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Date :  2010-02-25
langue :  Français
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Pour une abolition mondiale


Six mille cent quarante-neuf, ce sont les jours que Gregory Taylor a passés dans les couloirs de la mort en Caroline du Nord (Etats-Unis), innocent. Le compte a pris fin le 17 février, lorsque, pour la première fois dans l'histoire américaine, le verdict d'une commission indépendante nommée par l'Etat pour les cas incertains a permis de le libérer. Ils sont 137 innocents, dont beaucoup n'ont jamais été dédommagés, à avoir passé des années dans ces couloirs de la mort. Comme Curtis McCarthy, vingt et un ans passés dans la prison modèle de McAlester (Oklahoma) construite sous la terre. Jamais la lumière du soleil n'y parvient.

C'est en Californie que se trouve le plus grand couloir de la mort, à San Quentin. 647 condamnés. Leur nombre augmente de trente tous les ans. Le nombre des exécutions est très peu élevé. Outre la faillite, l'engorgement de la Cour suprême pour les recours, préjudiciable au reste du système judiciaire, se profile la perspective d'être condamné à mort sans avoir la certitude d'être exécuté dans les vingt, trente prochaines années, une forme de torture à laquelle personne n'avait jamais pensé.

Cent quarante et un pays dans le monde ne recourent plus à la peine capitale. Mais il s'agit d'une tendance récente. Pendant des siècles, les penseurs et les Etats, d'Aristote à Kant, de saint Augustin à Hegel, ont considéré la peine de mort comme normale, même si les premiers chrétiens étaient regardés avec suspicion dans l'armée romaine parce qu'ils n'aimaient pas tuer. Au début des années 1970, seuls 23 pays avaient aboli la peine capitale. Ils sont aujourd'hui 103 à l'avoir abolie en toutes circonstances. 38 autres l'ont abolie en temps de paix ou l'ont abolie de fait, dans la mesure où ils n'exécutent plus de condamnés depuis plus de dix ans.

C'est ce qui ressort du premier rapport sur la peine capitale établi par le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU), Ban Ki-moon. Le rapport en lui-même marque un tournant historique : celui qui a été pris avec l'approbation, par l'assemblée générale de l'ONU, de la résolution pour un moratoire universel de la peine de mort, le 18 décembre 2007. La peine capitale n'est plus seulement une question de justice interne aux Etats, mais elle relève de l'intérêt général dans la mesure où elle concerne les droits humains. Il s'agit d'un document non contraignant. Mais le fait qu'il y a eu, quinze années durant, un feu de barrage pour le bloquer montre combien ce texte est important.

Ainsi, en 1998, l'Union européenne (UE) a retiré la résolution à la veille du vote parce qu'un front transversal s'était créé, la décrivant comme une initiative "néocolonialiste" d'une superpuissance, en l'occurrence l'UE, qui voulait imposer sa vision des droits humains.

Il a fallu neuf années supplémentaires pour remonter la pente. Pendant ce temps, on célébrait à Strasbourg le premier congrès contre la peine de mort ; on notait un grand dynamisme français et italien sur le sujet ; la Coalition mondiale contre la peine de mort était créée à Rome, à Sant'Egidio, à l'initiative d'Ensemble contre la peine de mort et d'une douzaine d'autres organisations internationales. La plus grande mobilisation interculturelle sur ce sujet. Cette mobilisation s'est concrétisée par un appel qui a recueilli des millions d'adhésions et les signatures des principaux leaders religieux et laïques du monde, et qui a été remis à l'ONU, la veille du vote, pour invalider la thèse du "néocolonialisme".

Même dans les pays mainteneurs, les deux grands rendez-vous internationaux (non rituels) - Journée mondiale contre la peine de mort, le 10 octobre, et Villes pour la vie, villes contre la peine de mort, le 30 novembre - se sont consolidés, tandis que les coalitions régionales et leur capacité à faire "réseau" se sont renforcées. Plus de cent mouvements abolitionnistes ainsi que de nombreuses délégations gouvernementales participeront au prochain Congrès mondial à Genève, à partir du 24 février.

La capacité de synergie entre les mouvements de la société civile et les Etats a augmenté. Le refus de la peine capitale est devenu un élément identitaire pour l'UE qui a été capable tout à la fois de faire un pas en arrière et de collaborer à la naissance d'un front "interrégional", au point de créer le plus vaste mouvement de pays cosponsors à l'Assemblée générale de l'ONU. C'est un défi qu'il faudra de nouveau relever à l'automne, lorsque la nouvelle résolution sera présentée, afin de marquer une approbation encore plus grande.

Malgré la décennie de la guerre en Irak et contre le terrorisme, la peine de mort a reculé. L'Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, mais aussi le Gabon, le Togo, comme d'autres pays africains, ont fait la différence, soutenus notamment par des ONG et des Etats dans leur tournant abolitionniste. Certains de ces tournants ont été favorisés, comme pour la paix aussi, à Rome, à Sant'Egidio. Aux Etats-Unis, en deux ans, le New Jersey et le Nouveau-Mexique - la Côte est et la Côte ouest -, ont brisé le front et ont aboli la peine capitale.

En Chine, la Cour suprême a invité à ne réserver la condamnation capitale qu'aux "cas très graves" et a retiré aux cours locales le pouvoir de l'appliquer. L'Asie bouge : l'Anti-Death Penalty Asia Network (Adpnan), la coalition régionale, a été créée ; les Philippines ont à nouveau emprunté la voie abolitionniste ; le président de la Mongolie a inauguré cette année la voie de l'abolition. Taïwan a arrêté depuis des années les exécutions. On note des ouvertures en Corée du Sud et même en Iran, bien que le nombre des exécutions augmente et que celles-ci soient publiques. Au Japon, l'année passée a été la première sans exécution capitale. En Inde, un débat existe au niveau de la Cour suprême ; il en est de même au Pakistan, avec 7 000 sentences capitales stoppées.

L'Algérie, la Tunisie, le Liban et la Jordanie peuvent accélérer le changement dans la région méditerranéenne. Le Maroc a mis fin, en pratique, aux exécutions et la demande d'abolition grandit. Le monde regarde l'Amérique d'Obama, qui croit à la nécessité d'être plus en harmonie avec les autres pays. La possibilité historique existe que la prochaine résolution de l'ONU, à l'automne, voie l'abstention des Etats-Unis, du Japon et de l'Inde, avec l'augmentation des approbations dans le reste du monde. C'est un objectif pour lequel il vaut la peine de travailler.


Mario Marazziti est porte-parole de la communauté de Sant'Egidio, coordinateur de la campagne pour un moratoire universel.

Tribune libre parue dans Le Monde, édition du 25 février 2010.


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