Le terme « dialogue interculturel » sonne très académique. Que signifie-t-il concrètement et pourquoi est-il si important ?
A. J : « Il ne faut pas avoir une approche académique du terme, mais activiste. Promouvoir le dialogue interculturel, c’est ouvrir l’espace à des voix différentes et des modes de vie alternatifs. Ce n’est pas seulement en parler, mais interagir, créer un environnement où vous interagissez naturellement avec les autres, plutôt que de ghettoïser les gens en fonction de leur race et de leur religion. »
En quoi les institutions européennes et l’ONU peuvent-ils promouvoir ce dialogue et améliorer la tolérance religieuse dans le monde ?
A. J : « Lorsque les gens pressentent qu’ils ne seront pas entendus ou compris, ils s’expriment par la violence. Voilà pourquoi l’interaction est essentielle pour empêcher la violence.
L’Europe, comme la communauté internationale, doit clairement envoyer le message que la violence ne sera pas impunie -en particulier aux gouvernements qui offrent cette impunité aux auteurs de violences commises « au nom de la religion ».
L’Europe est une région démocratique et elle peut montrer comment il est possible d’approfondir cette démocratie en étant simplement pluraliste. »
Quel est le facteur le plus important pour promouvoir cette ouverture : l’éducation et la famille, les organisations internationales, les médias ?
A. J : « Tous sont importants. Les médias ont rarement joué un rôle négatif. La culture elle aussi permet de valoriser le dialogue : en Inde, les films au cinéma ont fait beaucoup pour l’harmonie interculturelle. A travers l’éducation, les gens se forgent une personnalité : elle aussi est importante, tout comme la famille. Il faut empêcher les familles et les communautés d’imposer des restrictions au-delà desquelles les échanges avec autrui deviennent impossibles. Les mariages arrangés, par exemple, existent encore et sont souvent un tabou, même dans des sociétés soi-disant civilisées. Il faut aussi que les politiciens soient ouverts et discutent ouvertement de tout. La dignité des êtres humains doit résider au cœur de toutes les libertés -que ce soit la liberté religieuse, la liberté d’expression ou la liberté de ne pas être exploité.
Vous avez cité Boutros Boutros-Ghali : « Nous sommes, tous et en même temps, les mêmes et différents »…
A. J : « J’ai travaillé par le passé avec les couches les plus défavorisées de la société : pour elles, leur dignité est aussi importante que celle des plus privilégiés. Lorsqu’on humilie quelqu’un, quelque soit sa couleur de peau ou sa religion, les sentiments en retour sont universels. En ce sens, nous sommes tous les mêmes. Mais nous pouvons être différents dans nos croyances, nos approches de la vie, notre vie spirituelle. Voilà le sens de cette phrase : nous sommes les mêmes sous de nombreux aspects, mais aussi différents.
L’Europe est une région du monde très privilégiée et ses citoyens ont beaucoup de compétences : c’est à eux d’être les maîtres des dirigeants politiques, pas le contraire. Les citoyens ordinaires doivent montrer la direction, mettre en avant le bon modèle, même s’il implique des positions impopulaires. Les citoyens européens ont davantage le pouvoir d’agir qu’ailleurs. »
Les médias montrent souvent davantage les conflits que l’harmonie : comment les convaincre du contraire ?
A. J : « Les médias montrent aux gens ce que les gens veulent voir ! S’il y a un conflit dans un dialogue, c’est ce que les médias vont montrer. Si ce dialogue est ennuyant, ils ne le montreront pas. Mais si le travail des gens est créatif, alors les médias, en général, s’en font l’écho. »
Etes-vous optimiste quant à l’avenir du dialogue entre les cultures ?
A. J : « Oui je suis optimiste, parce que partout où je suis allée, j’ai vu que l’immense majorité des gens souhaite vivre dans la diversité. Trop souvent, c’est une petite minorité qui prend les autres en otage. Voilà pourquoi, lorsque les gouvernements et les faiseurs d’opinion publique établissent leurs stratégies, ils doivent donner la parole à l’immense majorité qui s’oppose à la violence, aux discriminations et aux persécutions religieuses. »
Qui est Asma Jahangir ?
Née en 1952 à Lahore, l'avocate pakistanaise Asma Jahangir s'est faite connaître pour sa défense infatigable des droits de l'homme et de la liberté religieuse dans son pays. Depuis 2004, elle poursuit son combat à l'échelle planétaire : elle est Rapporteur des Nations Unies pour la liberté de religion et de conviction.
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