Q: Faire reculer le paludisme a pour objectif de réaliser le sixième objectif du Millénaire pour le développement (OMD), consistant à réduire de 70% le nombre des décès dus au paludisme d'ici à 2015. Mais comment saurez-vous si vous y êtes parvenus, sachant que les données datant de 1990 sont de mauvaise qualité?
R: Ces données peuvent ne pas être fiables, mais elles existent tout de même et peuvent montrer les tendances de la morbidité et de la mortalité. De nombreux efforts sont faits pour améliorer la qualité des données et les mesures dans le domaine du paludisme, comme les travaux de l'équipe chargée du projet OMS sur la charge mondiale de morbidité. Ces travaux sont particulièrement importants pour l'OMD 4, visant à réduire la mortalité de l'enfant, le paludisme étant responsable d'environ 20% des décès d'enfants en Afrique. Les chiffres sur la mortalité des nourrissons et des moins de cinq ans mettent en évidence une baisse dans certaines parties de l'Afrique. Au niveau des pays, il y a de plus en plus d'indicateurs du paludisme qui sont intégrés dans les enquêtes démographiques et sanitaires. Nous avons déjà les résultats de la Zambie; huit pays au total font des enquêtes sur les indicateurs du paludisme et, dans un avenir proche, nous aurons des données encore plus fiables. Dans presque tous les pays affectés, il y a des études pour produire des données sur le paludisme, mais la qualité des données reste un problème.
Q: La prolifération des objectifs en matière de paludisme n'est-elle pas une source de confusion ?
R: On peut avoir cette impression à leur lecture, mais il y a en fait trois objectifs sur lesquels tous les partenaires sont d'accord. Ce sont les cibles d'Abuja pour 2005 et deux cibles du partenariat RBM pour 2010 et 2015, celui de 2015 correspondant aux cibles des OMD. L'objectif de 2005 était un but à moyen terme pour mesurer les progrès jusqu'en 2010.
Q: Il y a eu de nombreuses initiatives: la Conférence ministérielle d'Amsterdam sur le paludisme en 1992, la Conférence de Dakar en 1997, Abuja en 2000. Ces actions imposées d'en haut ont-elles un effet?
R: Rien ne peut avoir d'effet sans un engagement des communautés. Mais, en ce qui concerne ces réunions et ces actions, ce n'est pas cet aspect qui importe. Pendant de nombreuses années, le paludisme avait disparu des priorités internationales, notamment après les campagnes des années 50 qui ont échoué dans les pays africains, bien qu'elles aient réussi ailleurs. Ces initiatives sont un moyen de veiller à ce que la communauté internationale n'oublie pas le paludisme et s'attache à mettre le traitement et la prévention à la disposition de tous.
Q: Où les actions de lutte ont-elles porté leurs fruits ?
R: Dans le temps, l'Érythrée était l'un des rares exemples, mais maintenant, ces exemples se sont multipliés. Ces deux dernières années, l'Afrique du Sud, le Swaziland et une partie du Mozambique ont mis en œuvre toutes les stratégies pour lutter contre le paludisme et ont réussi à diminuer de 90% la mortalité et la morbidité. Nous avons également observé des baisses au Rwanda et en Zambie. Dans certains pays, le nombre des cas de paludisme a baissé de 60%, grâce à l'accès aux médicaments et aux moustiquaires imprégnées d'insecticide. Toutefois, une étude a montré que les moustiquaires distribuées pour les enfants de moins de cinq ans n'étaient pas toujours utilisées correctement.
Q: Au niveau des activités des partenaires, comment vous y prenez-vous, pour éviter les doublons ?
R: Lorsque nous avons commencé en 1998, il y avait quatre partenaires (l'OMS, l'UNICEF, le PNUD et la Banque mondiale). Aujourd'hui, le partenariat RBM en regroupe des centaines, organisations non gouvernementales, secteur privé, pays donateurs, universités, fondations, ce qui donne à votre question encore plus d'importance aujourd'hui. Notre partenariat a pour rôle de coordonner les efforts. Nous avons des groupes de travail qui opèrent sur la base du consensus et visent à l'extension de la lutte antipaludique et nous avons, dans les quatre régions de l'Afrique, des réseaux sous-régionaux qui réunissent les pays et les partenaires pour échanger les meilleures pratiques et renforcer mutuellement leurs activités. Nous avons un Conseil puissant, incluant les principaux acteurs avec une représentation au plus haut niveau. Le site web du partenariat RBM et ses alertes permettent à nos partenaires de se tenir au courant des informations les plus récentes. Nous sommes arrivés à maturité et ces structures nous aident à travailler plus efficacement.
Q: On consacre des sommes énormes à la prévention et à la lutte contre le paludisme; comment veillez-vous à ce qu'il n'y ait pas de gaspillage?
R: L'affectation récente de 42% des subventions du Fonds mondial [de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme] dans la septième série d'appels à propositions, est en grande partie due à l'aide énorme apportée par notre partenariat aux pays pour qu'ils produisent des propositions fructueuses. Maintenant, nous devons tous veiller à ce que cet argent soit dépensé comme il se doit et en temps voulu. Le Fonds mondial se base sur les résultats: si vous n'utilisez pas correctement l'argent dans la première phase, vous ne recevez plus rien ensuite. La Sierra Leone par exemple n'a pas pu passer à la seconde phase et il est arrivé une fois au Sénégal de perdre les fonds. Ce sont deux exemples sur une centaine de pays qui montrent que, globalement, l'argent est bien dépensé.
Q: On a beaucoup critiqué le fait que des célébrités défendent des causes dans le domaine de la santé. Qu'ont apporté les ambassadeurs de bonne volonté au partenariat ?
R: Nous avons beaucoup réfléchi avant de prendre des ambassadeurs de bonne volonté pour une période de deux ans. Le concert live de Youssou N'Dour à Dakar a été retransmis dans le monde entier par des chaînes de télévision nationales et internationales. Il ne s'est pas contenté de faire de la musique: il a aussi expliqué ce qu'était le paludisme de sorte que, du point de vue du plaidoyer, nous avons obtenu un résultat immense en une seule journée. Yvonne Chaka se consacre à l'Afrique. Elle ne se contente pas de faire un spectacle; elle soutient la lutte antipaludique. Nous avons une autre ambassadrice de bonne volonté, notre envoyée spéciale, la princesse Astrid de Belgique. Le message est beaucoup mieux entendu si c'est une célébrité qui l'exprime plutôt que l'un d'entre nous.
Q: La plupart des victimes du paludisme ont moins de cinq ans. Pourquoi n'y a-t-il pas de médicaments pédiatriques ?
R: Les formes pédiatriques des médicaments antipaludiques ont manqué, mais la situation est en train d'évoluer. Sanofi-Aventis et l'Initiative sur les Médicaments pour les maladies négligées ont produit une association médicamenteuse pour les enfants. Elle est disponible dans plusieurs pays d'Afrique et le système de présélection étendra encore sa disponibilité. Par ailleurs, l'Opération médicaments antipaludiques collabore avec Novartis sur une forme pédiatrique qui sera prête à être mise sur le marché dans les prochains mois.
Q: Les associations médicamenteuses comportant de l'artémisinine (ACT) sont maintenant disponibles à prix réduit dans les pays en développement. Pourquoi ces médicaments subventionnés sont-ils toujours aussi peu accessibles dans le secteur public en Afrique ?
R : Entre 60 et 70% des gens achètent ces médicaments dans le secteur privé ou non officiel, le reste de la population allant dans les hôpitaux publics. Dans le secteur privé, presque tout le monde achète des médicaments moins chers mais inefficaces, comme la chloroquine ou les monothérapies à l'artémisinine et seuls 2% achètent des ACT. C'est une catastrophe. C'est la raison pour laquelle nous avons travaillé sur la proposition de subvention internationale des ACT, qui a été faite par Kenneth Arrow, lauréat du Prix Nobel et, dans le courant de l'année, un dispositif mondial va être créé, comme celui pour la tuberculose. L'idée, c'est que les ACT soient vendues au même prix que la chloroquine, voire à un prix inférieur, de façon à ce que les gens les achètent. Le Fonds mondial est bien placé pour héberger et gérer ce dispositif qui est actuellement à l'étude.
Q: Plus on délivre des ACT, plus le risque de résistances augmente. En a-t-on déjà observées ?
R: Il y a toujours un risque de résistances et c'est la raison pour laquelle l'OMS exclut les monothérapies [traitement par un seul médicament]. Elle a joué un rôle fondamental pour fixer les normes de délivrance des traitements afin d'éviter les résistances. Ces normes prévoient entre autres le recours à des associations médicamenteuses qui diminuent le risque de résistance. Récemment, un laboratoire a mis en évidence un début de résistance aux ACT au Cambodge. La recherche-développement se poursuit et de nouveaux médicaments sont dans les filières.
Q : En Afrique, des voies puissantes se sont élevées pour réclamé une approche non curative et non prophylactique, axée sur la lutte antivectorielle, comme les pulvérisations de DDT (dichloro-diphényl-trichloroéthane). Est-ce une option viable ?
R: La plupart réclament à la fois le traitement et la prévention, dont fait partie la lutte antivectorielle. Certains font pression pour la prévention uniquement, parce qu'ils pensent que c'est elle qui a permis aux pays du nord de se débarrasser du paludisme. Il existe aujourd'hui une douzaine d'insecticides, mais certains pays préfèrent le DDT parce qu'il est moins cher, qu'il dure plus longtemps et qu'il est légèrement plus efficace. Le problème vient du fait qu'on ne peut pas le rejeter dans l'environnement. Les insecticides ne doivent être utilisés que dans les maisons, par des personnes qui ont reçu une formation et en suivant toutes les recommandations de la Convention de Stockholm sur l'usage du DDT en santé publique.
Q: L'un des candidats à la présidence des États-Unis a promis d'investir un milliard de dollars par an dans le traitement et la prévention pour mettre fin à la mortalité due au paludisme en Afrique d'ici huit ans. Cela suffira-t-il?
R: Nous nous félicitons de cette annonce et nous espérons que tous les candidats prendront le même engagement. L'idée de faire disparaître la mortalité due au paludisme dans ce laps de temps peut sembler ambitieuse, mais on considère que l'éradication est un objectif à long terme. Je ne pense pas que nous y arriverons dans les dix prochaines années et nous pourrions avoir besoin de nouveaux outils: des médicaments, des insecticides, des moustiquaires et un vaccin. Nous disposons pour l'instant d'un milliard par an, mais il nous faut trois milliards pour éliminer le paludisme des menaces pesant sur la santé publique.
Biographie:
Le Dr Awa Marie Coll-Seck a obtenu son diplôme de docteur en médecine en 1978 à l'Université de Dakar, au Sénégal, et a travaillé pendant près de vingt ans comme spécialiste des maladies infectieuses dans des hôpitaux de pointe de ce pays et en France. En 1989, elle a été nommée professeur de médecine à l'Université de Dakar et chef de service pour les maladies infectieuses à l'hôpital universitaire de Dakar. De 1996 à 2001 elle a été directrice du département Politique, stratégie et recherche au Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) à Genève, puis elle a été Ministre de la Santé du Sénégal de 2001 à 2003. En 2004, elle a été nommée Directeur exécutif du partenariat Faire reculer le paludisme (RBM).