Ref. :  000030606
Date :  2008-10-25
langue :  Français
Page d'accueil / Ensemble du site
fr / es / de / po / en

« Fin d’un monde » ou crise de son modèle ?


En cette période supposée apocalyptique, « la fin d’un monde » ou « le monde au bord du gouffre » sont des expressions prisées par les leaders d’opinion afin de faire prendre la mesure de la gravité de la « crise » présente au citoyen ordinaire.
Mais la question n’est déjà plus tant de savoir si ce monde-ci a bien chu — s’il est échu, dirait un banquier —, que de se représenter la suite : de quoi ce monde et nous-mêmes aurons l’air demain, dans six mois ou dans trois ans. Tomorrow. Next week. In the long run. The day after… Mañana — hasta luego ! En vue de cet avenir radieux, n’hésitons pas à endosser l’habit du futurologue pour risquer les hypothèses suivantes.

À propos des banques, tout d’abord. Après avoir été sur la sellette durant quelques mois pour leurs turpitudes inavouées, gageons que celles qui survivront vont vite se rebeller en chœur et rappeler aux simples citoyens où subsistent les leviers de pouvoir. Le crédit va se raréfier jusqu’à en devenir étouffant. Les taux d’intérêt réels ne cesseront de croître et les demandes de garantie de se superposer jusqu’au découragement des ménages et des autres acteurs économiques. Mais les banques manieront aussi leurs armes communes avec une arrogance surmultipliée par leur déconfiture et leur perte de prestige, avec une exemplaire capacité de refoulement de leurs responsabilités. À l’opposé de ce que chacun espère, elles ne deviendront pas plus sages à la lumière de l’actuel épisode, mais plus dures, intransigeantes, âpres au gain et, en définitive : plus irresponsables.

Les entreprises industrielles et de services ? Pour elles, c’est la quadrature du cercle, car, quels que soient leurs secteurs d’activités, elles se retrouvent coincées entre les barrières relevées au financement de leurs projets, l’asphyxie de leurs trésoreries, l’évanouissement de leurs clientèles et une instabilité monétaire au pinacle. Les « cycliques » se prennent en effet ledit « cycle » dans la figure. Les « non cycliques » se frayent péniblement un chemin dans la tourmente, mais sans investir et en « dégraissant ». Quant aux « contra-cycliques », elles ne bénéficient même pas de la situation, en raison de l’appauvrissement subit de leurs clients. Bref, l’industrie et les services mordent la poussière rejetée par le secteur bancaire.

Les artisans et professions indépendantes voient leur précarité soudain accrue et systématisée. Ils prennent de plein fouet la crise du crédit et la crise de la demande, sans marge de manœuvre ou réserve stratégique leur permettant d’absorber le choc imputable à la désolvabilisation de leurs fournisseurs et clients, et d’attendre les rebonds espérés. Circonstance aggravante : pareille situation, bien que partagée par des millions d’entreprises individuelles, est éclipsée par la loi du nombre qui privilégie les dossiers dans lesquels les employés jetés sur le carreau se comptent par centaines ou par milliers… et non à l’unité !

Les associations, qui dépendent des cotisations de citoyens paupérisés ayant à raboter chaque poste de leur budget, ainsi que de subventions publiques devenues introuvables ou symboliques, ne sont plus en mesure ni d’assurer la continuité de leurs missions, ni de poursuivre leur rôle essentiel de réservoir d’emplois. Seules les plus « importantes », assumant des missions de service public délégué ou utiles à la gestion sociale de la « crise », parviennent à se maintenir, grâce à des fondations spécialisées, pendant que des milliers d’autres disparaissent.

Les familles des classes moyennes et populaires sont exposées à toutes les difficultés simultanément. Perte d’emploi ; perte d’habitation principale ; perte de pouvoir d’achat ; perte de qualité de vie ; accès fortement restreint au crédit, ainsi qu’à l’offre de produits de consommation ou d’équipement ; situation sanitaire, culturelle et sociale dégradée… Tout devient plus problématique et ingérable pour elles ! A fortiori si l’inflation et la tourmente monétaire se renforcent, tandis que les salaires sont gelés ou réduits.

Les collectivités locales et régionales voient leur endettement monter au ciel, au moment où leurs recettes sont tirées vers le bas par la baisse des revenus des entreprises et des taxes afférentes, de même que par l’insolvabilité d’un nombre croissant de ménages. Elles doivent différer sine die leurs investissements structurels ; renoncer à remplacer les équipements publics obsolètes et défaillants ; abandonner la poursuite des programmes immobiliers engagés ou planifiés. En un mot : le reflux !

Quant aux Etats, ils affrontent une situation pour le moins paradoxale. Car, d’un côté, leur légitimité, qui ne cessait de s’affaiblir lors des années de globalisation triomphante, est soudain ressuscitée à la faveur d’une crise qui les contraint à assumer de nouveau dans la finance, l’économie ou le social des rôles qu’ils avaient abandonnés. Mais l’État-Thaumaturge se retrouve vite démuni face à des situations qui dépassent ses capacités sur le plan des moyens techniques, financiers et humains qu’il s’agit de mobiliser. La relégitimation dont il bénéficie le propulse ainsi à vive allure vers son seuil d’incompétence…

Si c’est bien la conjonction probable de telles situations que l’on nomme « fin d’un monde » ou « monde au bord du gouffre », on peut comprendre l’inquiétude de ceux qui estiment devoir en être affectés à des titres divers — soit à peu près tout le monde, justement ! Mais l’inquiétude n’est pas une politique, et elle ne sait pas faire de politique. En revanche, la mise en question et en perspective du « monde antérieur », à commencer par son dérèglement légal, ses critères imbéciles, ses protocoles schizophrènes, ses pratiques déviantes, si un tel processus critique et le débat public contradictoire qui doit le supporter ne régleront bien sûr pas en un instant les problèmes inventoriés, ils peuvent cependant contribuer à fonder une autre politique et à forger des réponses pérennes à la présente crise de modèle.


Notez ce document
 
 
 
Moyenne des 69 opinions 
Note 2.14 / 4 MoyenMoyenMoyenMoyen
Du même auteur :
 flecheLeçons de la « Grippe espagnole » de 1918-1919
 flecheL’intelligence de la bibliothèque publique
 flecheTriomphe de la post-citoyenneté
 flechePublication de L'Homme post-numérique
 flecheCharlie : comment répondre au défi ?
 flecheLe numérique prend le pas
 flecheAcerca de los Megaproyectos en Uruguay
 flecheEurope, Maghreb, Machrek : Que faire ensemble du monde euro-méditerranéen, maintenant et pour les dix prochaines années ?
 flechePourquoi une Déclaration universelle de la Démocratie ?
 flecheLe « sens du carnage » ?
 flecheLa « culture numérique » : à problématique « nouvelle », approches et solutions différentes ?
 flechePiratage (Modifier l'approche du ---)
 flecheDiversité culturelle et dialogue interculturel : confusion ou exigence ?
 flechePiratage (modifier l’approche du ---)
 flecheRéévaluer « l’économie de la création » à l’âge de la dématérialisation numérique
 flecheProjet d'intervention aux "Dialogos da Terra no Planeta Agua" (26-28 novembre, Minas Gerais - Brésil)
 flecheCosmopolitique de l’Eau
 flecheLa culture pour rendre le monde vivable
 flecheTransparence (Révélation de l’opacité, mondialisation de la --- ?)
 flechePour une éducation à la diversité culturelle et au dialogue interculturel
 flecheDix thèses sur le sens et l’orientation actuels de la recherche sur les mondialisations
 flecheTravail et emploi : la confusion permanente
 flecheDiversité culturelle
 flecheLa Convention sur la diversité culturelle reste à mettre en œuvre!
4 tâches prioritaires pour la société civile

 flecheCultures et mondialisations : les sons de la diversité

 flechePhilosophie des mondialisations et mondialisation de la philosophie

 flecheLaw of Globalization and/or globalization(s) of Law ?
 flecheAltermondialisation
 flechePauvreté et Violence
 flecheDiversité culturelle : un projet cosmopolitique
 flechePour un concept offensif de la diversité culturelle
 flecheDiversité culturelle, globalisation et mondialisations
 flecheLa Puissance du rituel mondial
 flecheForum Social Mondial n°5 : l’épreuve de vérité
 flecheComercio de la democracia, democracia del Comercio
 flecheOMC : la refondation ou la fin ?
 flechePour une refondation du concept de diversité culturelle
 flecheLa guerre, stade suprême de la pauvreté ?
 fleche"Lutte contre la pauvreté" : Pour une nouvelle donne
 flecheGlobal et Mondial
 flecheParadoxes des « Nouvelles technologies de l’information et de la communication » (NTIC) et de la diversité culturelle
 flecheLe partage critique des mondialisations via une éducation interculturelle appropriée
 flecheAntimondialisation
 flecheJohannesburg (Le risque de...)
 flecheQue peut être "l'exception culturelle" ?
 flecheLa diversité culturelle : du consensus mou au projet politique
 flechePrivatisation ou partage des identités et de la diversité culturelles ?
 flecheMorale et politique
 flecheTemps fragiles
 flecheDématérialisation de l’argent, déresponsabilisation du sujet politique
 flecheDématérialisation de l’argent
 flecheLe GERM : un laboratoire de la diversité culturelle pour comprendre «la globalisation» et les mondialisations
 flecheLa Bonté des maîtres du monde
 flecheProblématique des mondialisations
 flecheLe Monde est-il un village ?
Et peut-il être une Cité ?

 flecheLe cas Napster
 flecheDémocratie
 flecheMondialisations
 flecheLa controverse de Gênes
 flecheOSCI
 flecheChômage
 flecheEconomie de la matrice, cosmopolitique de la diversité
 flecheLe cheval de Troie des Amériques
 flecheLe révélateur Napster
 flecheDomination
 flecheRien de nouveau sous le Soleil noir de la mondialisation
 flecheDe la mondialisation aux mondialisations : domination ou partage du monde ?
 flecheLe Monde en perspective
 flecheVillage mondial
 flecheFractures (résorber les --- )
 flecheMondialisation : la loi du plus fort ?
 flechePour une ''philosophie des mondialisations''
13
RECHERCHE
Mots-clés   go
dans 
Traduire cette page Traduire par Google Translate
Partager

Share on Facebook
FACEBOOK
Partager sur Twitter
TWITTER
Share on Google+Google + Share on LinkedInLinkedIn
Partager sur MessengerMessenger Partager sur BloggerBlogger
Autres rubriques
où trouver cet article :