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Date :  2017-03-09
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Le « rahui » polynésien au secours de l’environnement


Pour les habitants de Taupo, en Nouvelle-Zélande, lorsqu’une personne disparaît en mer, comme ce fût le cas au mois de février, il est assez fréquent d’interdire la pêche tant que le corps n’ait pas été retrouvé. Cette pratique, appelée « rahui » est largement diffuse en Polynésie orientale.

Géographiquement, cette région est représentée par un triangle dont chaque sommet est délimité par l’archipel de Hawaii au nord, l’île de Pâques à l’ouest et Aotearoa/Nouvelle-Zélande au sud, la Polynésie française actuelle se situant au centre de ce triangle.

Dans cette zone, le « rahui » est communément reconnu comme une interdiction temporaire de prélèvement d’une ressource (agricole ou lagonaire) sur un territoire insulaire.

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T. Bambridge, Author provided



Le rahui, une pratique politique

D’un point de vue polynésien, le mot « rahui » peut être utilisé comme un nom ou un verbe. En tant que verbe, la décision de « rahui » (d’interdire) était prise par une communauté (une chefferie, une famille élargie …) pour des raisons diverses (un événement important comme la naissance d’un premier-né, la fin d’un conflit, l’intronisation d’un chef, etc.).

En tant que nom, le « rahui » désigne l’objet de l’interdiction : un espace et/ou une ressource, comme dans les expressions « je vais au rahui » ou « cette espèce de poisson est rahui ». Dans ce cas, le rahui désigne un espace délimité interdit (par exemple une partie d’un lagon) ou l’objet du rahui (un poisson, une ressource agricole).

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Zone de rahui à Teahupoo. T.Bambridge, Author provided



La raison de la mise en place d’un rahui n’était pas écologique mais politique. Il revenait à un groupe (un clan ou une famille élargie ou une chefferie) d’interdire (rahui) l’accès à un espace (le rahui), le prélèvement d’une ressource pendant une période variable. Ainsi, un rahui dans l’île de Huahine avait duré plus de 30 ans, rapporte le missionnaire William Ellis au XIXe siècle.

Jusque dans les années 2000, cette institution avait été délaissée d’une part parce que les missions, en particulier protestantes, y voyaient un obstacle politique à l’implantation d’une nouvelle religion judéo-chrétienne, d’autre part parce que les États indépendants puis les colonisations anglaises, américaine ou française, considéraient cette institution comme la mise en œuvre d’un pouvoir local qui échappait à leur contrôle.

Dans les années 2000, on observa dans cette région du Pacifique un renouveau identitaire et culturel important, comme expliqué par l’anthropologue Marshall Sahlins, qui place le rahui au cœur des dynamiques sociales et environnementales, dans un contexte de décolonisation du Pacifique depuis les années 1970. Les communautés locales se réapproprient leur culture, en utilisant des institutions anciennes comme mode de gouvernance de leur territoire. En raison de l’attachement des Polynésiens à une institution qu’ils considèrent légitime et efficace, les États indépendants ou sous tutelle du Pacifique sud, renforcent désormais le rahui dans le cadre de leur politique de préservation et de valorisation des ressources lagonaires, même si les relations entre pouvoirs locaux et centraux peuvent être discutées.

Un rahui pour l’écologie

En Polynésie française, les habitants de Rapa (archipel des Australes) et de Maiao (archipel des îles de la société), ont été les premiers à rétablir un rahui sur une partie de leur île, avec des résultats écologiques positifs en terme de préservation de la biodiversité marine (augmentation de la biomasse, de la richesse intra-spécifique de poissons).

À Tahiti, dans la commune de Teahupoo, le rahui mis en place depuis 2013 par la population de la commune témoigne d’un grand respect de cette institution. Il a été voulu à l’origine par le maire de la commune qui a souhaité la création d’un rahui hybride : géré par la population tout en bénéficiant de la protection juridique du code de l’environnement. Après trois ans de concertation, le rahui de Teahupoo d’une superficie de 700 hectares était né.

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Zones où le « rahui » est appliqué. T.Bambridge, Author provided



Un suivi écologique du CRIOBE montre en effet une forte augmentation de la biomasse et des quantités de poissons commerciaux à l’intérieur du rahui (espace délimité par la population).

Si en principe, les codes des pêches, de l’environnement et de l’aménagement, permettent de protéger la biodiversité terrestre et marine, dans la pratique, leurs effets sont limités lorsqu’ils ne se conjuguent pas avec la mise en œuvre d’un rahui géré par les populations, mariant savoirs locaux, scientifiques et cadre administratif.

Les principes du rahui

Pour bien comprendre l’efficacité du rahui en Polynésie française, il nous faut revenir sur les principes qui fondent cette institution que l’État polynésien a du mal à intégrer dans son ordonnancement juridique. Le rahui apparaît d’abord comme la mise en œuvre d’un pouvoir politique à une échelle locale par une assemblée relativement autonome du pouvoir étatique et de la religion judéo-chrétienne.

Il implique le concours des ancêtres (tupuna), des tahu’a (littéralement, expert) tauta’i (de la pêche), ra’au (des soins traditionnels), hiroa tumu (de la culture et des généalogies), pour gérer un espace en fonction des calendriers lunaires et du contexte.

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À Rapa, partage du rahui (pêche) Christian Ghasarian, Author provided



Des cérémonies, comme à Rapa et Maiao, peuvent être organisées pour prélever temporairement des poissons en vue d’un partage au sein de la communauté, pour réaffirmer le rôle primordial du rahui : maintenir l’équité et favoriser le partage.

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Partage de rahui à Rapa. Christian Ghasarian, Author provided



Dans d’autres cas, comme à Teahupoo, le rahui apparaît aussi comme une institution de préservation de la biodiversité et de résilience contre le changement climatique : coraux et poissons y trouvent un espace-sanctuaire, pour grandir, à l’abri des prédateurs.

Le pluralisme juridique (c’est-à-dire la présence dans un champ social de plus d’un ordre normatif) constitutif du rahui aujourd’hui en Polynésie française a des racines anciennes. Autrefois, dans un contexte d’une société sans État, le rahui était administré par une pluralité d’acteurs. Aujourd’hui en Polynésie française, les rahui qui fonctionnent sont hybrides (comme à Teahupoo) ou en dehors de tout contrôle étatique. L’État polynésien tente d’imposer son ordre juridique aux rahui locaux.

Pourtant, la promesse d’une gestion durable de la biodiversité passe par les acteurs locaux (le comité de gestion, les experts traditionnels, les écoles). Ainsi, une négociation continuelle entre normes locales et étatiques est nécessaire pour pérenniser la préservation des territoires et des ressources.

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