Charte urbaine européenne II - Manifeste pour une nouvelle urbanité
La Charte urbaine européenne II - Manifeste pour une nouvelle urbanité, adoptée par le Congrès en mai 2008, propose une nouvelle culture de la vie urbaine qui encourage les territoires européens à bâtir une ville durable. Le Manifeste dégage un ensemble de principes et de concepts partagés qui permettent aux villes et à leurs habitants de faire face aux défis urbains contemporains. Il invite les collectivités locales à mettre en œuvre dans leurs politiques publiques les principes d'une gouvernance éthique, du développement durable et d'une plus grande solidarité. La publication qui présente ce texte est disponible auprès des éditions du Conseil de l'Europe.
La première Charte urbaine européenne, adoptée en 1992 par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe, engageait une démarche pionnière en Europe et marquait une étape clé de la reconnaissance du fait urbain dans le développement de nos sociétés. Depuis lors, nos économies et nos cultures ont connu des changements profonds. Dans un contexte de mutations accélérées et de développement sans pareil de l'urbanisation, les villes sont désormais exposées à des défis d'une ampleur jamais rencontrée. La Charte urbaine européenne II - Manifeste pour une nouvelle urbanité vient compléter et actualiser la première contribution du Congrès.
Adoptée par le Congrès à l'occasion de sa 15ème Session Plénière à Strasbourg le 29 mai 2008
Rapporteur : Carlos Alberto Pinto (Portugal), Co-rapporteurs : Willy Borsus (Belgique) et Myriam Constantin (France)
Préambule
La première Charte urbaine européenne a été adoptée en 1992 par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe (le Congrès). Cette initiative engageait une démarche pionnière en Europe. Depuis lors, quinze années se sont écoulées et nos sociétés, nos cultures et nos économies se sont considérablement transformées.
La grande fracture européenne entre l’est et l’ouest du continent, qui a durablement marqué l’après-guerre, s’est refermée. De nombreux États se sont engagés plus avant dans la voie d’une coopération ambitieuse au sein de l’Union européenne ou au sein du Conseil de l’Europe.
Dans cette période cruciale, nos villes ont été les territoires européens les premiers et les plus fortement exposés à la mondialisation. Elles sont rapidement devenues le lieu central de l’adaptation de l’Europe aux nouvelles conditions technologiques, écologiques, économiques et sociales imposées par celle-ci. Nos villes sont ainsi entrées, de gré ou de force, dans l’ère globale et ont dû en relever les principaux défis.
Elles ont pris conscience du rôle nouveau qui leur incombe et se sont perçues elles-mêmes comme «acteur collectif», lieu d’initiative et de créativité. Elles sont devenues le lieu privilégié de l’apparition de modes de vie nouveaux, d'une sociabilité différente et d’une nouvelle plasticité sociale, souvent caractérisée par l’instabilité familiale et professionnelle, et par la mobilité résidentielle.
En même temps, elles ont dû faire face à des mutations sociales et économiques de grande ampleur: effacement de la classe ouvrière et dé-sindustrialisation de territoires entiers, aggravation des disparités sociales et crises des quartiers populaires, immigration croissante et vieillissement démographique, étalement persistant des villes et usage généralisé de l'automobile. Elles ont également dû relever les défis liés aux menaces qui pèsent sur notre environnement.
Dans cette période d'évolution accélérée, d'autres textes fondamentaux sur la ville ont été adoptés. Certains sont issus du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe (1). D’autres sont issus du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (2), de l’Union européenne (3), de l’Organisation des Nations Unies (4) ou encore de la société civile et des associations de collectivités territoriales (5).
Tous ces textes de référence ont marqué la prise en compte progressive des mutations majeures de ces quinze dernières années. Pris comme un ensemble, ils s’inscrivent dans la continuité de la Charte urbaine du Congrès et ont pour la plupart été validés par les gouvernements européens. A leur lecture, il est aisé de constater qu’ils témoignent d'une prise de conscience aigüe de l'ampleur des mutations en cours et d'une volonté collective d'y faire face. Issus d’organisations très différentes, écrits dans des styles différents, tous ces textes réaffirment le droit à la ville soulignant ainsi le rôle incontournable du citadin-citoyen au cœur des politiques urbaines.
Cependant, devant la diversité de ces textes internationaux de référence sur le développement urbain, il est apparu nécessaire au Congrès de reformuler certains des principes de la Charte urbaine européenne. Si dans sa version originelle elle conserve toute sa valeur de texte de référence, il nous a semblé nécessaire de la compléter, et de l’actualiser. C'est l'objet de ce manifeste, qui vient témoigner en ce début de siècle d’une nouvelle forme d’urbanité.
L'acquis européen sur la ville et la perspective d'une nouvelle urbanité
En adoptant la présente Charte urbaine européenne II après celle de 1992, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a l'ambition de dégager un corpus de principes et de concepts partagés permettant aux villes de faire face aux défis contemporains des sociétés urbaines et d'esquisser pour les principaux acteurs du développement urbain et pour les citadins-citoyens européens la perspective d'une nouvelle urbanité, c'est-à-dire d'un savoir vivre ensemble et d'une nouvelle culture de la vie en ville.
Dans cet esprit, nous, élus locaux européens membres du Congrès, réaffirmons l’importance de l’acquis européen sur la ville. Nous avons la conviction que cet acquis, issu à la fois des expériences menées par les gouvernements urbains, et des réflexions, rapports et déclarations adoptés par les principaux acteurs du développement urbain, représente un premier socle de principes sur lequel nous pouvons appuyer notre manifeste. En particulier, nous considérons comme fondés les principes suivants:
Les villes européennes appartiennent à leurs citadins-citoyens, elles sont un bien économique, social et culturel dont les générations futures doivent hériter.
Les villes européennes, devant l'ampleur des défis mondiaux auxquels nous devons faire face, sont le lieu souhaitable d’un compromis historique entre l’économique, le social et l’écologique.
Les villes européennes ont la responsabilité de construire un modèle de gouvernement urbain qui prenne en compte les exigences nouvelles de la démocratie, notamment dans sa dimension participative. Elles sont un atout dans la nécessaire revitalisation démocratique de nos sociétés.
Les villes européennes sont un champ favorable aux diversités créatives, elles recèlent des forces d’innovation puissantes. Elles sont le lieu privilégié de l’épanouissement individuel et de l’accès à la connaissance et aux savoirs. Elles ont la capacité d’intégrer et d’enrichir mutuellement les identités et les cultures multiples qu'elles abritent.
Les villes européennes sont aujourd’hui des moteurs de prospérité et des acteurs forts de la mondialisation. Elles sont par excellence le lieu du développement optimal de l'économie de la connaissance qui est l'avenir de la croissance économique de l'Europe.
Nous, élus locaux européens, membres du Congrès, avons la conviction que ces principes et l'analyse qui les sous-tend constituent le socle des changements à venir et des politiques que nous devrons mettre en œuvre.
La ville que nous voulons mettre au cœur de nos priorités est une ville faite d'abord pour ses citadins, qui doivent être également des citoyens.
La ville que nous voulons est aussi une ville durable, respectueuse de l'environnement local et global.
C'est une ville solidaire, attachée à développer la plus grande solidarité interne à son territoire et entre les territoires.
C'est enfin une ville des savoirs et des cultures qui a besoin de son passé et de son présent, fait de diversité pour se projeter dans son avenir.
Une ville de citadins-citoyens
Nous, élus locaux européens, partageons la conviction que nos citadins ne sauraient vivre pleinement leur ville sans en être également des citoyens responsables, actifs et informés.
Nous réaffirmons à cet égard la validité des valeurs et des principes contenus dans notre
Charte européenne de l'autonomie locale, élaborée en 1985, et en particulier la conviction que le droit des citoyens de participer à la gestion des affaires publiques s'exerce dans toute sa plénitude au niveau local.
Nous pensons même que c'est à ce niveau que ce droit trouve sa dimension la plus aboutie, la plus directe et la plus efficace.
Nous réaffirmons également les principes de l'éthique publique qui sont définis dans le
Code de conduite européen pour les élus locaux et régionaux.
Enfin, nous pensons que la crise de la représentation politique que traversent nombre de nos pays et qui s'observe notamment par des niveaux élevés d'abstention aux élections, par la persistance d'un vote extrémiste et par le discrédit qui se porte toujours plus sur la chose publique, peut et doit être combattue prioritairement au niveau local.
Nous, élus locaux européens, avons la conviction que la démocratie urbaine, après avoir longtemps été une école de la démocratie nationale pour de nombreux responsables politiques, a la capacité de réanimer l'esprit public et l'appétit démocratique de nos citoyens.
La Charte européenne de l'autonomie locale envisageait dès 1985 de pouvoir recourir à côté des mécanismes classiques d'une démocratie de représentation aux pratiques d'une démocratie de participation.
Nous encourageons donc, comme la Charte de l'autonomie locale nous y invite, le recours aux assemblées de citoyens, la pratique de référendums locaux et toute forme de participation directe des citoyens.
Pour promouvoir l’exercice d’une démocratie locale moderne, nous préconisons par exemple l’installation de conseils élus aux différents niveaux de la décision urbaine, qui pour autant ne dispense pas de proposer aux habitants des dispositifs d’information, de débats publics, et de coopération dans la programmation urbaine.
Dans le même esprit de participation de toutes les composantes de la population urbaine, le droit de vote et l’éligibilité aux assemblées locales urbaines doivent être reconnus aux migrants, qui contribuent de multiples façons à la vie de la collectivité.
Pour la plus grande efficacité de ces divers dispositifs, nous encourageons nos villes à utiliser pleinement les nouvelles technologies de l'information pour améliorer la consultation des citoyens sur les projets urbains. Nous croyons que l'interactivité et la rapidité de cette information sont de nature à enrichir les processus de participation démocratique et à améliorer le dialogue entre les élus et les citoyens.
Nos villes doivent travailler à l'instauration d'une e-démocratie locale ambitieuse. Loin des gadgets technologiques, les technologies de l'information et de la communication (TIC) recèlent une nouvelle capacité de mobilisation démocratique qu'il serait dramatique de ne pas utiliser dans la période de désaffection du politique dans laquelle nous nous trouvons.
S'agissant des compétences et responsabilités territoriales, nous pensons qu'une dévolution adéquate est un élément clé du bon fonctionnement démocratique de nos villes. A cet égard, nous renouvelons notre attachement au principe de subsidiarité qui régule la bonne articulation des pouvoirs entre les niveaux européen, national et local.
Mais le principe de subsidiarité ne peut s'arrêter au milieu du gué, entre le gouvernement central et le niveau local, il doit également inspirer la distribution des responsabilités entre les différents niveaux territoriaux et à l'intérieur même des territoires.
Dans cet esprit, nous pensons que le principe général d'attribution des responsabilités de gestion publique dans nos villes doit être inspiré par le souci constant de proximité optimale au citadin-citoyen. Ce principe devrait s’appliquer, par exemple, aussi bien aux larges aires urbaines supracommunales qu’aux espaces infracommunaux (quartiers, arrondissements, districts), qui doivent pouvoir disposer eux aussi d’assemblées élues, d’un budget et de compétences de proximité.
De plus, la dévolution des compétences et responsabilités territoriales doit être assortie à tous les niveaux pertinents des moyens nécessaires, en particulier financiers, au plein exercice de ces responsabilités. Nous recommandons là encore de se référer à la Charte européenne de l’autonomie locale qui réclame que les villes puissent avoir la maîtrise de leurs dépenses.
Nous avons la conviction que la complexité de l'exercice de ces compétences et de ces responsabilités dans la gestion des grands espaces urbains réclame aujourd’hui un gouvernement des villes clairement identifié, démocratiquement élu, animé d'un souci constant de la bonne gouvernance urbaine.
Cette gouvernance doit faire l'objet de mécanismes de contrôle efficaces et d'évaluation régulière. Elle doit pouvoir être débattue politiquement et publiquement lors d'élections locales de façon à entraîner la mobilisation citoyenne et l'adhésion d'une majorité de citadins-citoyens au projet politique et collectif urbain. L'exécutif urbain élu – le maire ou son équivalent – doit assumer dans cette perspective les fonctions d'animateur du territoire, il doit s'engager pour mobiliser les citoyens et les réseaux qui structurent une ville autour d'un projet politique et collectif lisible par le plus grand nombre.
La qualité de cette gouvernance urbaine réside également dans sa capacité à s'organiser à l'intérieur d'un territoire pertinent, respectant l'adéquation entre la taille des institutions territoriales et les aires urbaines qu’elles ont la responsabilité de développer et d’administrer.
Nous pensons par ailleurs que certaines questions ne peuvent relever exclusivement d’une gestion de proximité (étalement urbain, infrastructures de transport et d’information, droit au logement, protection environnementale, etc.), et que l’action publique doit pouvoir naturellement s’insérer dans une régulation territoriale régionale, nationale et européenne sur la base de relations de partenariat équilibré et respectueux.
A cet égard, la nécessaire équité territoriale recommande que les villes puissent contribuer à un dispositif de redistribution des ressources. Ce dispositif doit permettre de réduire les inévitables inégalités territoriales.
Nous, élus locaux européens, conscients des mutations profondes qui affectent nos pays dans la recomposition générale des compétences entre l'Europe, l'Etat, le régional et le local, pensons que l'affaiblissement de la tutelle étatique et l'émancipation consécutive des villes ne sauraient se faire au détriment d'une nécessaire solidarité entre les territoires. L'autonomisation croissante des villes ne doit pas ouvrir sur une compétition entre les territoires sans règle et sans merci.
Nous sommes convaincus que l'Etat doit être le garant de cette solidarité qui doit s'inscrire dans la perspective d'un aménagement équilibré du territoire, régional, national et européen.
Une ville durable
Nous, élus locaux européens, soutenons les actions menées par nos citoyens et plus généralement, par tous les acteurs du développement urbain pour transformer nos villes, afin d'en faire des espaces urbains durables.
Nous partageons l'inquiétude croissante de nos citoyens devant les manifestations de plus en plus perceptibles de la crise écologique globale que nous traversons. Cette crise affecte aujourd'hui l'ensemble de la biosphère, elle se manifeste par le recul de la biodiversité, la dégradation des sols, la raréfaction des ressources en eau, la pollution de l'air et des bassins fluviaux, la montée d'autres formes encore de pollutions et de nuisances, et bien d'autres aspects qui tous affectent notre qualité de vie. Cette crise porte indubitablement la marque de l'activité humaine et se traduit concrètement par la multiplication de catastrophes naturelles et d'événements climatiques exceptionnels qui ont alerté les opinions dans nos pays et ont fortement accru la mobilisation citoyenne à l’égard des questions environnementales.
Nous pensons que cette crise écologique globale revêt une dimension spécifique dans l'espace urbain, et qu'elle nécessite d'être analysée et traitée spécifiquement dans le cadre d'une écologie urbaine.
Outre la stricte protection de l'environnement local qu'elles doivent assumer pour leur territoire et leurs citadins dans un contexte de risque aggravé, nous croyons que les villes ont un rôle majeur à jouer dans la protection, la restauration et la gestion de notre environnement global.
Par le niveau d'activité économique, par l'ampleur croissante des populations urbaines en Europe et par la capacité à générer des modèles comportementaux de référence, nos villes sont en première ligne sur le front du combat pour une planète plus habitable. Il nous appartient de les renforcer dans cette responsabilité cruciale pour l'avenir de nos sociétés.
Dans cet esprit, nous nous engageons à développer l'écologie urbaine pour nous orienter résolument vers un développement urbain plus durable. Nous nous engageons à réduire l'empreinte écologique de nos villes, à en préserver les ressources naturelles, à en maintenir et développer la biodiversité, à organiser un accès pour tous aux biens publics et à leurs réseaux, et à mettre l'efficacité énergétique au cœur de nos politiques.
Pour réaliser ce projet, nous savons que nous devons organiser notre développement autour d'une forme urbaine et d'un modèle de mobilité différents.
S'agissant de la forme urbaine, nous avons la conviction que l'actuelle dilution des zones urbaines est inquiétante. La ville étalée et diffuse s'accompagne le plus souvent d'une spécialisation fonctionnelle et sectorielle des espaces entre le commercial, le résidentiel, les loisirs, l'industriel et l'artisanal, etc., qui dilapide dramatiquement le capital écologique de nos cités. Ce modèle de ville sectorisée accroît le gaspillage des énergies et aggrave les atteintes à l'environnement. C'est une politique qui n'a pas d'avenir.
Nous devons penser nos villes autour de formes urbaines compactes et denses réclamant le minimum de ressources pour être maintenues et permettant aux citadins d'accéder dans une immédiate proximité aux diverses fonctions et services urbains, ainsi qu'à des espaces de loisirs et des espaces naturels préservés. Nous voulons une ville économe de ses ressources, de ses sols, de ses déplacements et de son énergie. Seule la cohérence et la compacité de nos villes permettront de rendre l'espace urbain plus facile, plus accessible, plus vivant pour tous les citadins, quels que soient leurs conditions sociales, leur âge ou leur état de santé.
Nous voulons une ville en mesure de contrôler sa croissance par une maîtrise foncière renforcée.
La mobilité est l'autre variable au coeur d'un bon fonctionnement de la ville et d'un développement urbain respectueux de l'environnement. Les déplacements et la mobilité en général revêtent une importance croissante dans nos sociétés de communication intense. Ils deviennent un élément clé du bon usage de la ville, un facteur discriminant de la qualité de la vie urbaine.
Pour relever les défis d'une mobilité maîtrisée et durable, nous avons la conviction qu'il nous faut développer des alternatives crédibles à l'automobile. Les effets négatifs de la priorité donnée à l'automobile sont désormais bien connus. La pollution de l'air, les nuisances sonores, l'insécurité routière, le morcellement de l'espace par des infrastructures envahissantes, le gâchis de nos paysages urbains, tout concourt à nous orienter résolument vers un développement plus favorable au citadin, plus soucieux de la dimension humaine de nos villes. Nous devons nous libérer de notre trop grande dépendance automobile, d'autant plus vite qu'au-delà des nuisances qu'elle provoque elle empêche un grand nombre de citadins ne pouvant accéder au transport automobile individuel de jouir pleinement de leur ville.
Il nous appartient à nous, élus locaux européens, de promouvoir des politiques de mobilité durable qui favorisent les modes de déplacement « doux » comme la marche à pied et le vélo, et tous les modes de transport publics.
A cet égard, nous devons orienter nos choix vers une politique publique des transports qui ne peut se limiter aux seuls transports publics, mais qui organise un nouveau partage social de la voirie et de l'espace public où tous les modes de déplacement trouveront une place, mais où la voiture et les deux-roues motorisés prendront une place plus modeste, tout en tenant compte de leur utilité sociale.
C'est dans cet esprit que nous devons poursuivre parallèlement nos objectifs de durabilité, de convivialité et d'amélioration des flux de mobilité dans nos villes, qui reposent notamment sur les possibilités offertes par une intermodalité généralisée.
Nous faisons l'analyse que la dimension durable de notre développement urbain (ville compacte, mobilité choisie et maîtrisée, environnement respecté) n'est pas une étape de plus dans l'amélioration de notre qualité de vie, c'est la condition incontournable du bon développement de nos territoires. Seule une durabilité assumée donnera une vraie cohérence à nos projets de développement urbain et une réelle perspective de succès à nos politiques.
Une ville solidaire
Nos villes s'inscrivent dans des territoires larges. Elles se développent dans un espace régional, national et européen. Elles sont insérées, politiquement et économiquement, dans ces espaces et elles en cristallisent les contradictions socio-économiques, et notamment les inégalités sociales profondes qui traversent nos sociétés.
Notre conviction, nous, élus locaux européens, est que le développement urbain durable qui doit concilier l'activité économique des villes et la protection de notre environnement ne peut se concevoir sans une exigence d'équité sociale. Nous voulons faire de la dimension sociale une donnée centrale de nos politiques de développement durable. C'est le sens du compromis historique que nous souhaitons voir porté par nos territoires, entre les dimensions écologique, économique et sociale. De nouvelles politiques urbaines porteuses de ces trois exigences doivent impérativement être menées.
La ville que nous voulons est un espace de qualité de vie pour tous, organisant une accessibilité de tous à la ville et à ses services, notamment dans les domaines de l'éducation, de la santé, de la culture et du logement. C'est également un espace d'authentique mixité sociale qui reflète notre ambition de bâtir en Europe une société cohésive, inclusive et diversifiée, dotée de normes ambitieuses de qualité de vie.
La question de l'habitat revêt une importance particulière. Les mouvements de population, qui n'ont cessé ces dernières années de faire croître nos villes, ont provoqué dans nombre de nos pays et de nos cités une crise du logement qui s'est aggravée avec la montée des prix de l'immobilier et du foncier. Malgré cette situation, nous restons attachés au principe d'un droit au logement. Nous devons accorder une attention toute particulière à la mise en place d'une offre diversifiée en logement dans l'objectif de maintenir dans nos quartiers une indispensable mixité sociale. Nous devons pouvoir offrir à nos citadins, dans tous les secteurs de la ville, la possibilité d'un habitat adapté à leurs besoins et à leurs revenus.
Cette ambition requiert de notre part une volonté politique forte et une politique de solidarité active fondées sur une éthique démocratique. Elle vise à promouvoir la solidarité entre les générations, envers les personnes à faible revenu, les handicapés et tous ceux qui sont en difficulté financière et sociale. Elle se fixe pour objectif ultime de combattre l'exclusion sociale et d'offrir ainsi à chacun l'opportunité de bénéficier des immenses potentialités de la ville.
A cet égard, nous prenons la mesure du chemin qui nous reste à parcourir pour mettre en oeuvre cette ambition de ville solidaire. Nous constatons des phénomènes de paupérisation inquiétants. Des franges importantes de nos populations continuent de subir de graves disparités socio-territoriales. Aux cassures sociales profondes qui divisent nos quartiers, il faut encore ajouter des disparités écologiques, de telle sorte que les plus vulnérables d'entre nous se concentrent dans les zones où la qualité environnementale est la plus dégradée, provoquant un dramatique cumul des inégalités. Nous sommes tout particulièrement alertés par ces processus de disparités spatiales qui se traduisent par des phénomènes de gentrification (ou embourgeoisement) de certaines aires urbaines, par l'incontrôlable envolée des prix du foncier dans nos centres urbains, par des phénomènes parallèles de ghettoïsation des espaces périurbains, ou par l'apparition à certains endroits de zones privatisées et sécurisées, phénomènes qui favorisent une ségrégation territoriale qui défait nos villes.
Nous réaffirmons solennellement que l'objectif central des politiques urbaines est la cohésion sociale et territoriale. Nos villes sont des lieux de vie et de travail, multigénérationnels, multiculturels et multireligieux, où des citadins de toutes origines sociales se côtoient chaque jour. La société urbaine ne peut se développer équitablement qu'en favorisant l'entraide entre les citadins, le dialogue entre les groupes, y compris le dialogue interreligieux, et la vie associative. Nous poursuivrons notre lutte contre la précarité, l'exclusion et toutes les discriminations fondées sur la situation sociale, l'âge, la culture, la religion, le sexe et le handicap.
Par ailleurs, il faut écarter de nos villes toutes les formes de stigmatisation à l'égard de tel ou tel groupe, qui nuisent gravement au sentiment d'appartenance à la collectivité urbaine et qui sont le plus souvent à la source des violences urbaines, des incivilités et de l'insécurité ressentie douloureusement par nos citadins, notamment par ceux qui sont les plus fragiles (les personnes âgées, les enfants, les personnes isolées, les migrants, les pauvres).
Enfin, nous pensons que la solidarité qui doit s'exprimer à l'intérieur de l'espace urbain doit également inspirer nos relations avec les territoires périurbains, les autres villes voisines et l'ensemble des populations des autres territoires, selon des critères et des mécanismes de redistribution définis au niveau national.
Dans le même esprit, l'entraide entre les villes s'intensifie au plan international notamment en direction des pays du Sud. Cette solidarité qui se propage parallèlement aux processus de mondialisation prend la forme d'une véritable « diplomatie des villes ».. Nous encourageons vivement ces autres formes de solidarité avec les villes des pays défavorisés, qui contribuent à l'établissement d'un monde plus équilibré et plus solidaire.
Si notre conception de la solidarité commence dans nos quartiers, elle ne peut s'arrêter aux portes de nos villes.
Une ville de la connaissance
Nos villes sont des carrefours de civilisations, elles sont le lieu d'expression par excellence des savoirs et des cultures, elles sont des espaces de rencontre et de contacts. Nous, élus locaux européens, concevons nos villes comme lieu d'échange, lieu cosmopolite où les différences peuvent librement se rencontrer et s'exprimer dans le respect mutuel.
Nous ne souhaitons pas une ville où nos différences culturelles viendraient se fondre dans un modèle unique, globalisé et mondial. Nos villes sont culturellement et architecturalement différentes et diverses, elles doivent le rester. Nous sommes attentifs à tous les risques d'uniformisation des constructions et des services, et aux dérives d'un urbanisme mondialisé soumis aux seules règles d'un marché global, imposant sa marque partout identique.
Nous avons également du goût pour la culture de nos territoires, pour leurs identités. Nous voulons promouvoir et diffuser nos cultures locales, nos mémoires territoriales comme un atout de taille dans un univers chaque jour plus globalisé. Nous nous engageons à poursuivre nos efforts de soutien à la création et de mise en œuvre de politiques ambitieuses d’équipements culturels de nos villes.
Nos villes ont toujours hébergé les forces du changement et de l'innovation, elles sont une opportunité de progrès et d'adaptation aux évolutions. Nous avons la conviction que nos villes sont les pôles territoriaux privilégiés de l'économie de la connaissance qui porte déjà et portera plus encore le développement futur de nos communautés.
Nous pensons que nos villes, au début de ce nouveau millénaire, ont plus que jamais un rôle historique à jouer dans la mise en place en Europe de cette économie de la connaissance. La désindustrialisation de nos territoires, la montée en puissance des nouvelles technologies de l'information et de la communication, l'irruption des biotechnologies et, plus généralement, le développement des activités économiques immatérielles marquent les nouvelles formes de notre développement, et nous savons que les territoires peuvent jouer un rôle majeur dans cette évolution. C'est pourquoi nous voulons donner une priorité aux savoirs et à l'innovation, à l'accès à l'éducation, aux activités de recherche, et plus généralement aux activités culturelles et artistiques qui sont le terreau de cette nouvelle économie.
Nous nous engageons, dans cette perspective, à développer nos infrastructures de communication et de télécommunication, et à multiplier l'accès à internet, à créer des espaces « intelligents » et à généraliser l'administration électronique. Nous voulons faire de nos villes des espaces de réseaux de collaboration omniprésents, qui puissent faciliter la circulation de la connaissance entre les systèmes d'éducation et de recherche, et le système productif. Nous voulons bâtir une ville numérique qui soit un atout pour notre développement.
Nous avons conscience que notre ambition de faire de nos villes le creuset de la connaissance, des savoirs, de la culture et des arts serait peu crédible si nous n'avions pas le souci de la beauté architecturale de nos cités.
Nous avons conscience à cet égard que nos paysages urbains se sont souvent constitués ces cinquante dernières années sans une réelle volonté de haute qualité architecturale. Nous avons délaissé nombre de nos paysages périurbains, et nous avons abandonné l'entrée de nos villes à un urbanisme commercial sans âme et sans créativité. Nous voulons désormais mieux prendre en compte la dimension architecturale dans l'aménagement de nos territoires et favoriser la diffusion d'une culture architecturale vivante parmi les décideurs et les citadins.
Nous voulons être fiers de nos villes, de leurs cultures, mais aussi de leurs architectures.
Conclusion
Nous, élus locaux européens, savons que le développement présent de nos cités n'est pas sans danger et que les défis qu'elles doivent relever sont d’une ampleur jamais rencontrée: défis environnementaux, défis démocratiques, défis culturels, défis sociaux et économiques.
Dans ce manifeste, nous sommes animés par un esprit de confiance dans nos villes. Nous croyons résolument qu'elles sont un atout unique pour nos sociétés. Comme animateurs de territoires et acteurs politiques, individuellement et en réseaux, les villes ont à faire face aux mutations de nos sociétés. Elles ont la capacité de contribuer à la prospérité de leurs communautés et à leur durabilité. Mais cette perspective ne saurait être exclusivement locale. Elles doivent dans cet objectif de prospérité et de durabilité rester solidaires des autres territoires.
Nous savons que nos villes ont une longue histoire et qu’elles s'inscrivent dans le temps long de nos cultures. Nous pensons que cet enracinement dans le passé, dans nos mémoires collectives est aussi un atout pour se projeter dans l’avenir en s’appuyant sur une identité forte. Nous n'avons pas à l'esprit un modèle unique de développement urbain. Nos villes ont une personnalité propre, elles sont toutes différentes, et leur diversité est une chance pour l'Europe.
Diversité des villes, diversité dans la ville elle-même, nous pensons que la capacité à intégrer la diversité culturelle peut se développer par une vision apaisée de nos identités. Nous sommes fiers de nos identités, mais nous les concevons sans complexe comme un élément d'ouverture vers les autres.
Nous sommes persuadés que l’encouragement fait à nos villes à plus de démocratie, à plus de durabilité, à toujours plus de solidarité à l'intérieur de leurs territoires et entre les territoires, à une meilleure gouvernance et à une meilleure performance est déterminant pour le bon développement de nos sociétés.
C'est ce message optimiste d'ambition et d'exigence que nous voulons transmettre à nos citadins et à tous les acteurs du développement urbain. Nous proposons cette Charte comme une invitation à bâtir, dans le partage de valeurs et l'échange d'expériences, un nouveau projet urbain pour les villes d'Europe, afin que chacune soit pleinement elle-même et que toutes portent ensemble le projet européen de ville, mélange indissociable de valeurs humanistes, de liberté individuelle, de prospérité économique, de solidarité sociale, de respect de la planète et de culture vivante.
(1) . Convention européenne sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (1992, STE no 144))
Charte européenne révisée de la participation des jeunes à la vie locale et régionale (2003)
Charte urbaine européenne révisée (rapporteur Carlos Alberto Pinto, adoptée par le Congrès en 2004, révisée en 2005)
Recommandation 188 (2006) du Congrès sur la bonne gouvernance dans les zones métropolitaines d’Europe.
(2) . Recommandation Rec(2001)19 du Comité des Ministres sur la participation des citoyens à la vie publique au niveau local
Déclaration de Valence sur "La bonne gouvernance locale et régionale – le défi européen" (Conférence des ministres européens responsables des collectivités locales et régionales, 2007).
(3) . Charte de Leipzig sur la ville européenne durable (2007)
Agenda territorial de l’Union européenne (2007) .
(4) . Résolution S-25/2 – Déclaration sur les villes et autres établissements humains en ce nouveau millénaire (2001),
Nations Unies
Résolution 21/3 sur les lignes directrices sur la décentralisation et le renforcement des pouvoirs locaux (2007), UN-Habitat.
(5) . Charte des villes européennes pour la durabilité, dite Charte d’Aalborg (1994) et Les engagements d’Aalborg (2004).
- Document lié : Réunions - 15ème Session / Session plénière / 27 mai 2008
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- Manifeste pour une nouvelle urbanité - La Charte urbaine II (pdf)
- Textes de référence:
Résolution 269 (2008)
Recommandation 240 (2008)
Charte urbaine européenne I (1992)
- Contact:
Division de la Communication du Congrès, congress.com@coe.int, +33 (0)3 90 21 48 95