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Date :  2009-03-07
langue :  Français
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La crise offre l'occasion de réinventer nos modèles urbains


En ces temps de relance, il est bon de rappeler que les grandes villes sont les moteurs de notre économie, et tout spécialement de l'économie de la connaissance, qui s'organise à l'échelle mondiale autour de quelques grands hubs urbains. Etre ou ne pas être sur la carte de ces hubs est crucial pour le pays tout entier. Du fait de leur haute densité, les métropoles sont aussi plus écologiques que les nappes résidentielles diffuses, rurales ou néorurales, qui envahissent nos paysages.

Paris ou New York sont parmi les villes les plus "vertes" du monde. Encore faut-il que les habitants y trouvent des conditions de vie agréables et stimulantes, permettant d'enrayer une fuite que l'on sent poindre. La période de mutations dans laquelle la crise nous entraîne ouvre une opportunité historique : celle de réinventer nos modèles urbains, par un effort massif d'investissement, conjuguant un peu de béton et beaucoup d'intelligence. Le jeu serait gagnant à de multiples égards.

Le premier objectif est de conforter la position de nos villes dans la compétition mondiale. A cet égard, la situation française est préoccupante. Plus que jamais, les grandes villes, et la métropole parisienne au premier chef, sont les locomotives de notre croissance et les pivots de notre insertion internationale. Mais la France qui se porte le mieux est celle où prédomine une économie résidentielle reposant en grande partie sur des transferts massifs de ressources publiques et privées, et largement coupée du coeur productif internationalisé.

Cette prospérité relative est très fragile, et la crise pourrait le démontrer très vite. La France ne doit pas redevenir ce qu'elle a été dans les années 1920 et 1930 : un pays de petites villes et d'économies urbaines languissantes. Nous avons besoin de villes puissantes, créatives, attractives pour les talents du monde entier. Or elles ne seront telles que si leurs habitants, et pas seulement les plus riches, y trouvent leur compte. Il serait désastreux que, en raison de conditions de vie dégradées, nos concitoyens perdent le goût de participer aux économies urbaines les plus efficaces. Ceci vaut tout spécialement pour la métropole parisienne, qui enregistre des soldes migratoires négatifs inquiétants dans les tranches d'âge les plus productives.

Des investissements lourds y sont donc urgents : dans le domaine du logement, d'abord, où le déficit se creuse ; dans la rénovation des transports publics existants, que l'Etat, se reposant sur la relative avance datant des "années RER", a "oublié" depuis quelques décennies, et qui arrivent à saturation, exaspérant de plus en plus de Franciliens ; mais aussi dans le lancement de projets nouveaux ambitieux, engageant dès aujourd'hui un réseau de transport collectif à la hauteur des enjeux de 2050. De tels investissements ne sont pas d'intérêt local. Ils sont d'intérêt national.

Le deuxième enjeu est de faire de la mutation de nos villes des laboratoires privilégiés d'innovation et de croissance. On oublie à quel point la croissance des "trente glorieuses" fut tirée par la mutation des modes de vie liée à l'urbanisation (automobile, nouveaux logements, électroménager, etc.).

Or tous les ingrédients sont réunis pour l'émergence d'un nouveau cycle des villes, comparable à celui que nous avons connu au XXe siècle. Les innovations renouvelleront l'anatomie des villes (les bâtiments, les infrastructures), mais aussi et surtout leur physiologie (les mobilités, les flux de toutes sortes, les services associés à ces flux). Elles seront des matrices de croissance globale et pas seulement sectorielle. La "croissance verte" consistera d'abord en la refonte de nos villes comme "systèmes".

Je veux dire par là qu'il ne s'agit pas seulement d'additionner des comportements vertueux, de trier ses déchets, d'utiliser le train ou le vélo plutôt que la voiture, etc. Les enjeux sont d'ailleurs plus complexes et les solutions plus diversifiées que les poncifs habituels sur le sujet.

Car le champ potentiel des changements est immense : nouvelles manières d'organiser, dans le temps et dans l'espace, l'entreprise, le travail, l'éducation, le commerce, l'accès aux soins, utilisant massivement les possibilités du numérique ; dépassement de l'opposition binaire entre automobile et transport en commun, par le développement de transports à la demande et la probable explosion du concept unitaire d'automobile au profit d'une gamme d'"outils mobiles" diversifiés ; logements très peu consommateurs, voire producteurs d'énergie ; développement de réseaux électriques intelligents permettant de mutualiser les productions décentralisées diverses et d'optimiser le "mix" d'électrons propres distribués ; passage d'une économie fondée sur la vente d'objets à une économie fondée sur la fourniture de services, de "fonctionnalités" (vente de kilomètres parcourus plutôt que de voitures, par exemple).

De telles innovations, combinant étroitement biens et services, feront boule de neige, suscitant des infrastructures, des métiers et bien sûr des emplois nouveaux. Ainsi, dans le cas de la voiture électrique, il ne s'agit pas seulement de remplacer (partiellement ou complètement) le moteur thermique par une batterie, mais de créer une infrastructure physique et logicielle permettant de recharger ces batteries, de les remplacer, en optimisant cette gestion.

De telles dynamiques de croissance fortement "localisées" permettront enfin de créer un puissant contrepoids aux incertitudes de la mondialisation, sans alimenter le risque protectionniste, car les biens et services composant les nouveaux systèmes seront en grande partie échangeables et entreront dans la dynamique de la compétitivité extérieure.

Le troisième enjeu, en effet, est industriel. Depuis plus d'un siècle, la France bénéficie d'une très grande tradition d'innovation dans les services urbains classiques (métro, eau, assainissement, énergie, etc.), y compris dans leurs modes de gestion et de gouvernance (gestion déléguée, par exemple). Ceci a permis à nos industries de la ville d'occuper des positions internationales fortes. Le fait de porter nos villes et nos territoires à la pointe de la nouvelle vague d'innovations techniques et sociales alimentera évidemment la compétitivité de nos entreprises, grandes et petites.

Il pourrait, par exemple, valoriser notre excellence dans le domaine de l'électricité, probable colonne vertébrale, avec le numérique, de la ville du futur. Mais il faudra très vite combler les retards pris dans des filières sensibles de composants (les batteries, le photovoltaïque, par exemple). Ne laissons pas aux Etats-Unis, à la Chine ou aux émirats du Golfe le monopole des grandes expérimentations qui façonneront les villes de l'avenir et leurs acteurs.



Pierre Veltz dirige la mission d'aménagement de la Région capitale. Auteur de "Des lieux et des liens : essai sur les politiques du territoire à l'heure de la mondialisation" (Ed. de l'Aube, 2008).



Point de vue paru dans Le Monde du 07 mars 2009


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