Les cinq jours de débats de ce "Davos à New York" ont mis en évidence le pessimisme des chefs d'entreprise et de fortes divergences sur l'analyse de l'économie mondiale. L'administration américaine a heurté bon nombre de pays.
En choisissant d'exporter à New York sa réunion annuelle 2002, délaissant ainsi, à titre exceptionnel, son site historique de Davos, en Suisse, les organisateurs du Forum économique mondial s'étaient assigné deux objectifs : se ranger aux côtés de l'Amérique en participant à l'élan de solidarité internationale qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001 ; et entrevoir les changements – économiques, politiques, sociologiques et culturels – qui allaient s'opérer dans un environnement perturbé par la contestation antiglobalisation et fragilisé par les à-côtés de la lutte contre le terrorisme.
En se séparant, mardi 5 février, les quelque 3 000 participants, parmi lesquels 1 100 chefs de grandes entreprises, avaient le sentiment de repartir avec davantage de questions que de réponses sur ces "temps fragiles" dont Klaus Schwab, le président-fondateur du Forum, avait fait le thème central de cette grand-messe annuelle.
L'un de ses quatre adjoints, l'ancien ambassadeur du Costa Rica, José Maria Figueres, avait pourtant balisé la voie à emprunter. "Le Forum économique mondial renouvelle son engagement à traiter des questions de développement par le biais de solutions propres à l'économie de marché. Nous considérons qu'il s'agit là du moyen de parvenir à un “cercle vertueux” de meilleure interaction entre le monde des affaires et les autres acteurs de la société", avait-il expliqué en préambule.
Le problème est que, même dans un domaine devenu bien peu passionnel, celui de la conjoncture économique mondiale, deux camps se sont clairement affrontés, avec des lignes de partage apparues là où on ne les attendait pas.
Venue en force au Forum, la délégation économique américaine, conduite par le secrétaire au Trésor, Paul O'Neill, son adjoint, Kenneth Dam, et le président de la Chambre de commerce américaine, Thomas Donahue, était unanime à considérer que le pays était sorti d'affaire et qu'il allait rebondir de plus belle. Plus prudents, les Européens qui, au cours d'un débat, se sont exprimés par la voix de Laurent Fabius, ministre de l'économie, et de son homologue allemand aux finances, Hans Eichel, se sont contentés d'espérer "une reprise aussi synchronisée que le ralentissement économique mondial".
De façon surprenante, c'est du côté des chefs d'entreprise, toutes nationalités confondues, qu'est venu un sentiment général de morosité sur les perspectives à court terme, aussitôt récusé par Paul O'Neill. "Si vous voulez parler à des gens qui ont une vue négative sur les choses, adressez-vous à des chefs d'entreprise", a lancé le secrétaire au Trésor. "Ils sont surtout préoccupés par tout ce qui pourrait pénaliser leurs propres affaires." De son côté, dans un tout autre registre, celui de la politique extérieure, le secrétaire d'Etat, Colin Powell, a surpris son auditoire en déclarant que les Américains étaient prêts à mettre en place leurs propres solutions aux problèmes du moment, quitte à mécontenter certains de leurs alliés. C'est ainsi qu'ils "continueront à s'attaquer au terrorisme, même si cela doit menacer la liberté d'hommes et de femmes".
ABSENCE DE VISION COMMUNE
Ces propos prononcés en public n'ont, de toute évidence, pas recueilli l'assentiment des autres personnalités partie prenante à la discussion, notamment le ministre français des affaires étrangères, Hubert Védrine, le secrétaire général de l'OTAN, Lord Robertson, et le "Monsieur Politique étrangère et sécurité commune" (PESC) européenne, Javier Solana… La même absence de vision commune, voire une franche divergence, est apparue à propos du problème de la dette des pays pauvres et du commerce international, deux domaines où l'affrontement était beaucoup plus protéiforme qu'un simple contentieux transatlantique.
A l'ancien président mexicain Ernesto Zedillo qui évoquait "la fatigue que ressentent beaucoup de gens quand on parle d'aide" aux pays pauvres, en raison de sa relative inefficacité, d'autres intervenants ont fait valoir que la revendication dominante des nations en développement était maintenant "l'exigence de l'accès aux marchés" des pays riches, bien plus qu'une simple politique d'assistance dont ils admettent eux-mêmes les dérives.
Sur ce chapitre, le Thaïlandais Supachai Panitchpakdi, qui doit prendre dans quelques mois la relève de Mike Moore à la direction générale de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), a vivement critiqué la politique de subventions pratiquée par les pays occidentaux.
"Les subsides à l'agriculture consentis par les pays membres de l'OCDE représentent l'équivalent de 360 milliards de dollars par an, soit un milliard par jour. Il suffirait que cessent ces subventions pendant dix jours pour que nous recueillions l'argent dont a besoin Kofi Annan [secrétaire général de l'ONU] pour créer le fonds destiné à financer la lutte contre le sida", a-t-il déclaré. Autre mal, autre défi, bien éloigné celui-là du "11 septembre" et sur lequel les congressistes du Forum économique Davos-New York n'avaient pas davantage de remèdes à apporter.
Edition du 5 février 2002
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