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Date :  2013-01-25
langue :  Français
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Changement climatique : sortons la tête du sable !


Une étude publiée dans la revue Nature Geoscience fin décembre vient de montrer que l'Antarctique occidental connaît un réchauffement sans précédent. Selon ces travaux, cette partie du Pôle Sud s'est réchauffée de 2,4°C depuis 1958, c'est-à-dire trois fois plus vite que la moyenne constatée au niveau planétaire pour la même période (Voir Nature).

Depuis 1990, la partie ouest de l'Antarctique a perdu en moyenne 65 milliards de tonnes de glace par an, ce qui correspond au dixième des 3,2 mm d'élévation annuelle du niveau des mers, mesurée au cours de cette période.

La situation est d’autant plus préoccupante que cette région occidentale de l'Antarctique est particulièrement fragile et sensible au réchauffement global car les glaces s’ancrent sur un vaste socle rocheux situé sous le niveau de la mer.

Il y a donc un risque accru que d’immenses plates-formes de glace se détachent de la banquise, phénomène spectaculaire qui s’est notamment produit en 1995, quand des morceaux de glaciers plus grands que Manhattan se sont brusquement séparés de la banquise.

Il faut se rappeler, comme le montre une récente étude franco-japonaise, qu'il y a 14 000 ans, le niveau moyen des océans est monté de près de 16 m en moins de 300 ans, soit une élévation moyenne de 5 cm par an. Or, à l’époque, cette région ouest de l'Antarctique avait très probablement déjà connu une fonte rapide de ses glaces.

Selon une étude publiée le 29 mars 2012 dans la revue Nature, par des chercheurs français, anglais et japonais, cette rapide montée du niveau des mers coïncide avec le début de la première période chaude qui marque la fin de la dernière glaciation.

Ces travaux confirment la remontée très importante du niveau marin entre -14 650 et -14 300 : Selon ces travaux, la remontée du niveau global des océans aurait été de 14 à 18 mètres en seulement 350 ans. La vitesse de la remontée du niveau marin aurait été au minimum de 40 mm/an, c'est-à-dire 13 fois plus importante que l'élévation moyenne de 3 mm/an, observée au cours des dernières décennies (Voir étude dans Nature).

Les simulations et modélisations réalisées dans le cadre de cette étude montrent que la fonte rapide de la calotte antarctique aurait contribué pour moitié à cette élévation brutale du niveau des océans. Ces travaux confirment donc la fragilité et l'instabilité des calottes glaciaires. Compte tenu de l'accélération du changement climatique, cette étude a conduit la communauté scientifique à réévaluer très sensiblement l'impact que pourrait avoir une fonte rapide de la calotte antarctique sur la remontée du niveau des mers.

Cette fragilité spécifique de l'Antarctique occidentale a d’ailleurs été confirmée par les dernières données satellites publiées dans Nature, qui indiquent un réchauffement de 0,5°C au cours des cinquante dernières années.

Comme le souligne le climatologue David Bromwich, de l’Université de l'Ohio, « Toutes les études et analyses récentes montrent que le réchauffement estival continu de l'Antarctique occidental risque d’avoir des conséquences importantes sur l’évolution de la masse de la calotte glaciaire ».

En Arctique, la situation n’est pas plus rassurante. La fonte de la banquise arctique s'accélère au point qu'elle pourrait avoir totalement disparu en été d'ici 2020 selon Peter Wadhams, de l’Université de Cambridge, un spécialiste mondialement reconnu qui avait notamment prévu l'effondrement des glaces de mer au cours de l'été 2007, une année qui avait été marquée par une réduction sans précédent de la banquise à seulement 4,17 millions de km2.

Ce triste record devrait être largement battu cette année et la banquise ne s'étend actuellement que sur 3,4 millions de km2 et elle continue son retrait. Depuis trente ans, la surface des glaces de mer a diminué en moyenne de moitié ! La banquise se rétrécit également en volume et a déjà perdu 40 % de son épaisseur au cours des trente dernières années.

S’agissant de l’évolution du climat mondial, une étude de l’Institut pour le climat de Potsdam montre que le changement climatique rapide en cours est probablement responsable d'une très forte augmentation des épisodes caniculaires enregistrés ces dernières années partout dans le monde.

L'étude travaux souligne "qu'il y a, en moyenne, cinq fois plus de mois caniculaires qu’il n’y en aurait eu sans le réchauffement climatique et que dans certaines régions du monde, le nombre de mois très chauds a même été multiplié par dix.

Selon une étude de la NASA, publiée il y a quelques jours (voir étude NASA), notre planète a connu sa décennie la plus chaude depuis le début des relevés de températures en 1880.

Commentant ces différentes études, James Hansen, directeur du GISS et climatologue mondialement respecté, souligne que « cette tendance à l’accélération du réchauffement va se poursuivre ». Il précise que « Les océans se réchauffent, ce qui montre que la planète connaît un déséquilibre thermique en absorbant plus d'énergie qu'elle n'en libère : il est donc à craindre que la prochaine décennie soit encore plus chaude que la précédente ».

S’agissant de l’impact humain, de moins en moins contesté, sur ce changement climatique, la dernière étude du projet Global pour le Carbone (GCP) montre que les émissions de CO2 ont atteint 34,7 milliards de tonnes en 2012 et qu’elles ont augmenté, en moyenne, de 3,1 % par an depuis 10 ans, alors qu’elles auraient du être stabilisées à leur niveau de 1990 selon le Protocole de Kyoto.

C’est dans ce contexte très préoccupant qu’a été publié par la célèbre revue du MIT, le 7 janvier denier, un article intitulé « Changement climatique : il faut aller plus loin dans l’action » (Voir article).

Ce papier du MIT s’appuie sur les conclusions d’une étude beaucoup plus vaste publiée dans les « Lettres de la Recherche Environnementale » de janvier 2013 (voir étude).

Cette étude montre de manière rigoureuse que les émissions humaines de CO2, qui ont été multipliées par dix depuis 1940, doivent être réduites bien plus fortement et plus rapidement si nous voulons limiter le réchauffement climatique à deux degrés.

Selon ces travaux, la généralisation des technologies existantes, sans ruptures technologiques majeures, ne sera pas suffisante pour atteindre cet objectif.

Nous sommes donc loin de la précédente grande étude de 2004, co-rédigée par Robert Socolow, professeur à Princeton, montrant qu’il était encore possible de stabiliser le climat mondial en stabilisant nos émissions de CO2 et en généralisant l’utilisation d’un nombre de technologies connues.

L’étude du MIT montre qu’il est à présent indispensable de diminuer tout de suite et fortement nos émissions de gaz à effet de serre pour rester en dessous de la barre fatidique des 500 parties par million de CO2 dans l’atmosphère qui est considéré comme le niveau de rupture qui entraînerait un basculement climatique catastrophique.

Mais pour limiter la hausse moyenne de température à 2°C, les auteurs de l'article affirment avec force que les émissions humaines de carbone doivent être quasiment réduites à zéro d’ici 2060, ce qui semble très difficile, même en tablant sur des ruptures technologiques de premier plan .

En outre, en 2004, il était encore réaliste d’imaginer que l’intensité carbone de l'économie mondiale (nombre de tonnes de carbone émis par unité de PIB produit) allait continuer à s’améliorer « naturellement », sans efforts technologiques supplémentaires, mais on voit bien que l’explosion économique en cours en Asie, notamment en Inde et en Chine, a changé la donne car cette croissance est alimentée principalement par le charbon.

Chaque année, la Chine consomme à présent plus de 3 milliards de tonnes de charbon, soit 40 % de la consommation mondiale et cette consommation chinoise devrait représenter la moitié de la demande mondiale d'ici 2014. Selon l'AIE, la consommation de charbon dans le monde va dépasser celle du pétrole pour atteindre d’ici seulement cinq ans, les 4,5 milliards de tonnes équivalent pétrole.

Au niveau mondial, la consommation de charbon atteint 3,7 Mtep et a plus que doublé depuis 1980. A son rythme actuel de progression, cette consommation de charbon devrait atteindre 4,4 M tep en 2030, soit un tiers de plus qu’aujourd’hui !

Quant à la consommation mondiale de gaz de schiste, il est possible qu’elle triple au cours des vingt prochaines années. Or, de récentes études et notamment celle de l’université du Colorado, montrent que l’exploitation industrielle du gaz de schiste entraîne des fuites de méthane, un puissant gaz à effet de serre, plus importantes que prévues. Il est donc probable que le bilan carbone du gaz de schiste ne soit pas meilleur que celui du charbon.

Face à ce sombre tableau, l’étude du MIT n’exclut pas le recours à des « mesures extrêmes » et des solutions de «géoingénierie ». Parmi les solutions avancées, on note les réseaux de distribution à base de supraconducteurs, la fusion thermonucléaire contrôlée ou encore l'installation de grandes centrales solaires dans l'espace qui renverraient l’énergie captée sous forme de micro-ondes.

On peut cependant se demander si cette vision « hypertechnologique » du MIT, au demeurant passionnante, suffira à résoudre l’équation énergétique et le défi climatique qui nous attendent.

Nous ne devons pas oublier en effet que la solution la moins coûteuse et la plus efficace pour réduire massivement nos émissions de gaz à effet de serre consiste d’abord à limiter à la source nos besoins globaux en énergie et à améliorer l’efficacité énergétique dans l’ensemble des activités humaines, industrie mais également logement et transport.

Certes, il est indispensable de soutenir et d’accélérer la recherche fondamentale et appliquée dans le domaine de l’énergie et de parvenir à des ruptures technologiques. Mais cela ne suffira pas à relever le défi gigantesque qui nous attend si nous voulons transmettre une planète habitable à nos descendants.

C’est pourquoi, il est temps de sortir la tête du sable et d’affronter la situation en face en évitant deux écueils tout aussi dangereux l’un que l’autre. Le premier consiste à nier l’ampleur du problème ou, ce qui revient finalement au même, à continuer de croire que l’homme n’est pas responsable de cette situation gravissime.

Ce premier écueil est en passe d’être surmonté et l’on voit que, partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis, une majorité de l’opinion publique est à présent convaincue de la réalité du réchauffement climatique et de la responsabilité humaine dans ce phénomène.

Le deuxième écueil consiste à sombrer dans le fatalisme en se disant « Ce problème dépasse notre capacité d’action et les mesures qu’il faudrait prendre sont si contraignantes et si coûteuses que, finalement, il est préférable de ne rien faire et de compter sur notre capacité d’adaptation ».

Sauf que, comme l’a montré magistralement le rapport de Sir Nicolas Stern, peu suspect d’être inféodé au courant de pensée écologique, le coût de l’inaction serait bien plus élevé que celui d’une action résolue, cohérente, réaliste, équitablement répartie et inscrite dans le long terme.

Si nous voulons surmonter ce défi de civilisation sans précédent dans notre histoire, nous devons dès à présent réorganiser l’ensemble de l’organisation et du fonctionnement de nos sociétés, de nos économies et de nos systèmes politiques en fonction d’un objectif simple et intangible : tendre vers un monde sans émissions humaines de carbone d’ici la fin de ce siècle.

Atteindre un tel objectif supposera évidemment des innovations technologiques mais, bien au-delà, des innovations sociales, économiques et démocratiques qui restent à inventer. Si l’histoire nous enseigne quelque chose, c’est que le pire n’est jamais sûr et que l’avenir n’est jamais écrit. Rappelons-nous de ce que disait Sénèque « Ce n’est pas parce que c’est difficile que nous n’osons pas mais parce que nous n’osons pas que c’est difficile".

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat


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