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Date :  2009-02-11
langue :  Français
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La crise va accélérer les délocalisations


Depuis que la tourmente financière s'est abattue sur le monde, les débats relatifs à l'économie mondiale portent généralement sur les excès du capitalisme financier, sur la forme et l'ampleur de la crise, et sur les conséquences d'une situation où les entreprises sont prises en étau entre la contraction des marchés et l'assèchement des liquidités. Ces difficultés, si graves soient-elles, ne doivent pas pour autant occulter la réalité contemporaine de la mondialisation, à laquelle elles se superposent.

La vague actuelle de mondialisation a vu le jour dans les années 1980, commençant par le textile puis se propageant depuis les années 1990 à l'ensemble des secteurs. Elle résulte de l'abaissement rapide des coûts de communication et de coordination faisant suite à l'irruption des nouvelles technologies de l'information et de la communication, qui conduit à ce que les étapes de production tout au long d'une filière puissent désormais s'opérer en différents lieux de la planète. Ainsi s'est matérialisé ce que l'économiste Richard Baldwin a qualifié de « great unbundling », c'est-à-dire de désagrégation de la chaîne de valeur dans les entreprises, à une grande échelle. Et nous sommes entrés dans un paradigme où le nouvel enjeu de la concurrence internationale se situe au sein de l'entreprise elle-même, qui doit optimiser en permanence la localisation de ses activités de production et d'approvisionnement.

Interviennent bien sûr dans cette décision les coûts salariaux - rappelons ici que le coût annuel d'un emploi de production est de l'ordre de 25.000 euros en Europe, 2.500 à 3.000 euros dans les pays méditerranéens, 1.000 à 1.500 euros en Chine -, le degré capitalistique de l'industrie, la part relative des achats - qui peut fréquemment s'élever aux deux tiers du prix de revient industriel -, à quoi s'ajoutent les coûts de stockage et de transport. La gestion des délais et leur raccourcissement comme la taille des séries occupent également une place essentielle. Qualité et savoir-faire continuent bien sûr d'importer, mais n'oublions pas qu'un produit complexe, s'il se traduit par un temps de main-d'oeuvre élevé, peut être avantageusement produit dans un pays à coûts salariaux faibles. Les « business models » des entreprises au sein d'un même secteur d'activité peuvent par ailleurs donner lieu à des combinatoires très différentes. Globalement, la « supply chain » (chaîne logistique) occupe désormais un rôle central, dans un environnement mondialisé et volatil.

La fragmentation de la chaîne de valeur n'élimine pas l'importance du facteur géographique, mais elle le transforme. Si l'intérêt de produire à proximité des marchés varie selon les secteurs d'activité et le jeu des paramètres, la cohérence des organisations régionales dans le monde est renforcée, car il s'avère en général préférable que l'approvisionnement en produits intermédiaires s'opère dans la même zone que le lieu d'assemblage des produits. Ceci explique le basculement vers l'Asie d'une partie de la production mondiale, mais légitime également l'espace euroméditerranéen, la chaîne de valeur pouvant être avantageusement répartie entre les pays qui le composent.

C'est le système économique dans son ensemble qui se trouve bouleversé, que l'on donne ou non à ce phénomène le vocable de « révolution industrielle », et qui est en tout cas une révolution de et par l'immatériel. Rappelons à cet égard que la globalisation financière est également pour partie imputable à l'avènement des nouvelles technologies de l'information et de la communication.

Quant à la crise actuelle, ne nous y trompons pas, elle va accentuer la désagrégation de la chaîne de valeur. Dans les pays développés, les difficultés du pouvoir d'achat vont intensifier la pression sur les prix et conforter la montée en régime du « low cost » (production à bas coût). La compression des marges va obliger les entreprises à examiner avec une attention soutenue les voies et moyens de les restaurer, notamment au travers de l'« outsourcing » et de l'« offshoring » (externalisation et délocalisation). Les difficultés accrues de financement des entreprises auront un impact similaire, les conduisant à accroître leur capacité d'autofinancement et donc leurs marges.

Cette accélération annoncée d'un phénomène déjà largement engagé oblige la France et l'Europe à accélérer parallèlement les politiques qui feront émerger le nouveau visage de leur tissu économique, en intensifiant l'innovation sous toutes ses formes comme en confortant la compétitivité euroméditerranéenne.


Pascal Morand est directeur général d'ESCP-EAP.

Point de vue paru dans Les Echos, édition du mercredi 11 février 2009.


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