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Date :  2013-04-19
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L’hydrogène : Jules Verne avait raison


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Tous les amateurs de science-fiction se souviennent que Jules Verne, dans ses merveilleux romans, avait imaginé, il y a maintenant plus de 140 ans, que l’hydrogène deviendrait un jour la principale source d’énergie utilisée par l’homme.

Aujourd’hui, la consommation mondiale d’hydrogène est proche des 60 millions de tonnes par an mais elle ne représente encore que 2 % du bilan énergétique mondial. En outre, la production de cet hydrogène est réalisée à 95 % à partir de combustibles fossiles et entraîne donc d’importantes émissions de gaz à effet de serre.

L’hydrogène est très énergétique : à quantité égale il peut produire presque quatre fois plus d’énergie que le gaz naturel ou le pétrole. Un kg d’hydrogène représente 39 kWh d’énergie et deux kilos d’hydrogène par jour suffiraient à satisfaire les besoins énergétiques en électricité d’une famille moyenne.

Mais l’hydrogène est un élément paradoxal : cette substance qui est la plus abondante dans l’univers, est très difficile à trouver à l’état pur sur notre planète car elle est presque toujours combinée à d’autres éléments chimiques, soit pour constituer de l’eau (H2O), soit pour former différents gaz associant carbone et hydrogène, comme le méthane ou le gaz naturel.

Pour pouvoir utiliser l’hydrogène, il faut donc l’extraire à grands frais énergétiques en utilisant différentes techniques, comme l’électrolyse, le reformage, le vaporeformage ou la gazéification. Le problème est que toutes ces méthodes sont gourmandes en énergie et émettent des quantités importantes de CO2.

Les scientifiques et industriels du monde entier explorent donc d’autres voies qui permettraient une production industrielle et massive d’hydrogène à un coût économique compétitif et sans émissions de CO2.

Il faut également souligner que, contrairement aux idées reçues, l’utilisation de l’hydrogène ne se cantonne plus aux transports mais s’étend également au domaine résidentiel ainsi qu’à la production industrielle d’électricité, via le stockage d’énergie.

Au Japon par exemple, Toyota propose à présent des piles à combustible résidentielles qui coûtent moins de 25 000 €, qui sont garanties 10 ans et peuvent fonctionner au moins 80 000 heures. En 2013, Panasonic, Toshiba et Hitachi devraient vendre 30 000 piles à combustible résidentielles, c’est-à-dire cinq fois plus qu’il y a cinq ans.

Le stockage de l’hydrogène qui nécessite, en raison de sa très faible densité, une très forte pression et des réservoirs très épais, est également en train d’être révolutionné par l’apparition de nouvelles technologies, comme le stockage solide dans des nanomatériaux, sous forme d’hydrates de magnésium, solution développée notamment par la société drômoise McPhy.

Fin 2012, aidée pour cette opération par l’Europe, dans le cadre du septième Programme pour la recherche et l'innovation, la société McPhy, entourée d’un vaste consortium européen (Italien, Espagnol et Belge), a présenté INGRID, un démonstrateur de stockage d’hydrogène à l’état solide qui peut contenir une tonne d’hydrogène, soit une capacité de stockage de 39 mégawattheures (MWh) qui correspond environ à une heure de production d’énergie par une centrale solaire ou éolienne.

On voit tout l’intérêt d’un tel système dans le cadre du « lissage » de la production électrique éolienne ou solaire. Les Allemands sont également très actifs dans ce domaine des centrales à piles à combustible de taille industrielle.

L'entreprise allemande FuelCell Energy Solutions (FCES) de Dresde et l'Institut Fraunhofer ont ainsi développé des centrales à piles à combustible basées sur la technologie MCFC (Molten Carbonate Fuel Cell, pile à combustible à carbonate fondu) d'une capacité de plusieurs mégawatts. Actuellement, plus de 80 d'entre elles sont en service et produisent chaque jour 1,2 TWh d'électricité.

L’Allemagne travaille également activement sur la production propre d'hydrogène à partir de méthane.

Dans le cadre d’un projet supervisé par Carlo Rubbia, prix Nobel de physique en 1984, les Allemands ont mis au point un procédé qui permet de produire, dans un réacteur à métal liquide, de l’hydrogène et du carbone par décomposition thermique à haute température à partir du méthane. Ce procédé très innovant pourrait déboucher sur la possibilité de produire industriellement de l’hydrogène sans émissions de CO2 à partir des énergies fossiles.

En Espagne, un nouveau projet européen dédié à la production d'hydrogène par photosynthèse est également très intéressant. Ce projet vise, en utilisant des matériaux photocatalytiques de taille nanométrique, à extraire l’hydrogène de l’eau, grâce à l’énergie solaire, et ce, à un rendement 25 fois supérieur aux meilleures techniques actuelles.

Dans ces nombreuses voies de recherche, la production d’hydrogène à partir de la biomasse n’est pas oubliée. L’Allemagne travaille également activement dans cette direction et des chercheurs de l'Université Friedrich-Alexander (FAU) ont mis au point un procédé permettant de produire de l'hydrogène à partir de biomasse humide.

Baptisée « Reformatage en phase aqueuse », cette technique prometteuse permet, en consommant beaucoup moins d’énergie, une production d'hydrogène très pur directement à partir de biomasse humide.

Une autre équipe internationale, associant notamment des chercheurs chinois, singapouriens, et français du CNRS et du CEA, tente de développer un "photocarburant". Le but de ces recherches est de transformer l’énergie solaire en énergie chimique et notamment en hydrogène.

Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs travaillent sur de nouveaux types de catalyseurs et notamment sur un composé cristallin bien moins coûteux que le platine, associant le disulfure de molybdène et le cuivre. Ce composé semble très prometteur pour la production massive d’hydrogène à partir de l’énergie solaire.

En Suède, des chercheurs du département de chimie de l'Ecole royale polytechnique de Stockholm ont mis au point un catalyseur moléculaire, à base de ruthénium, qui permet de transformer l'eau en oxygène et hydrogène à une vitesse comparable à celle de systèmes photosynthétiques naturels. Selon le Professeur Licheng Sun, spécialiste mondial de la synthèse d’hydrogène, le rendement énergétique de ce nouveau catalyseur pourrait permettre la production massive d’hydrogène à partir de l’énergie solaire à un coût très compétitif, dans le cadre de grandes centrales installées en milieux désertiques.

Outre Atlantique, des chercheurs de l'Université de Rochester à New York ont conçu de minuscules particules de cadmium et de sélénium qui peuvent éjecter des électrons sous l'effet de la lumière. Ils ont également utilisé un catalyseur constitué de nanoparticules de nickel et ont eu la surprise de constater une production importante et continue d'hydrogène gazeux.

Ce procédé simple, efficace et peu coûteux pourrait ouvrir également la voie à la photosynthèse artificielle.

Toujours aux Etats-Unis, une autre équipe de recherche du Pacific Northwest National Laboratory a développé un catalyseur à base de fer qui convertit directement l'hydrogène en électricité grâce à une enzyme, l’hydrogénase. Ce procédé pourrait permettre la construction de piles à combustible beaucoup moins coûteuse.

Signalons également qu’il y a quelques semaines, des chercheurs du Virginia Tech sont parvenus à produire de l’hydrogène très pur à basse température à partir du xylose, un sucre très commun dans les végétaux. (Voir article), ouvrant ainsi une nouvelle voie vers la production d’hydrogène à partir de la biomasse.

Mais il ne suffit pas de produire l’hydrogène de manière propre, il faut encore pouvoir l’utiliser dans le cadre des infrastructures énergétiques actuelles. Aux Pays-Bas, une expérimentation très intéressante qui s’est déroulée entre 2007 et 2011 a montré qu’il était tout à fait possible d’incorporer jusqu’à 20 % d’hydrogène dans un réseau de gaz naturel sans que cela ne pose de problème technique particulier ou n’entraîne une dégradation de l’efficacité énergétique.

Il serait donc envisageable, selon GasTerra, à l’origine de ce projet, de produire massivement de l’hydrogène à partir d’énergies renouvelables (dans le cas présent, l’énergie éolienne), puis d’intégrer cet hydrogène au réseau de gaz naturel. Ce procédé permettrait notamment d’absorber les pics de production éolienne et n’obligerait plus à l’arrêt des éoliennes en surproduction.

Il faut enfin évoquer une nouvelle voie, très peu connue du grand public mais qui n’a pas fini de faire parler d’elle : l’hydrogène terrestre.

À cet égard, le communiqué publié par l’Ifpen le 11 avril dernier aurait mérité d’être largement repris par les médias car il pourrait bien annoncer une révolution énergétique d’une ampleur au moins comparable à celle de l’exploitation, à présent probable, des hydrates de méthane océanique (Voir communiqué).

L’Ifpen, qui est en pointe mondiale dans ce domaine, rappelle en effet que les premières sources naturelles d’hydrogène ont été découvertes il y a plus de 40 ans, au fond des océans et qu’il existe des sources naturelles d'hydrogène sur tous les continents qui pourraient potentiellement fournir à la planète une énergie propre et non émettrice de gaz à effet de serre.

Cette exploitation de l'hydrogène gazeux naturel pourrait bouleverser le paysage énergétique mondial selon les chercheurs de l'Ifpen. Ceux-ci précisent que ces gisements ont été identifiés dans deux configurations géologiques particulières.

D'une part, dans les grands massifs de péridotite, c'est-à-dire les régions où l'activité tectonique a fait remonter les roches dites "métamorphiques" du manteau terrestre à la surface. Ce type de configurations géologiques se trouve un peu partout dans le monde et notamment en Italie, au Portugal, en Grèce ou en Turquie.

D'autre part, dans les régions centrales les plus anciennes des continents, qui représentent la moitié des terres émergées. Dans ces régions, il existerait des sources d’hydrogène hautement concentrées qui pourraient, en théorie, être exploitées par pompage.

L'exemple du Mali est à cet égard très intéressant. En forant un puits d’eau près de Bamako, les techniciens ont en effet découvert par hasard, il y a quelques semaines, un gisement de gaz composé à 98 % d'hydrogène qui sert à présent à alimenter un groupe électrogène.

Ce rapide panorama des ruptures technologiques en cours dans le domaine de l’utilisation énergétique de l’hydrogène nous montre que ce gaz, longtemps cantonné au rôle de vecteur énergétique et au secteur des transports, pourrait devenir bien plus rapidement que prévu une composante essentielle du nouveau paysage énergétique mondial.

Mais une telle perspective n’est envisageable qu’à condition que la production d’hydrogène s’effectue essentiellement à partir de sources d’énergie renouvelable - éolien, solaire, biomasse et hydrogène naturel - principalement - ou à partir d’hydrocarbures mais dans ce cas avec des techniques qui permettent l’élimination à la source des émissions de CO2.

Il faut enfin souligner, même si cette éventualité fait débat, qu’il est possible d’envisager une production massive d’hydrogène à partir des réacteurs nucléaires à neutrons rapides de quatrième génération qui pourraient voir le jour vers 2040. Ce binôme présenterait évidemment l’avantage de ne pas émettre de gaz à effet de serre ; il mérite au moins d’être étudié.

Mais dans un contexte mondial dominé par une très forte augmentation prévisible de la demande d’énergie, tirée par le développement économique rapide de l’Asie et par une compétition économique implacable entre les différentes sources d’énergie, le développement de l’hydrogène ne sera pas un long fleuve tranquille car il entrera en concurrence avec deux autres ruptures technologiques énergétiques majeures : l’exploitation industrielle des hydrates de méthane sous-marins et l’exploitation des gaz de schiste qui est déjà en train de bouleverser la donne énergétique mondiale.

Seule une très forte volonté politique, exprimée au niveau international, européen et national et portée par une vision à long terme, pourra poser les cadres et actionner les leviers qui permettront à l’hydrogène de prendre toute sa place dans le nouveau paysage énergétique.

Parmi ceux-ci, il faudra combiner la construction d’un marché cohérent du carbone au niveau mondial et d’une « taxe carbone » également harmonisée progressivement au niveau planétaire.

Souhaitons que nos responsables politiques soient capables de se projeter loin dans l’avenir et prennent enfin toute la mesure du défi écologique et climatique qui nous attend pour privilégier les solutions énergétiques les moins émettrices de gaz à effet de serre et les plus respectueuses de l’environnement, y compris si ce choix courageux entraîne dans un premier temps un coût économique et financier individuel et collectif important que nous devrons essayer de répartir le plus équitablement possible.

C'est en pensant à ce défi énergétique de manière globale et en l'articulant bien entendu au défi climatique et à celui du développement mondial que nous pourrons faire en sorte que l'hydrogène soit au XXIe siècle ce que l'électricité a été au siècle dernier et la vapeur au XIXe siècle, un prodigieux moteur de progrès économique, social et humain.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

http://www.rtflash.fr/l-hydrogene-jules-verne-avait-raison/article

Pays : 
- Japon   

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