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Date :  2016-01-29
langue :  Français
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Xi Jinping à la conquête du Moyen-Orient


Ceux qui reprochent à la Chine une politique étrangère trop prudente vont devoir reconsidérer leurs critiques, à l’issue d’un tout récent déplacement du président Xi Jinping en Arabie saoudite et en Iran – deux puissances majeures du Moyen-Orient, aujourd’hui prêtes à se sauter à la gorge. Ces visites d’État témoignent en effet de l’amorce d’une politique étrangère plus active de la part de Xi, et notamment au Moyen-Orient. Cette approche nouvelle soulève ainsi une question importante : la Chine exercera-t-elle sur la région un impact plus constructif que les États-Unis ?

Cette nouvelle implication s’opère de toute évidence à une période extrêmement tendue au Moyen-Orient, à l’heure où la région subit les premières heures d’une nouvelle guerre de Trente Ans, comme l’a affirmé Richard N. Haass, dans laquelle « guerres civiles et conflits par procuration deviennent impossibles à distinguer. » L’un des principaux facteurs à l’origine du chaos actuel – qui illustre la convergence de nombreux conflits et défis profondément ancrés – a résidé dans l’invasion de l’Irak par l’Amérique en 2003. En éliminant le régime sunnite de Saddam Hussein, les États-Unis ont en effet ouvert la voie à un gouvernement conduit par les chiites, évolution qui a fait pencher l’équilibre régional des puissances en faveur de l’Iran, aboutissant à une situation dans laquelle une Arabie saoudite à gouvernance sunnite éprouve le sentiment d’être assiégée par une coalition chiite.

Ceci explique pourquoi l’Iran et l’Arabie saoudite s’impliquent aussi profondément dans la guerre civile syrienne. Chacun des camps a conscience que le sort du régime alaouite du président Bachar el-Assad aura d’importantes retombées sur l’ordre régional. Aux yeux de l’Arabie saoudite, la nécessité de contenir l’Iran se fait d’autant plus importante au lendemain du récent accord conclu autour du programme nucléaire du pays, qui a abouti à la levée de sanctions économiques internationales longtemps constitutives d’obstacle aux ambitions de l’Iran en termes de leadership régional.

Bien entendu, ni l’Arabie saoudite ni l’Iran – ni la Turquie, qui a elle aussi rejoint la compétition pour l’influence régionale – ne souhaitent prendre part à une confrontation directe. Ces pays préfèrent appuyer d’autres acteurs, même si cela doit signifier attiser une dangereuse radicalisation religieuse ainsi qu’une privatisation de la violence. Les mouvements terroristes nés de cette approche – et plus précisément l’État islamique – ne pourront être vaincus via le recours à des opérations de contre-terrorisme traditionnelles.

Mais les rivaux internes au Moyen-Orient ne sont pas les seuls acteurs impliqués dans l’actuel bourbier qui caractérise la région. Plusieurs puissances extérieures telles que la France, la Russie, et bien entendu les États-Unis, sont elles aussi profondément impliquées, poursuivant chacune leurs propres objectifs géopolitiques. Voici désormais que la Chine pénètre dans la mêlée, apportant avec elle une vision constructive inédite.

Les deux caractères qui composent l’expression chinoise signifiant « crise » ont individuellement pour signification l’idée de « danger » et d’ « opportunité ». C’est précisément ce que la Chine entrevoit aujourd’hui au Moyen-Orient. Dans l’esprit de la plupart des acteurs concernés, l’extrême dangerosité liée à la compétition géopolitique qui caractérise la région vient éclipser l’importance des opportunités économiques que cette région abrite. Ce n’est pas le cas de la Chine. Comme l’a déclaré Xi lors de sa dernière visite au Caire : « Plutôt que de nous lancer à la recherche d’un intermédiaire au Moyen-Orient, nous favorisons les négociations de paix. Plutôt que d’aspirer à quelque sphère d’influence, nous invitons toutes les parties à rejoindre un cercle de pays amis, dans le cadre de l’initiative que constitue la Ceinture économique de la Route de la Soie. »

Cette démarche vient refléter ce plus large rééquilibrage de politique étrangère que poursuit Xi depuis son arrivée au pouvoir en 2013. Contrairement à l’Amérique, qui a élaboré un « pivot » stratégique s’orientant d’une région géographique vers une autre, la Chine procède en effet à un rééquilibrage passant d’une « politique entre nations » à une « politique entre réseaux », en mettant davantage l’accent sur la « connectivité » que sur le « contrôle ».

Or, la région du Moyen-Orient s’avère cruciale à cette ambitieuse stratégie axée sur la connectivité, notamment en raison de son rôle clé dans le cadre du projet « Une ceinture, une route » présenté par Xi au Caire. La détermination dont fait preuve la Chine pour rétablir l’ancienne Route de la Soie – y compris l’itinéraire terrestre traversant le Moyen-Orient – a conduit le pays à nouer des partenariats stratégiques avec huit pays arabes au cours des dernières années, ainsi qu’à conclure des accords auprès de six pays arabes afin de poursuivre cette initiative de manière conjointe. De même, l’Iran, la Turquie et sept pays arabes comptent parmi les membres fondateurs de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, basée à Pékin, institution essentielle au financement de projets liés aux infrastructures.

Pour autant, la Chine ne se contente pas de patienter jusqu’à l’achèvement de l’initiative « Une ceinture, une route » pour promouvoir le développement des échanges commerciaux auprès des États du Moyen-Orient. Au cours de son dernier déplacement en Arabie saoudite, Xi a déclaré qu’il espérait que soient conclues cette année les négociations autour du libre-échange entre le Conseil de coopération du Golfe et la Chine.

Par ailleurs, Xi a annoncé que la Chine octroierait pour 55 milliards $ de prêts au Moyen-Orient, dont un prêt de 15 milliards $ spécifiquement dédié à l’industrialisation, 10 milliards $ de prêts commerciaux destinés à booster les capacités de production, et 10 milliards $ en prêts concessionnels. Les 20 milliards $ restants s’orienteront vers un fonds de placement commun entre les Émirats arabes unis et le Qatar, destiné à des investissements dans les énergies traditionnelles, le développement des infrastructures, et les industries manufacturières haut de gamme dans la région.

Toutes ces démarches s’inscrivent en phase avec le modèle de coopération « 1+2+3 » proposé par Xi en juin 2014 à Pékin, lors de la conférence ministérielle du Forum de coopération entre la Chine et les États arabes. Selon cette approche, la coopération énergétique doit constituer le cœur de la collaboration, avec pour piliers la construction d’infrastructures, les échanges commerciaux et les investissements. Énergie nucléaire, satellites, et nouvelles sources énergétiques constituent trois domaines hautement technologiques dans lesquels la coopération pourrait aboutir à d’importantes avancées. À cet égard, l’objectif consiste à tirer parti des ressources énergétiques de la région, tout en aidant celle-ci à s’industrialiser et à diversifier son économie.

Bien entendu, le succès de la Chine au Moyen-Orient exigera que des progrès soient accomplis dans l’apaisement des tensions de la région, l’extinction de ses points d’embrasement, et la stabilisation de ses États les plus fragiles – autant d’objectifs qui nécessiteront une sage diplomatie de la part de nombreux acteurs. Pour autant, la paix et le développement sont inextricablement liés. S’ils entendent endiguer la vague de l’extrémisme, les pays du Moyen-Orient doivent pouvoir offrir à leur population un certain nombre d’opportunités économiques, qui ne pourront naître que des échanges commerciaux, de l’investissement et de l’emploi. Sur ce point fondamental, la Chine a beaucoup à offrir au Moyen-Orient – et le président Xi a de nouveau prouvé sa détermination sur cette voie.

Traduit de l’anglais par Martin Morel


Pays : 
- Chine   

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