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Date :  2016-02-25
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La fin du recours aux mères porteuses transfrontalières ?

Source :  Project Syndicate


Le commerce mondial des bébés nés grâce à l'emploi rémunéré de mères porteuses est en train de s'arrêter peu à peu. L'Inde, le Népal, la Thaïlande et le Mexique ont introduit des mesures censées limiter ou interdire aux étrangers l'emploi des habitantes de ces pays comme mères porteuses. Le Cambodge et la Malaisie vont probablement leur emboîter le pas.
Dans un domaine où l'opinion commune a longtemps dédaigné les efforts pour « lutter contre le marché », cette avancée est surprenante et bienvenue. Les promoteurs non critiques de la biotechnologie ont tendance à se réjouir du fait que les percées technologiques ont dépassé les réglementations gouvernementales, en faisant valoir que cela a permis à la science de progresser sans entraves. Mais la détermination de pays ayant une tradition d'emploi rémunéré de mères porteuses d'arrêter cette pratique, souligne la naïveté de cette position.

Ce n'est pas un hasard si les pays qui répriment le recours aux mères porteuses transfrontalières sont ceux où cette pratique a lieu. L'argument selon lequel toutes les parties bénéficient de la transaction (les mères porteuses, les bébés et les parents commanditaires), n'est en fin de compte pas concluant.

Dans le cas de l'Inde, où l'activité du recours à des mères porteuses est évaluée à 400 millions de dollars par an, jusqu'à une date récente près de 3 000 cliniques de procréation médicalement assistée étaient en activité dans le pays. Pourtant une inquiétude croissante selon laquelle l'emploi rémunéré de mères porteuses conduirait à la traite des êtres humains et à l'exploitation des femmes, a forcé les autorités de l'Inde à conclure que les préoccupations éthiques l'emportent sur les avantages économiques.

L'Inde doit encore parachever sa législation contre les mères porteuses. Mais la façon dont le débat a évolué, depuis que le premier projet de loi a été soumis en 2008, illustre l'évolution rapide de la façon dont cette pratique est perçue. Les premières versions du projet de loi encourageaient en fait l'emploi rémunéré de mères porteuses, en obligeant les mères employées comme mères porteuses à abandonner leurs bébés. Étant donné qu'en vertu du droit commun, la femme qui porte un enfant est légalement sa mère, cette disposition semblait radicalement favorable au recours aux mères porteuses.

Depuis lors le débat a évolué, en révélant à l'occasion des aspects douteux et bizarres de ce commerce. Dans une affaire, l'Allemagne (où le recours aux mères porteuses est illégal), a refusé d'accepter les enfants jumeaux d'un père allemand, nés d'une mère porteuse indienne, tandis que l'Inde a hésité à accorder au père un visa de sortie afin qu'il puisse retirer les enfants.

En octobre 2015, le Ministère de la santé et du bien-être familial de l'Inde, sous la pression de la Cour suprême, a déclaré que l'emploi international rémunéré de mères porteuses était anticonstitutionnel. Le Conseil de Recherche médicale a fait parvenir une notification à toutes les cliniques, en leur indiquant de ne pas « recevoir » les couples étrangers, les citoyens Indiens non-résidents ni les personnes d'origine indienne. Le mois suivant, le Département de Recherche de santé a interdit l'importation d'embryons devant être implantés à des mères porteuses, ce qui a rendu la procédure quasi impossible.

Certes l'Inde n'est pas le seul pays qui a recours à des mères porteuses transfrontalières. En effet, la règlementation indienne, qui limite les services de mères porteuses aux couples hétérosexuels mariés depuis au moins deux ans, avait déjà causé une certaine délocalisation de ce commerce, en particulier vers la Thaïlande.
Mais là encore, les mentalités ont évolué, surtout après qu'un couple australien a refusé d'assumer la responsabilité d'un bébé atteint de trisomie 21, né d'une mère porteuse. Le couple a cependant préféré prendre la sœur jumelle du garçon, en indiquant clairement par là qu'ils n'avaient pas payé pour le « service » fourni par la mère, mais pour les enfants eux-mêmes – ou plutôt, seulement pour celui qui répondait à leurs critères. En conséquence, il est devenu plus difficile de nier que le recours aux mères porteuses transfrontalières s'apparente à la vente de bébés.

En août 2015, la Thaïlande a restreint le recours aux mères porteuses aux couples dont au moins un partenaire est de nationalité thaïlandaise. Les infractions à la loi sont passibles de peines pouvant aller jusqu'à dix ans de prison, pour la mère porteuse ainsi que pour les parents commanditaires. Comme en Inde, le recours aux mères porteuses est un sujet sensible en Thaïlande, perçu par certains comme une forme d'exploitation néocolonialiste, où les bébés sont vus comme des matières premières prélevées au profit des Occidentaux. « Cette loi vise à empêcher que les ventres des femmes thaïlandaises ne deviennent les ventre du monde » a déclaré Wanlop Tankananurak, membre de l'Assemblée législative nationale de Thaïlande.

En novembre 2015, une douzaine de cliniques indiennes et thaïlandaises se sont délocalisées à Phnom Penh. Ce fait nouveau semble à première vue conforter l'argument selon lequel le commerce ne peut jamais être éradiqué, mais seulement déplacé. Mais jusqu'à présent, les cliniques établies au Cambodge sont peu nombreuses. En outre, certains rapports indiquent que le Ministère de l'Intérieur du Cambodge a l'intention de traiter l'emploi rémunéré de mères porteuses comme une forme de traite des êtres humains, comportant un risque de peine de prison.

Le Népal a également prononcé un moratoire sur les mères porteuses suite à la dénonciation du caractère abusif de cette pratique. En avril 2015, après un tremblement de terre à Katmandou, Israël a fait sortir du Népal 26 bébés nés de mères porteuses, mais a abandonné leurs mères (dont la plupart avaient traversé la frontière indienne), en zone sinistrée.
La Malaisie semble également en voie d'interdire cette pratique. Au Mexique, l'État de Tabasco, la seule juridiction du pays où le recours à des mères porteuse est légal, a restreint cette pratique aux couples hétérosexuels mexicains dont la femme est stérile. Au cours du débat législatif, l'adjointe Veronica Perez Rojas a dénoncé le recours aux mères porteuses comme une « nouvelle forme d'exploitation des femmes et de trafic ».

Il existe bien sûr un risque que la répression internationale en cours entraîne le recours clandestin à des mères porteuses. Mais ce risque ne fait que souligner le besoin de se doter d'une législation claire et stricte. Même si certains parents potentiels sont prêts à enfreindre la loi, la grande majorité sera découragée par les sanctions, notamment par le risque de ne pas pouvoir garder le bébé ou d'être incapable d'obtenir pour lui un visa de sortie.
Le camp favorable aux mères porteuses met en avant les avantages de cette pratique, notamment un plus grand choix en matière de reproduction et un plus grand pluralisme sexuel. Mais bien que ces considérations puissent être authentiques et importantes, elles ne peuvent pas être placées au-dessus de la nécessité d'empêcher l'exploitation de certaines des femmes les plus vulnérables du monde.


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