Monsieur Engström, le Parti pirate a décidé l'an dernier de mettre des serveurs gratuitement à disposition de WikiLeaks. Vous ne semblez pas considérer ce site comme dangereux. Pourquoi ?
> Christian Engström : Mais si, nous le considérons comme dangereux, en particulier pour les régimes corrompus qui ont quelque chose à cacher. C'est justement ce que nous aimons. La transparence est très importante pour un gouvernement démocratique. La tendance à étouffer certaines choses existe partout. Même un gouvernement démocratique comme le gouvernement américain veut cacher des choses à l'opinion publique, des choses extrêmement pertinentes. Oui, WikiLeaks est dangereux pour tous ceux qui détiennent le pouvoir et ont quelque chose à cacher.
Monsieur Kukan, WikiLeaks ne servirait pas toujours l'intérêt général, selon José Manuel Barroso. Le Président de la Commission estime que certaines informations n'ont pas à être divulguées. Qu'en pensez-vous ?
> Eduard Kukan : Je suis pour la liberté d'information en tant que fondement des systèmes démocratiques modernes. Cependant, les activités de WikiLeaks ont eu des conséquences en partie dommageables. Je ne pense pas que leur intention ait été de dévoiler des éléments des éléments positifs et constructifs, je ne pense pas que leur intention ait été noble et empreinte de respect.
J'ai passé de longues années dans la diplomatie (30 ans, ndlr) et certains problèmes ne devraient pas être révélés à tout un chacun. Il faut parfois créer une atmosphère de confiance entre les partenaires, et ce que vous préparez doit parfois rester discret. Des accords peuvent être anéantis par le dévoilement de documents. Les négociations peuvent ainsi être réduites à néant.
Certains estiment que la transparence renforce nos démocraties. WikiLeaks a-t-il fait progresser la démocratie dans le monde?
> CE : Oui, beaucoup car la transparence est un des éléments fondamentaux de la démocratie. Pourquoi autoriser les gens à voter s'ils ne sont pas informés sur ce que le gouvernement ou l'opposition fait ? Le but de toute démocratie doit être d'avoir des citoyens qui font des choix éclairés. Le but global de WikiLeaks est de montrer à tous les gouvernements qu'ils ne s'en sortiront pas en cachant certaines choses ou en mentant. Les gouvernements commenceront à être plus transparents et honnêtes du fait indirect de WikiLeaks.
> EK : J'aimerais vous donner une réponse directe pour que vous ne m'accusiez pas de pirouettes diplomatiques, mais parfois il n'y a pas de telle réponse. Dans une certaine mesure, je peux admettre que les publications de WikiLeaks ont eu des aspects positifs. Ils sont particulièrement évidents et intenses pour les régimes dictatoriaux. Je ne condamne pas tout ce qui a été publié mais on doit différencier ce qui contribue à la liberté d'accès à l'information et ce qui peut mettre en danger les relations personnelles entre politiques et hommes d'Etat.
Qui devrait donc décider de ce qui peut être révélé et ce qui ne peut pas l'être ? Les dirigeants de WikiLeaks ou des diplomates ou politiques de haut rang ?
> CE : Aucun des deux. Les dirigeants de WikiLeaks diraient d'ailleurs la même chose : ce qu'ils veulent, ce que je veux, c'est qu'il y ait beaucoup plus de sites internet qui orchestrent des fuites de documents officiels de façon sécurisée. S'il n'y en a qu'un, il aura le pouvoir et il faudra prendre garde à ce qu'il fait. S'il y en a plusieurs, alors ce problème disparaît.
> EK : Les membres de WikiLeaks devraient savoir ce qui peut être rendu public et ce qui doit être gardé secret. Les critères précis, à mon sens, devraient être définis par des dirigeants politiques. Je ne pense pas que ce soit un bon sujet de référendum : les dirigeants ont parfois des idées qui sont rejetées car les gens ne les comprennent pas, mais à terme l'histoire montre qu'ils avaient raison.
Les « affaires WikiLeaks » laisseront-elles leur empreinte sur la structure des relations internationales et la façon dont les diplomates agissent ?
> CE : Le monde a simplement changé. Tous les gouvernements, les ambassades et ceux qui détiennent le pouvoir doivent savoir que s'ils cherchent à garder des choses secrètes il y a beaucoup plus de raisons qu'ils soient attrapés. C'est une bonne chose, en particulier dans les relations entre les pays. Nous voulons plus de transparence. Elle crée un climat de confiance et réduit les risques. Les grands acteurs mondiaux tendent à être plus suspicieux quand ils ne savent pas ce que leurs homologues prévoient. C'était la logique de la Guerre froide. La transparence va aider à réduire les tensions internationales à long terme et nous assisterons à l'émergence d'un monde meilleur et plus stable.
> EK : Tout cela va affecter les relations diplomatiques de façon négative. Ceux qui ont été cités [dans les fuites de WikiLeaks] seront bien plus prudents et moins ouverts. J'appartiens donc à ceux qui pensent que les révélations de WikiLeaks changeront les relations diplomatiques et la vie politique mondiale.
Les interviews ont été réalisées en anglais.
REF. : 20110131STO12842
En savoir plus :
* Liberté d'expression ou atteinte à la sécurité publique ? Le cas WikiLeaks (14/12/2010)
* La position de Marietje Schaake (07/12/2010)
* La position de Roberto Saviano (09/12/2010)
* La position d'Heidi Hautala (06/12/2010)