Monsieur Salih, le Parlement européen vous a attribué le Prix Sakharov 2007 pour votre engagement en faveur des droits de l’homme et de la justice au Darfour. En quoi ce Prix peut-il vous aider dans votre lutte contre l’impunité ?
- « Je suis très heureux que par ce Prix, notre travail -à nous, défenseurs des droits de l’homme au Soudan et en particulier au Darfour- soit reconnu. Nous travaillons dans un environnement hostile, avec le danger perpétuel d’être intimidés, arrêtés, détenus, torturés…Malgré cela, je pense que c’est une question de responsabilité éthique et morale que de défendre les peuples.
La souffrance humaine est réelle au Darfour. En tant qu’avocat, j'affirme que ce qui s’y passe est un génocide. Plus de 400 000 personnes sont mortes et plus de 2000 villages détruits. Le viol est utilisé comme arme de guerre : de très jeunes filles, parfois âgés de 8 ans seulement, en sont victimes. De nombreux viols se produisent sous les yeux des hommes de la famille, pour les humilier.
Malgré le droit humanitaire international et ces violations des droits fondamentaux, la justice ne s’applique pas. Il y a une atmosphère d’impunité totale ; tous les criminels sont hors de portée de la justice. Nous parlons d’impunité parce que notre système judiciaire est incompétent et réticent à rendre la justice. »
Le Soudan est toujours en proie à la violence : quelles sont, selon vous, les clés de la paix et de la réconciliation, en particulier au Darfour ?
- « Il n’y aura pas de paix au Darfour et au Soudan s’il n’y a pas de justice. La justice est un élément basique et essentiel à la paix, qui ne peut pas être compromis pour des raisons politiques.
Dans le sud du Soudan, (ndlr : depuis le début de la seconde guerre civile en 1983) plus de deux millions de personnes ont été assassinées et quatre millions déplacées. On ne rend pas la justice pour se venger, mais pour instaurer une paix durable et rendre possible la réconciliation. La nature des atrocités commises ne permettra jamais aux victimes et aux survivants d’oublier leurs souffrances : voilà pourquoi la justice est si importante. »
La communauté internationale semble s’être réveillée après un long silence. Que peut faire l’Europe pour le Darfour ?
- « Pour beaucoup de victimes et de survivants, la réaction de la communauté internationale a été trop lente. De nombreuses résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU n’ont jamais été appliquées efficacement. Mais c’est aussi grâce à la communauté internationale -l’Europe, les Etats-Unis, le Canada- que plus de 5 millions de personnes sont encore en vie aujourd’hui, par l’assistance humanitaire.
Les Européens ont apporté de l’aide aux victimes pour les maintenir en vie, mais cela n’est pas suffisant. Ils doivent réfléchir aux moyens de protéger ces populations qui périssent chaque jour et aider les innocents à rentrer chez eux dans la dignité et la sécurité. C’est inacceptable de laisser des gens dans des camps pendant plus de quatre ans, comme c’est le cas. Nous souhaiterions que l'Europe montre plus de soutien encore, par exemple en organisant des rallyes de solidarité, comme c'est le cas aux Etats-Unis.
L’Europe doit exercer une pression sur le gouvernement soudanais pour le déploiement d’une force hybride. J’en appelle à la responsabilité morale, éthique et légale des dirigeants européens : ils doivent aider à protéger les vies et empêcher le gouvernement de détruire nos communautés. »
En quoi le Prix Sakharov pourra-il vous aider dans votre travail ?
« C’est un immense honneur de recevoir le même Prix que Nelson Mandela, une légende que j’espère rencontrer un jour. C’est incroyable que le Parlement européen ait décidé, après lui, de m’offrir ce Prix. Le fait que d’autres gens sachent ce que j’ai fait me remplit de courage et de détermination. Les gens ont commencé à réaliser que ce Prix n’est pas seulement pour moi, mais aussi pour le Darfour, le Soudan et l’Afrique. »
En savoir plus :
Animation flash sur Salih Mahmoud Osman
Dossier complet sur le Prix Sakharov 2007
Dossier "Darfour : Desmond Tutu et Jody Williams débattent avec les députés européens"
Entretien vidéo avec Salih Mahmoud Osman (en anglais)
Entretien audio avec Salih Mahmoud Osman (en anglais)