Ref. :  000029767
Date :  2003-09-30
langue :  Français
Page d'accueil / Ensemble du site
fr / es / de / po / en

Transparence (Révélation de l’opacité, mondialisation de la --- ?)

Transparence


Quel rapport entre les 10’’ 07 réalisées par Kim Collins sur 100 mètres aux Mondiaux d’Athlétisme de Saint-Denis et la longue audition de Tony Blair devant un tribunal ayant à juger de cette « affaire Kelly » qui a mis en émoi la Grande-Bretagne? De prime abord, aucun, tant les problématiques paraissent éloignées. Pour autant, ces deux informations, advenues lors de la même semaine, peuvent être considérées comme aussi décisives que liées. Elles constituent, en effet, des signes convergents que nous pourrions bien être contraints à nous habituer à un monde moins factice. Que le bel âge des énormes mensonges socioculturels et politiques, célébrés avec pompe par les nations et rarement sanctionnés, est peut-être révolu (?). Que certaines des turpitudes les plus criantes auxquelles nous nous sommes si longtemps accoutumées, certaines des avanies les plus préjudiciables à tout progrès réelde la société « démocratique » sont enfin menacées.

D’un côté, Kim Collins : l’homme du Sud mal dopé, voire pas du tout. L’homme d’une Caraïbe qui fait régulièrement dans les records de pauvreté. L’homme qui a réalisé une « performance médiocre » au Stade de France, mais qui est arrivé devant les montagnes de muscles du Nord. Bref, un athlète qui serait presque redevenu… un homme ! Mais cela n’est ni le fruit du hasard, ni d’une histoire morale. Bien ailleurs, c’est le résultat d’un long processus qui a vu se combiner : médiatisation mondialisée des performances athlétiques obtenues depuis le début des années 1970, puis des interrogations que suscita leur croissance indéfinie ; mondialisation des conséquences sanitaires sur les sportifs de leurs abus individuels et collectifs ; mondialisation récente et toujours en cours des normes de contrôle du dopage et des sanctions en résultant.

D’un autre côté, Tony Blair : l’homme du Nord ayant reçu ou acquis tous les avantages matériels de la vie des riches contrées. L’homme prêt à tout pour « accéder aux plus hautes fonctions », prêt à fouler aux pieds les convictions de ses électeurs, les programmes déposés et les fameuses « promesses qui n’engagent que ceux qui y croient ». Ce personnage se trouve à son tour secoué par des vents dont il paraissait persuadé de pouvoir se tenir à l’abri ad vitam. Mais cela non plus n’est pas le fruit du hasard ou d’une malchance toute personnelle. C’est également le résultat d’un long processus de mondialisation des « exigences démocratiques de transparence » ; de l’élévation des demandes citoyennes de « reddition de comptes » ; du rejet de la persistance des pratiques oligarchiques dans « les démocraties » auto-labellisées.

Si Tony Blair est aujourd’hui contraint de témoigner devant une cour de justice, ce n’est pas seulement parce qu’il a commis des fautes. C’est aussi parce que le monde a changé : parce que les citoyens, qui ont accès à un nombre toujours croissant d’informations aussi considérable qu’elles sont contradictoires, ne se satisfont plus des déclarations des maîtres de vérité de notre temps. Ils veulent investiguer eux-mêmes, sonder, comparer, vérifier, estimer, enfin : valider. Ils veulent être assurés qu’on ne les roule pas dans la même farine que celle dont se régalent les périodes de guerre, de Timisoara à Bassorah, et de Kaboul à Monrovia, en passant par Kigali et Grozny. Ils veulent défaire les médiations instituées — des experts, politiques, journalistes, intellectuels —, se débarrasser d’elles au profit d’une immédiateté censée leur apporter justesse et fiabilité. Ils veulent être « libres » et « transparents » — transparents grâce à leur « liberté », et libres du fait de la « transparence » qu’ils auraient conquise. Ainsi, la bonne nouvelle de la mondialisation de l’information est-elle qu’aucun crime (géo)politique, économique, social, culturel, sportif ne peut plus être considéré comme occulté définitivement : un jour viendra l’heure de son jugement… Mais simultanément émerge aussi la mauvaise nouvelle que la victoire de la « transparence » constitue une avancée supplémentaire sur la route de la Tyrannie ! Car la transparence n’est souvent que le nom de cette liberté sans contraintes et irresponsable que stigmatise Platon sous la forme d’une démocratie excessive et oublieuse de toute règle auto-administrée, de tout bon sens. Voilà le constat éreintant où nous en sommes revenus, deux millénaires et demi après Socrate : à savoir que si l’opacité reste le moyen favori du vol, du rapt, de l’accaparement individuels, collectifs, sinon massifs… la transparence que l’on rêve d’établir (la Glasnost, enfin ?) se révèle (pour les plus naïfs) ou se confirme être (pour les autres) le vecteur privilégié d’un nouveau genre de régime tyrannique.

Que faut-il donc espérer, face à ces « évolutions », afin qu’elles ne soient transmutées en involutions ? Certainement pas de rejeter la transparence accrue due aux « NTIC » (1) et à la multimédiatisation de toutes les formes de vie pour embrasser un nouvel idéal d’opacité, qui ne peut profiter qu’aux oligarchies de tout ordre et les encourager. Mais sûrement pas non plus de chercher à éliminer toute espèce de secret, de réclusion, voire d’inaccessibilité à la sphère privée des sentiments, des pensées et des actes. Il faut, au contraire, transcender les concepts rebattus et réduits à néant d’opacité et de transparence pour les associer à une dimension autre qui est celle de la responsabilité et de l’exigence— mais une exigence multilatérale, aussi bien interne qu’externe. Ainsi la transparence politique comme la transparence sportive — de même que l’économique, la sociale, la morale… — n’apparaîtront-elles plus sous l’angle privilégié des règlements de comptes et des mises à mort, mais sous celui de leur positivité et de leur contribution au « progrès » de l’humanité… Ainsi la préservation d’une certaine opacité, ni arrogante, ni systématique, pourra-t-elle être conçue comme participant de la démocratie contemporaine plutôt que minant ses fondations et en menaçant l’existence même. Alors, les problématiques de la Guerre d’Irak de MM. Bush et Blair, des dernières performances d’athlétisme, aussi bien que celle des négociations menées dans le cadre de l’OMC pourront-elles être revisitées sans pathos et sans crainte. Car, oui, il importe d’affronter toutes les conséquences des mensonges qui ont été servis par tous moyens afin d’entraîner « la communauté internationale » en guerre au nom de raisons qui n’étaient pas « les bonnes ». Oui, il importe de reconnaître que les performances d’athlètes impressionnants ne peuvent pas plus « monter au ciel » indéfiniment que les actions des boursicoteurs. Oui, il est décisif de mettre au jour ce que furent jusqu’à présent les modalités réelles de fonctionnement de l’OMC, son histoire travestie, les pressions des puissants, l’iniquité régnante, mais aussi bien la sincérité de ceux qui estiment qu’elle est le seul rempart contre l’hégémonie commerciale, pour travailler enfin de manière convergente sur ce qu’elle pourrait devenir demain, du point de vue de « l’intérêt général ». De fait, la transparence ne peut être considérée comme un bien qu’à l’aune de la responsabilité de celui qui la promeut et sous un contrôle public sans restriction. Symétriquement, « une certaine opacité » revendiquée dans les affaires publiques n’est-elle défendable que si l’on se prouve capable de justifier sa raison d’être et de rendre des comptes à son propos lorsque sa mise en cause est étayée. Il ne suffit pas de mondialiser la transparence pour que tout devienne soudain « clair et distinct ». Il faut aussi que le jugement critique sur ce qui est rendu « transparent » soit non seulement maintenu, mais encore renforcé — alors même que tout contribue à laminer l’évaluation critique de ce qui est dit et de ce qui est fait.



Note :

(1) Les « nouvelles technologies de l’information et de la communication », au premier rang desquelles l’Internet.


Notez ce document
 
 
 
Moyenne des 101 opinions 
Note 2.26 / 4 MoyenMoyenMoyenMoyen
Du même auteur :
 flecheLeçons de la « Grippe espagnole » de 1918-1919
 flecheL’intelligence de la bibliothèque publique
 flecheTriomphe de la post-citoyenneté
 flechePublication de L'Homme post-numérique
 flecheCharlie : comment répondre au défi ?
 flecheLe numérique prend le pas
 flecheAcerca de los Megaproyectos en Uruguay
 flecheEurope, Maghreb, Machrek : Que faire ensemble du monde euro-méditerranéen, maintenant et pour les dix prochaines années ?
 flechePourquoi une Déclaration universelle de la Démocratie ?
 flecheLe « sens du carnage » ?
 flecheLa « culture numérique » : à problématique « nouvelle », approches et solutions différentes ?
 flechePiratage (Modifier l'approche du ---)
 flecheDiversité culturelle et dialogue interculturel : confusion ou exigence ?
 flechePiratage (modifier l’approche du ---)
 flecheRéévaluer « l’économie de la création » à l’âge de la dématérialisation numérique
 flecheProjet d'intervention aux "Dialogos da Terra no Planeta Agua" (26-28 novembre, Minas Gerais - Brésil)
 flecheCosmopolitique de l’Eau
 fleche« Fin d’un monde » ou crise de son modèle ?
 flecheLa culture pour rendre le monde vivable
 flechePour une éducation à la diversité culturelle et au dialogue interculturel
 flecheDix thèses sur le sens et l’orientation actuels de la recherche sur les mondialisations
 flecheTravail et emploi : la confusion permanente
 flecheDiversité culturelle
 flecheLa Convention sur la diversité culturelle reste à mettre en œuvre!
4 tâches prioritaires pour la société civile

 flecheCultures et mondialisations : les sons de la diversité

 flechePhilosophie des mondialisations et mondialisation de la philosophie

 flecheLaw of Globalization and/or globalization(s) of Law ?
 flecheAltermondialisation
 flechePauvreté et Violence
 flecheDiversité culturelle : un projet cosmopolitique
 flechePour un concept offensif de la diversité culturelle
 flecheDiversité culturelle, globalisation et mondialisations
 flecheLa Puissance du rituel mondial
 flecheForum Social Mondial n°5 : l’épreuve de vérité
 flecheComercio de la democracia, democracia del Comercio
 flecheOMC : la refondation ou la fin ?
 flechePour une refondation du concept de diversité culturelle
 flecheLa guerre, stade suprême de la pauvreté ?
 fleche"Lutte contre la pauvreté" : Pour une nouvelle donne
 flecheGlobal et Mondial
 flecheParadoxes des « Nouvelles technologies de l’information et de la communication » (NTIC) et de la diversité culturelle
 flecheLe partage critique des mondialisations via une éducation interculturelle appropriée
 flecheAntimondialisation
 flecheJohannesburg (Le risque de...)
 flecheQue peut être "l'exception culturelle" ?
 flecheLa diversité culturelle : du consensus mou au projet politique
 flechePrivatisation ou partage des identités et de la diversité culturelles ?
 flecheMorale et politique
 flecheTemps fragiles
 flecheDématérialisation de l’argent, déresponsabilisation du sujet politique
 flecheDématérialisation de l’argent
 flecheLe GERM : un laboratoire de la diversité culturelle pour comprendre «la globalisation» et les mondialisations
 flecheLa Bonté des maîtres du monde
 flecheProblématique des mondialisations
 flecheLe Monde est-il un village ?
Et peut-il être une Cité ?

 flecheLe cas Napster
 flecheDémocratie
 flecheMondialisations
 flecheLa controverse de Gênes
 flecheOSCI
 flecheChômage
 flecheEconomie de la matrice, cosmopolitique de la diversité
 flecheLe cheval de Troie des Amériques
 flecheLe révélateur Napster
 flecheDomination
 flecheRien de nouveau sous le Soleil noir de la mondialisation
 flecheDe la mondialisation aux mondialisations : domination ou partage du monde ?
 flecheLe Monde en perspective
 flecheVillage mondial
 flecheFractures (résorber les --- )
 flecheMondialisation : la loi du plus fort ?
 flechePour une ''philosophie des mondialisations''
13
RECHERCHE
Mots-clés   go
dans 
Traduire cette page Traduire par Google Translate
Partager

Share on Facebook
FACEBOOK
Partager sur Twitter
TWITTER
Share on Google+Google + Share on LinkedInLinkedIn
Partager sur MessengerMessenger Partager sur BloggerBlogger