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Date :  2016-03-03
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Au-delà d’une solution à deux États


Alors que la crise au Moyen-Orient ne cesse de s’aggraver, le destin des Palestiniens semble avoir été relégué à l’arrière-plan des priorités diplomatiques. Depuis 2014 et l’opération israélienne Bordure protectrice, la solution à deux États est dans le coma, sous perfusion, malgré les efforts héroïques du secrétaire d’État John Kerry pour la ranimer. Beaucoup, dans la région ou ailleurs, pensent qu’elle est morte.

Mais cela soulève un nouveau problème. Dès lors que la nationalité n’est plus un espoir possible, le temps viendra forcément où les Palestiniens commenceront à demander le droit de vote aux élections israéliennes. La bataille sera vive. Si les Israéliens ont si longtemps soutenu une solution à deux États, c’est en partie pour éloigner des négociations la question de l’affranchissement des Palestiniens.

Comment l’ordre qui se dessine pourrait-il, mieux que la solution à deux États, offrir à chacun sa place et gagner en légitimité ? Les éléments d’une issue constructive se cachent en pleine lumière, dans la foule des faits.

Peu après qu’Israël a signé, en 1994, le traité de paix avec la Jordanie, Shimon Peres, qui était alors ministre des Affaires étrangères, a proposé, afin de consolider l’accord, la création d’une zone économique commune transfrontalière, devenue le Jordan Gateway Industrial Park (JGIP), une zone économique spéciale (ZES), qui s’étend sur plus de 120 hectares, de part et d’autre du Jourdain, non loin de Haïfa.

Le JGIP, dont l’industriel israélien Shlomi Fogel est un ardent défenseur, connaît, depuis quelque temps, une croissance soutenue. L’État d’Israël lui a alloué 34 millions de dollars en 2013, et la Jordanie, qui pilote pour l’essentiel le projet depuis 2001, lui fournit une aide fiscale. Comme dans n’importe quelle ZES ailleurs dans le monde, les industries présentes sur la zone sont exonérées d’impôts et de droits de douanes ; elles jouissent aussi d’autres avantages économiques.
Ce modèle devrait être étendu à des zone politiques spéciales (ZPS) qui court-circuiteraient les divisions entre Israéliens et Palestiniens. On pourrait créer ces zones sur les frontières qui séparent Israël de Gaza et de la Cisjordanie. Elles devraient être plus intégrées que le JGIP, où la main-d’œuvre est extérieure.

Les habitants des ZPS se constitueraient eux-mêmes comme les microcosmes du nouvel ordre local. Les entreprises pourraient y être la propriété d’Israéliens ou de Palestiniens ou encore des uns et des autres, ensemble. Les employés viendraient des deux côtés de la ligne de partage. Tous, en revanche, devraient vivre sur le site de la ZPS, où ils recevraient des titres de propriété et des rôles dans la gouvernance en proportion du temps de résidence dans la zone.
Le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne accorderaient une large autonomie politique aux ZPS, qui disposeraient d’infrastructures résidentielles – écoles, services municipaux, équipements médicaux, etc. – capables de leur assurer une autosuffisance conséquente. La gouvernance quotidienne serait confiée aux résidents, qui auraient un intérêt économique au dynamisme des ZPS et seraient incités financièrement à soutenir l’intégration de communautés binationales.

Co-op City[,dans le Bronx], le plus grand complexe résidentiel des États-Unis, peut servir de modèle. Gérée par une société coopérative de logement, Co-op City comprend des écoles et des magasins et le maintien de l’ordre y est assuré par une société privée. Ces lotissements résidentiels, gérés par des associations de copropriétaires (common-interest housing developments – CIDs) se sont beaucoup développés ces dernières années aux États-Unis. Une part de leur succès tient au fait que les habitants participent à leur gestion. Au Moyen-Orient, ce genre de dispositif pourrait contribuer à encourager de nouvelles formes de coopération ethnique.

La sécurité serait un point capital. Au départ, des check-points, comme ceux qui sont installés aux points de passage vers la Cisjordanie ou vers Gaza, seraient disposés sur le périmètre des ZPS. Mais les gens n’auraient pas à les franchir quotidiennement, ce qui, jusqu’à maintenant, constitue pour les ZES transfrontalières un sérieux handicap. Des forces autonomes, comme celles qui sont déployées dans les CIDs ou sur les campus universitaires seraient chargées du maintien de l’ordre au sein de la zone, à la différence du JGIP, où Israël et la Jordanie sont responsables séparément, sur leur rive respective, de l’ordre public.

Les ZPS devraient être situées près des axes de transport des deux côtés de la frontière, mais éloignées des sanctuaires religieux, des colonies de peuplement et des installations militaires d’importance stratégique. Parmi les sites possibles : celui de l’ancien projet de zone industrielle Khaddourie, entre Tulkarem, en Cisjordanie, et Herzliya, ou encore la zone industrielle de Karni, à la sortie de la ville de Gaza.

Pour avancer, l’idée n’a pas besoin de convaincre des électeurs ou des extrémistes. Les ZPS ne s’adressent pas non plus à des gens déracinés. Elles attireront celles et ceux qui ont soif de construire des solutions là où prévaut la stagnation et où menace la dérive inexorable, pour des raisons démographiques, vers un apartheid israélien.

Celles et ceux qui s’installeront dans des ZPS s’engageront activement pour leur réussite. Si les premières zones fonctionnent correctement, on peut espérer qu’il se créera un mouvement pour réclamer la poursuite de l’expérience. Et les ZPS transfrontalières pourraient même être reproduites au sein des territoires occupés et d’Israël, y compris dans des villes comme Ramallah ou Tel-Aviv.

Tout dépendra des communautés créées par les résidents. Mais les gens de l’extérieur pourront aider. Comme c’est le cas avec le JGIP, les ZPS offriront aux investisseurs de la région et au-delà l’occasion de contribuer à la paix – et d’en profiter ; ils seraient éligibles à des réductions d’impôts, voire à l’aide l’aide publique de leur pays d’origine.

Les États-Unis pourraient prendre la direction du mouvement, comme ils l’ont déjà fait avec les ZES d’Égypte et de Jordanie. États et philanthropes pourraient allouer des fonds de lancement. Comme avec le JGIP, le but serait de mettre en place de meilleures pratiques, qu’on chercherait à imiter ailleurs.

Des partenaires sérieux sont d’ores et déjà prêts à investir dans des ZPS. Fogel est membre du groupe Breaking the Impasse (BTI), qui réunit des dirigeants d’entreprise palestiniens et israéliens de premier plan, engagés au service de la paix. Fondé en juillet 2012 par le magnat palestinien Muni Al-Masri et par le milliardaire israélien du secteur des nouvelles technologies Yossi Vardi, BTI compte quelque 300 membres, dont les entreprises représentent au moins 30% de la production israélienne et palestinienne. En d’autres termes, il dispose de l’influence et des moyens qui permettraient d’étudier la construction d’une première vague de ZPS.

Les premières ZPS auront pour vocation de montrer que le mariage de la politique et de l’économie peut déboucher sur des collaborations qui seraient sinon inimaginables. Le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne doivent proposer leurs bons offices, mais aussi rester pour l’essentiel sur le siège arrière d’une aventure qui doit être conduite par des entrepreneurs, des amis de la paix – dans la région ou ailleurs – et surtout par des citoyens palestiniens ou israéliens dont l’action et les parts obtenues par leur travail dans la propriété des zone concernées en feront les nouveaux pionniers de la paix. S’ils réussissent, la mort de la solution à deux États pourrait s’avérer un mal pour un bien.

Traduction François Boisivon


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