l'Union européenne conclus dans le cadre de l'Accord de Paris sur le climat. Le prix actuel de la tonne de CO2, autour de 5-10 € depuis 2 ans, et les projections de prix futurs, sont inférieurs aux niveaux nécessaires pour que le signal-prix ait un effet incitatif et soutienne la transition vers une économie bas-carbone en rentabilisant les investissements correspondants.

Ce désalignement ne sera pas corrigé par la réforme de l'EU-ETS (phase IV) qui vient d'être adoptée. Celle-ci contribuera à la réduction du surplus de quotas sur le marché mais elle ne corrigera pas les déséquilibres de long terme. Au surplus, les nouveaux objectifs d'efficacité énergétique et de développement des renouvelables dans le cadre du Clean Energy Package auront un effet dépressif sur le prix de la tonne de CO2 si aucune mesure de coordination n'est adoptée. Les objectifs additionnels d'efficacité énergétique feront mécaniquement diminuer les prix du carbone de 35% à 55% à 2030 (pour respectivement 30 et 35% d'efficacité énergétique). Le manque de coordination entre politiques européennes et mesures nationales est également en cause dans l'affaiblissement structurel de l'EU-ETS[4].
Des mesures complémentaires sont donc nécessaires. S'il semble difficile à court terme de mettre sur le métier une réforme systémique de l'EU-ETS, en raison des résistances politiques rencontrées et du capital politique considérable qui a déjà été investi dans la dernière réforme, deux types de correctifs pourraient être envisagés :

- s'accorder sur la mise en réserve ou l'annulation de quotas supplémentaires pour neutraliser l'impact des politiques d'efficacité énergétique et de soutien aux renouvelables ;

- prendre des actions spécifiques pour le secteur de la production électrique, où le gisement de réduction des émissions de CO2 est le plus facilement accessible. En effet il ne nécessite pas de nouveaux investissements mais, dans un contexte de surcapacités, de déclasser les centrales les plus émettrices et les plus anciennes, au charbon ou au lignite. Les études montrent qu'il faut pour ce faire atteindre un prix minimum du carbone autour de 25-30 € pour enclencher la substitution du charbon à des sources d'énergie moins émettrices telles que le gaz naturel.
Deux voies peuvent être empruntées.

La première est de créer un " EU-ETS énergie " imposant une trajectoire de décarbonation accélérée par rapport à l'actuel EU-ETS, qui inclut les émissions industrielles et est donc limité par les impératifs de compétitivité externe de l'industrie européenne. La production électrique ne subit pas les mêmes contraintes et a besoin d'un prix du carbone significatif pour diriger les futurs investissements vers les technologies bas carbone.
La seconde voie consiste à mettre en œuvre, au niveau national mais de manière coordonnée entre Etats membres, des prix minimum du carbone sous la forme d'une fiscalité additionnelle à l'EU-ETS, comme cela a été mis en place au Royaume-Uni en 2013, annoncé aux Pays-Bas à compter de 2020 et proposé par le Président Macron pour la France et quelques pays volontaires. C'est la voie politiquement la plus praticable pour contourner le verrou politique posé par la Pologne et des Etats les plus dépendants des énergies fossiles à toute nouvelle mesure empruntant la voie européenne.

4) Initier une sortie ordonnée du charbon, énergie condamnée par les engagements climatiques européens, dans tous les pays de l'Union.

Compte tenu des engagements climat de l'Union, le charbon n'a plus, à terme, sa place dans l'économie européenne. Actuellement, la production d'énergie au charbon représente encore 18% des émissions de gaz à effet de serre de l'Union et 42% des émissions de CO2 dans le périmètre de l'EU-ETS. L'Union européenne est au surplus dotée d'une flotte de centrales anciennes, plus des deux tiers d'entre elles ayant plus de 30 ans. Les centrales les plus émettrices sont concentrées dans un nombre limité de pays (Allemagne, Pologne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Grèce, Italie). C'est pour l'Europe un problème environnemental doublé d'un enjeu de santé publique, en raison des émissions locales de particules et gaz toxiques qui accompagnent la combustion du charbon.

Dans ce contexte, un Acte II de l'Union de l'énergie pourrait poser deux actes forts.

- Le premier est d'instaurer un moratoire sur la construction de toute nouvelle centrale à charbon, applicable sur le champ. Devant l'urgence climatique, l'Europe doit sortir du paradoxe qui consiste à laisser de nouveaux investissements se fixer sur le charbon lorsque des ressources moins émettrices de CO2 sont disponibles et que le coût des renouvelables baisse drastiquement. Les mentalités ont évolué dans le bon sens en Europe, comme le montre la déclaration d'Eurelectric[5] signée en 2017 par les entreprises de l'énergie de 26 des 28 Etats membres (hors Pologne et Grèce) qui engage ces dernières à ne plus réaliser de nouveaux investissements dans le charbon d'ici 2020.

- Le second est de proposer aux pays dépendants du charbon un plan Marshall articulant des engagements des Etats sur un calendrier de sortie du charbon et des contreparties financières pour accompagner les reconversions industrielles et territoriales. Fermer les centrales au charbon et au lignite installées en Europe permettrait de réduire drastiquement les émissions de CO2 de la production électrique, de l'ordre de 20% en moins de 10 ans. L'Allemagne et la Pologne contribueraient à eux seuls à hauteur de 60% de la diminution des émissions.

C'est un sujet clé pour crédibiliser les engagements européens de réduction des émissions, mais aussi l'un des plus sensibles à traiter compte tenu du rôle économique, social et culturel que tient le charbon dans beaucoup de territoires européens, où cette ressource est extraite et brûlée dans les centrales. Une Union de l'énergie doit à tout prix éviter de stigmatiser les régions concernées et de diviser l'Europe par des mesures autoritaires. Les politiques européennes doivent pour cela faire évoluer leurs outils, afin qu'ils accompagnent avec succès des reconversions économiques et industrielles. Pour ce faire une voie pragmatique doit être empruntée, qui est celle des incitations : il s'agit, pour les Etats qui s'estiment prêts à s'engager dans cette voie, de contractualiser avec les autorités européennes un calendrier de sortie du charbon en contrepartie d'un " plan Marshall vert " dans les régions concernées par les fermetures de mines ou de sites de production au charbon. Ce dernier serait financé par des lignes dédiées des fonds structurels européens et la politique de cohésion. Une telle initiative devrait être initiée dans les prochains mois dans le cadre des négociations du futur cadre financier pluriannuel post-2020.

5) Orienter massivement les investissements privés vers les solutions bas-carbone et les projets d'efficacité énergétique.

Mobiliser encore plus massivement les financements privés est un enjeu majeur. Le secteur privé supporte déjà, au plan mondial, 70% des dépenses d'adaptation au changement climatique. La Commission européenne a publié le 8 mars 2018 une feuille de route pour amener le système financier à soutenir les actions de l'UE en matière de climat et de développement durable. Un plan d'action mettant pleinement la finance au service du climat devrait comporter trois priorités : l'intégration de critères de soutenabilité pour une meilleure prise en compte par les gestionnaires d'actifs et les investisseurs institutionnels des risques environnementaux ; la mise en œuvre d'un " green supporting factor ", un facteur de soutien au financement de la transition énergétique qui se traduirait par un assouplissement des règles prudentielles pour les financements et investissements dans les actifs verts ; enfin l'incorporation de facteurs environnementaux et sociétaux dans le mandat des autorités de supervision financières.

6) Accroître le soutien à la recherche et à l'innovation dans le domaine de la transition énergétique.

Le secteur de l'énergie est en train de vivre une révolution profonde, portée par la décentralisation de la production, la diminution de taille des capacités de production et le mariage de l'énergie et du digital, qui permet d'optimiser la production, le transport et la consommation d'énergie. Dans ce secteur des innovations de rupture vont encore se produire et changer profondément les manières de produire, de transformer et de consommer l'énergie. Des innovations sont en train d'incuber dans les laboratoires des entreprises et des organismes de recherche. Certaines ont des solides atouts pour atteindre une maturité industrielle, comme les hydroliennes, le photovoltaïque organique, les biocarburants de troisième génération (algues), des techniques innovantes de méthanisation.

D'autres sont des potentiels game-changers dans la gestion et le couplage des systèmes énergétiques, comme le power-to-gas, qui permettra de stocker l'excès de production électrique issue des renouvelables sous forme d'hydrogène vert ou de méthane de synthèse, stockables et disponibles pour de multiples usages. Le soutien à la recherche et au développement des projets, du laboratoire au démonstrateur, puis la conception de systèmes de soutien adaptés au stade de la commercialisation, sont des éléments pour transformer l'innovation en filières industrielles rentables.

L'Union européenne a une valeur ajoutée éminente à cet égard et des outils qu'elle doit mettre au service des révolutions vertes. Le futur programme européen pour la recherche et l'innovation - FP9, successeur de Horizon 2020 dont les grandes orientations post-2020 sont en train d'être discutées - devrait ainsi accorder plus d'importance à l'innovation climatique et environnementale, et ce faisant se rendre plus accessible aux entreprises, et notamment aux PME, par un allègement des contrôles et des simplifications administratives.

Le stockage, la mobilité électrique, les gaz verts et les solutions hydrogènes émergeront plus rapidement en massifiant les instruments destinés à réduire le risque des investisseurs dans les new green techs et en mariant davantage les efforts de recherche publics et privés. Comme les technologies du CERN ou de la DARPA constituent les briques de certains smartphones, les centres de recherche publics devraient contribuer aux innovations énergétiques du futur.

Si la proposition du Président français d'instituer une Agence européenne de l'innovation de rupture voit le jour, il est important qu'elle comporte une priorité sur l'innovation climatique et environnementale (nouvelles générations de stockage, procédés de capture et de recyclage de CO2, recyclage, etc.).
Ces ambitions supposent aussi que la Commission achève sa conversion intellectuelle en faveur d'une véritable politique industrielle européenne, qui contribue à une meilleure compétitivité des entreprises industrielles, protège ses secteurs industriels stratégiques, soutienne leurs innovations et le mariage en leur sein de la transition énergétique et de la révolution numérique.

***
Ces six orientations ne sont pas exclusives d'autres mesures attendues par les citoyens européens, telles que la lutte contre la précarité énergétique. Mais elles tissent la trame d'un modèle de développement qui capte le maximum d'opportunités de croissance et d'emplois issues de la transition énergétique tout en préservant la compétitivité de l'industrie européenne. Ces choix sont à la portée des décideurs européens. Ils peuvent composer l'agenda positif dont l'Union européenne a besoin pour se relancer et retrouver l'adhésion des Européens.


[1] Les propos qui suivent n'engagent que leur auteur.
[2] Publié en novembre 2016, le paquet " Energie propre pour tous les consommateurs européens adapte pour la période 2021-2030 les principales règles européennes en matière d'organisation des marchés de l'électricité, de développement des énergies renouvelables, de l'efficacité énergétique et de la performance énergétique des bâtiments. Les négociations de ce paquet devraient s'achever courant 2018. Ce paquet inscrira dans le droit, en les actualisant, les objectifs énergie-climat à 2030 posés par les chefs d'Etat ou de gouvernement lors du Conseil européen d'octobre 2014. La proposition de la Commission européenne reprend l'objectif de 27% de renouvelables et porte de 27% à 30% l'objectif d'efficacité énergétique, celui-ci devant avoir un caractère contraignant. Dans le cadre des discussions entre le Conseil de l'UE et le Parlement européen, sont discutés des cibles pouvant aller jusqu'à 35 % de renouvelables et autant d'efficacité énergétique.
[3] Une étude de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) publiée en février 2018 conclut que l'Union européenne pourrait porter à 34% la part des renouvelables dans le mix européen. Les pays européens pourraient économiser jusqu'à 25 milliards de dollars d'ici 2030 en investissant à hauteur de 73 milliards de dollars par an dans tous les types d'énergie renouvelable.
[4] Une étude ICIS 2016 pour Eurelectric estime que la combinaison des politiques de soutien nationales aux renouvelables pourrait, seule, avoir pour effet de diminuer de 7 % le prix du CO2. La même étude indique que la décision de fermer les centrales à charbon en Allemagne aura pour effet de diminuer de 15 % supplémentaires le prix de la tonne de CO2.
[5] Association européenne représentant l'industrie de l'électricité.


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