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Date :  2002-04-26
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Les artistes doivent-ils tous être « VU » ?


Jean-Marie Messier, président de Vivendi Universal , est, depuis quelque temps, la cible de virulentes critiques. Les actionnaires s'inquiètent d'un endettement et d'un manque de visibilité stratégique. Les artistes sont noyés dans les méandres d'une exception culturelle à la française, ne sachant plus très bien à quelle planète ils appartiennent. C'est sur ce dernier point que nous souhaitons interpeller J2M.

VU s'est voulu un ardent défenseur des valeurs artistiques européennes, un héraut de la diffusion culturelle en détectant les talents à l'échelle locale pour les diffuser à l'échelle mondiale. VU veut développer une « music for the world », comme on le lit sur le site d'Universal Music. Un producteur pour des milliards de consommateurs : cela s'appelle un monopole. Or, on le sait, monopole et liberté de choix font très rarement bon ménage.

Les biens culturels, a fortiori lorsqu'ils sont d'exception, ne s'imposent que très rarement d'eux-mêmes. Le mode privilégié de diffusion reste le réseau social. C'est le bouche-à-oreille qui pousse à aller voir tel ou tel film d'auteur, fût-il américain, à découvrir un nouvel artiste, à lire un nouvel auteur, à assister à telle exposition. Si la presse spécialisée peut orienter différents choix, c'est bien souvent l'ami qui en dernier recours s'avère décisif. A force d'être recommandé, le bien en question va se diffuser dans une proportion de plus en plus large de la population, jusqu'à ce que les médias de masses s'en emparent et convainquent les derniers réticents. C'est ce que nous nommons un effet « blair witch » ou la stratégie de la rumeur. Comment cela fonctionne-t-il ?

Considérons que chaque réseau social est initialement défini par un ensemble de traits culturels et que chaque bien culturel est la somme d'un ensemble de caractéristiques, alors, tant qu'il y aura adéquation entre un minimum de traits culturels et de caractéristiques, il existera toujours une demande potentielle pour un bien d'exception. La vitesse à laquelle le bien va se diffuser dépendra simplement du nombre de traits communs au bien et au groupe visé. Si cette condition n'est pas remplie, l'oeuvre ne trouvera pas son public. Par conséquent le maintien de la diversité de l'offre culturelle provient de la multiplicité des réseaux sociaux et de la singularité culturelle de ces niches sociales.

Par contre qu'advient-il lorsque, a priori, ces niches culturelles sont en faible nombre ou si les traits culturels caractérisant les individus de ces niches sont peu nombreux ? Le bien offert a toutes les chances de ne pas rencontrer son public. Obligation est faite à l'auteur de fabriquer un produit formaté, standardisé. Si la demande de produits culturels est très peu diverse ou la société culturellement polarisée, il y a toutes les chances que d'elle-même l'offre culturelle s'uniformise.

En revanche, faire face à un impératif de rentabilité lorsque les coûts de production sont élevés ou avoir une ambition de diffusion à l'échelle mondiale, c'est proposer un bien dont les caractéristiques répondent aux attentes du plus grand nombre ou, de façon similaire, incorporent peu de caractéristiques. La production de groupes comme ceux de « Popstar » et « Star Academy » participe de cette logique. Un risque minimum associé à un contenu consensuel, pour éviter le piège de la non-diffusion en visant le maximum de niches sociales. Produire un bien au contenu culturel plus affirmé impliquant au contraire de viser la bonne niche pour espérer, et ce n'est pas certain, gagner la masse critique de clients qui permettra de faire un succès commercial. Moins les artistes VU seront consensuels et plus indirectement les actionnaires feront pression. Un grand écart périlleux. Etre acteur de la diversité culturelle, c'est promouvoir la création et prendre le risque de vendre 1.000 unités, mais c'est une incertitude artistique intrinsèque qui ne plaît guère à l'investisseur, plus habitué à la lisibilité de rendements escomptés. Etre acteur de l'uniformisation, c'est programmer un succès commercial et minimiser le risque artistique pour s'assurer de taux de retour significatifs « vizzavi » de son actionnariat. Monsieur Messier, à quel camp appartenez-vous ?


* Raphaël Suire est professeur à l'université de Rennes I, faculté des sciences économiques


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