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Date :  2017-03-23
langue :  Français
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Un mondialisme plus dangereux


« L’Amérique d’abord » assène Donald Trump. « La Grande-Bretagne d’abord » disent les partisans du Brexit. « La France d’abord » fanfaronne la présidente du Front national Marine Le Pen. « La Russie d’abord » clame le président Vladimir Poutine. Tant d’importance accordée aujourd’hui à la souveraineté nationale pourrait faire penser que les jours de la mondialisation sont comptés.

Ce n’est pourtant pas le cas. Il ne s’agit pas aujourd’hui d’un affrontement entre le mondialisme et l’antimondialisme, mais plutôt d’un monde tiraillé entre deux modèles d’intégration : l’un est multilatéral et internationaliste et l’autre bilatéral et impérialiste. Tout au long de l’histoire moderne, le monde a oscillé entre ces deux modèles.

Depuis 1945, les tenants de l’internationalisme ont prévalu. Ils prônent la coopération et des institutions multilatérales à même de promouvoir les biens communs de l’humanité, comme la paix, la sécurité, la stabilité financière et la durabilité de l’environnement. Leur modèle circonscrit la souveraineté nationale en obligeant les États à se conformer à des normes, conventions et traités communs.

L’année 2016 a vu la balance pencher du côté des chantres du bilatéralisme, qui considèrent la souveraineté nationale comme une fin en soi. Moins il y a de contraintes extérieures, mieux c’est : la paix et la sécurité seront garanties par un équilibre des pouvoirs entre grandes puissances. Leur modèle favorise les forts et punit les faibles et récompense ceux qui se font concurrence, au détriment de ceux qui préconisent la coopération.

Durant la plus grande partie du XIXe siècle, l’intégration mondiale a suivi un modèle hybride d’internationalisme et d’impérialisme. Le libre échange est devenu parole d’évangile, l’immigration de masse a été encouragée et les pays ont adhéré à de nouvelles normes internationales, comme la première Convention de Genève sur l'amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne, adoptée en 1864. Les acteurs de la globalisation pouvaient aussi être des oppresseurs : le traité de Nankin de 1842 entre le Royaume-Uni et la Chine inféodait l’Empire du Milieu à l’Occident. Et l’une des faces la plus terrible de l’impérialisme bilatéral a été le partage de l’Afrique en possessions exclusives par les puissances européennes.

Lors de la période la plus horrible de l’histoire humaine, le bilatéralisme avait le dessus. Entre 1914 et 1945, l’aspiration à la grandeur nationale s’est traduite par une rivalité économique désastreuse et des violences de masse. Le crash de Wall Street en 1929 a fait sombrer un ordre international qui peinait à voir le jour. Tous les pays, les uns après les autres, se replièrent sur eux-mêmes ; en 1933, le commerce mondial n’était plus qu’à un tiers de son niveau de 1929.

Motivé par le racisme et la crainte de surpeuplements, le mondialisme devint prédateur : des pays puissants imposèrent des traités commerciaux inégaux aux pays voisins et partenaires, ou s’en emparèrent purement et simplement. Le Japon envahit la Mandchourie en 1931 pour y créer un État fantoche, puis la Chine en 1937. Les Soviétiques adoptèrent une approche analogue avec les pays satellites de la Russie. Le régime nazi imposa des traités aux pays voisins plus faibles et en occupa d’autres, puis chercha à exterminer les populations des territoires slaves pour faire place aux colons allemands.

La brutalité de ce bilatéralisme incita le président américain Franklin Delano Roosevelt et le Premier ministre britannique Winston Churchill à soumettre un projet de Charte atlantique en 1941, qui entreprenait de jeter les fondements d’un ordre d’après-guerre. La Charte affirmait notamment que la liberté est la pierre angulaire de la paix et que le bilatéralisme devait être jugulé, et préconisait la fin de l’expansion territoriale, la pleine coopération économique et le droit à « parcourir sans entrave les mers et les océans ».

La victoire des Alliés lors de la Seconde guerre mondiale et la Charte atlantique débouchèrent sur un New Deal mondial : en acceptant de se conformer aux règles et aux institutions internationales, les nations pouvaient participer au boom économique d’après-guerre. L’intégration européenne était au centre de cette expérience de mondialisme multilatéral ; grâce à la réconciliation franco-allemande, l’Europe, théâtre de conflits endémiques, devint une région de coopération exemplaire.

Circonscrire la souveraineté nationale a permis aux échanges commerciaux, aux migrations et aux investissements mondiaux de soutenir la prospérité des années d’après-guerre.

Il semble toutefois que cette nouvelle donne mondiale ait fait son temps. Pour un bien trop grand nombre de personnes, le monde est devenu chaotique, dangereux, abrutissant et menaçant – le contraire de ce que la Charte atlantique envisageait. A partir des années 1980, l’intégration mondiale s’est accompagnée d’inégalités croissantes au sein des pays mêmes. Alors que les perspectives d’avenir se multipliaient pour les populations cosmopolites des grandes villes, les liens entre les citoyens se sont affaiblis au fur et à mesure du démantèlement des contrats sociaux nationaux.

Alors que l’estompement des clivages mondiaux exacerbe les disparités nationales, le décor est planté pour un retour en force des partisans du bilatéralisme. En coulisses, des dirigeants comme le président russe Vladimir Poutine appellent de leurs vœux le retour à un monde de souveraineté musclée, libéré des subtilités multilatérales. Ils sont aujourd’hui rejoints par d’autres dirigeants du même acabit, dans des pays clés.

Deux jours après son investiture, Trump a annoncé que les États-Unis auraient une nouvelle « chance » de prendre le contrôle du pétrole irakien. Trump a ensuite signé l’acte de retrait des États-Unis du Partenariat transpacifique (TPP) et s’est engagé à renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). L’avenir de l’Accord de Paris sur le climat, âprement négocié, est aujourd’hui incertain. Les accusations de manipulation des devises et les menaces de mesures protectionnistes se sont multipliées. Maintenant que le Royaume-Uni, qui a donné au monde le libre échange dans les années 1840, a décidé de faire cavalier seul, les anciens alliés de la Charte atlantique donnent la primauté à la souveraineté nationale sur les biens publics mondiaux.

Aujourd’hui, les projecteurs sont braqués sur la France et la prochaine élection présidentielle. Il en va du cahotant moteur franco-allemand qui a tiré l’intégration européenne et qui l’a maintenue au centre du système multilatéral d’après-guerre. Une victoire de Le Pen en mai prochain entraînerait la fin de l’Union européenne, et la chancelière allemande Angela Merkel serait le dernier pilier d’un ordre mondial qui se désagrège. Le pays le plus profondément refaçonné par l’internationalisme post-1945 en serait le dernier bastion, entouré par des dirigeants partisans du bilatéralisme en France, au Royaume-Uni et en Russie, tandis que les États-Unis, leur principal parrain, sont aux mains de nativistes.

Imaginez la scène quelques semaines après l’élection de Le Pen, lorsque les chefs d’État et de gouvernement du G7 se réuniront dans un hôtel de luxe à Taormina, en Sicile. Les États-Unis et le Canada se disputent à propos de l’ALENA. Le Royaume-Uni s’empoigne avec l’Allemagne et la France au sujet du Brexit. Le Japon est sonné par la disparition du TPP. Et pendant que tous ces pays faillissent à leurs engagements internationaux, les réfugiés, qui se noient par bateaux entiers, sont l’épitaphe d’une époque révolue.


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