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Date :  2015-12-07
langue :  Français
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Des zones de développement pour les réfugiés syriens


La crise des réfugiés syriens place l’Union européenne dans un terrible dilemme. L’histoire incombe à l’Europe de venir en aide aux victimes de la guerre et de la violence et de les accueillir ; les politiciens responsables reconnaissent qu’il est inhumain d’en refuser l’entrée à des gens qui fuient pour sauver leur vie. Pour des raisons morales et pratiques, l’UE ne peut construire autour d’elle un moderne rideau de fer. Mais il est non moins évident que des obstacles tant administratifs que politiques – dont le moindre n’est pas la réaction populiste de rejet à l’encontre des nouveaux arrivants – limitent la capacité de l’UE à absorber en un temps court un grand nombre de migrants.

Pour faire face à cet afflux, il faudra s’attaquer aux causes qui poussent des millions de gens à fuir leur pays. Si celles-ci relèvent de tensions politiques – en particulier des guerres civiles qui dévastent la Syrie et l’Irak –, les flux de réfugiés traduisent aussi l’incapacité du Moyen Orient à générer la croissance des revenus qui a sorti de la pauvreté l’Asie, l’Amérique latine et une bonne partie de l’Afrique sub-saharienne.

Il devient de plus en plus évident que l’UE devrait faire figurer en tête de ses priorités la nécessité de fournir des perspectives économiques aux réfugiés. L’Europe devrait prendre exemple sur les efforts des milieux d’affaires syriens pour relocaliser les entreprises de leur pays dans la zone économique franche de Gaziantep, en Turquie. L’UE devrait travailler, où c’est possible, avec les pays qui accueillent actuellement les réfugiés pour créer des zones de développement où les déplacés syriens pourraient accéder à un emploi légal.

Le peu de perspectives offertes par les voisins de la Syrie exacerbe ce problème économique essentiel. Les jeunes sont contraints d’abandonner leurs études et les réfugiés sont totalement ou partiellement exclus du marché légal du travail, par crainte qu’ils ne concurrencent les populations locales. Ainsi sont-ils confrontés à un lugubre choix : la vie dans les camps en tentant de subsister grâce au secteur informel ou l’espoir d’un avenir en Europe. Beaucoup choisissent l’espoir.

Plus longtemps les réfugiés seront maintenus dans de médiocres conditions de vie, sans établissements d’enseignement adaptés pour les jeunes et sans réelles perspectives d’emploi, plus les camps s’exposent à devenir des centres de désillusion, de lassitude et de radicalisation. Alors que les combats se prolongent chez eux, le risque augmente que les réfugiés ne puissent plus jamais retrouver une place dans une société stable.

Les ministres français et allemand de l’Économie, Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel, ont lancé récemment une proposition commune pour la création d’un fonds de 10 milliards d’euros (10,8 milliards de dollars) afin de stabiliser la région. La façon dont cet argent sera dépensé doit être soigneusement établie, de sorte qu’il permette d’améliorer à long terme la condition des personnes déplacées et ne soit pas détourné par des politiciens et des bureaucrates corrompus.

L’UE devrait soutenir le développement d’expériences comme celle de la zone économique franche de Gaziantep. Les camps de réfugiés doivent devenir des pôles d’attraction du dynamisme entrepreneurial, en puisant dans le vivier d’hommes d’affaires syriens déplacés par le conflit, et fournir ainsi, lorsque la guerre sera finie, un modèle pour le pays.

Les exemples abondent, dans l’histoire, de petits centres actifs qui ont stimulé des aires beaucoup plus vastes. L’Europe de la fin du Moyen Âge s’est enrichie grâce à la position exceptionnelle de ses cités-États autonomes. Deng Xiaoping a donné le coup d’envoi du développement de la Chine, dans les années quatre-vingt, en créant ce qu’il est convenu d’appeler les zones économiques spéciales, dont les réglementations ont permis aux marchés de prospérer. Dans les deux cas, ces zones ont eu de puissants effets d’entraînement, le reste de la région n’ayant de cesse de les imiter.

Certes, la main-d’œuvre réfugiée constitue pour les pays voisins de la Syrie une délicate question politique. Environ deux millions de Syriens vivent en Turquie, et plus d’un million ont trouvé refuge en Jordanie. La plupart d’entre eux vivent hors des camps, et beaucoup travaillent – illégalement le plus souvent. Les taux chômage atteignent en Turquie et en Jordanie 10% et 12% respectivement, et les gouvernements des deux pays hésitent naturellement à mettre en place des programmes qui pourraient coûter des emplois à leurs nationaux.

Les zones de développement dans les pays limitrophes devraient donc avoir pour but de générer des bénéfices, tant pour les réfugiés que pour les communautés d’accueil. L’UE pourrait, par exemple, financer la construction d’immeubles d’habitation, de bureaux, d’entrepôts et d’équipement du secteur public, augmentant du même coup la demande pour les services locaux du bâtiment.

Les entrepreneurs syriens déplacés tout comme les entreprises étrangères pourraient établir leurs activités dans la zone et employer aussi bien des réfugiés syriens que de la main-d’œuvre du pays d’accueil. Le programme pourrait offrir à des entreprises syriennes dont l’activité a été perturbée ou interrompue, une chance de repartir dans un nouvel environnement. Il pourrait aussi mettre en place des modules combinés de production et de formation, les employeurs européens dépêchant sur place de la main d’œuvre qualifiée pour former les réfugiés.

Les activités dans la zone auraient probablement besoin d’aides de l’UE afin d’attirer les investisseurs. Hormis les injection de capitaux pour soutenir le secteur du bâtiment, l’aide pourrait prendre la forme d’allocations logement ou d’une subvention pour les entreprises employant des réfugiés. Ces nouveaux centres de compétences entrepreneuriales seraient conçus de telle sorte qu’ils puissent être aisément relocalisés, après la guerre, en Syrie. À l’instar des pays européens, les pays voisins de la Syrie s’inquiètent du maintien à long terme des réfugiés sur leur sol. Le soin apporté à la construction d’une « économie en attente » pourrait contribuer à apaiser leurs craintes.

Les zones de développement ne sont pas une panacée. Rien ne pourra remplacer une paix durable en Syrie. Mais elles offriraient une chance de remédier à une conséquence tragique bien qu’évitable de la guerre civile : l’impossibilité où se trouvent des millions de personnes de gagner légalement leur vie et de subvenir aux besoins de leur famille.

Traduction François Boisivon


Pays : 
- Syrie   

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