Excellences, Mesdames, Messieurs, distingués invités,
Permettez-moi d'exprimer l'honneur et la satisfaction que représente pour moi votre participation si nombreuse à cette conférence. Cela témoigne de l'intérêt réel qui est porté au sujet de ce jour, à savoir le dialogue et la coopération entre l'Afrique, la Chine et l'Union européenne.
Je voudrais le dire d'emblée pour que les choses soient claires et sans ambiguïté: le destin de l'Afrique appartient aux Africains et à nul autre. Les nations du continent africain dont je salue ici les nombreux représentants, ont pris ce destin en main. Elles construisent patiemment et résolument une Afrique nouvelle. Elles ont mis en place une stratégie africaine pour le développement – le NEPAD. L'Union Africaine, dont le Sommet s'ouvrira dans quelques jours à Accra, est devenue l'expression la plus tangible de cette nouvelle réalité africaine. L'Afrique vit à l'heure de l'économe monde et de la globalisation. Elle affirme sa dimension internationale et globale. Elle se mobilise sur les grands thèmes globaux (changement climatique ; énergie...). Elle a tissé un vaste réseau de partenariat à travers le monde avec la volonté ferme de refonder ses relations. Ceci implique de la part de ses partenaires adoptent enfin une attitude moderne, confiante et loyale. Il faut sortir de l'approche caritative ou paternaliste.
Cette nouvelle approche, je crois que l'Union européenne et la Chine sont prêts et désireux de la mettre en ouvre. Nous sommes tous deux des partenaires majeurs de l'Afrique. Au sommet UE-Chine de l'année dernière, nous avons commencé un dialogue sur la paix, la stabilité et le développement durable de l'Afrique. Nos amis africains doivent jouer un rôle moteur dans ce dialogue. Ceci explique la démarche trilatérale qui caractérise cette conférence.
L'Afrique a tout à bénéficier d'un engagement à ses côtés de l'UE et de la Chine basé sur une plus grande coopération !
Vous me direz, un ménage à trois, ce n'est pas évident. Mais étant optimiste de nature, je veux défaire les préjugés et convaincre les sceptiques. Je voudrais notamment rejeter le barrage de critiques que certains en Occident érigent face à la montée du rôle de la Chine en Afrique. Je voudrais développer devant vous quelques réflexions à ce sujet.
Tout d'abord, les besoins de l'Afrique sont si énormes que tous les acteurs qui contribuent au développement de ce continent sont les bienvenus! Je me réjouis donc de l'engagement de la Chine en Afrique. Ce faisant, la Chine répond d'ailleurs aux demandes de l'Union européenne de prendre des responsabilités face aux défis mondiaux dont le développement soutenable est un des premiers et des plus difficiles.
Le titre du document stratégique de la Commission sur les relations avec la Chine, adoptée en octobre dernier, "Un partenariat renforcé, des responsabilités accrues" résume bien à mon sens, le sens de notre relation au sujet de l'Afrique. Nous sommes concurrents, mais nous sommes aussi partenaires et l'Afrique doit bénéficier d'une relation renforcée entre nous, et non en pâtir.
D'ailleurs l'UE et la Chine ont des points communs fondamentaux dans leur relation à l'Afrique : ce sont deux acteurs qui rejettent l'afro-pessimisme et qui ont compris peut-être plus que les autres, le grand potentiel de l'Afrique. UE et Chine sont également parmi les plus grands partenaires commerciaux et investisseurs en Afrique, respectivement au 1er et 3ème rang mondial. Cette réalité appelle plus de partenariat entre nous.
La Chine grâce à ses propres expériences de développement et grâce à une cohérence de ses politiques, peut apporter beaucoup à l'Afrique. C'est cette Chine, jadis un pays synonyme de famine et de pauvreté, qui par un processus de développement propre a tiré 400 millions de ses habitants de la pauvreté absolue. Aucun pays n'a fait de tels progrès vers les Objectifs du Millénaire. La Chine n'a pas accompli ceci du jour au lendemain. Ce n'est pas un miracle non plus. C'est un succès dû au travail ardu des Chinois, à la conscience que l'éducation, la formation et la maîtrise de la croissance de la population sont des facteurs clés d'une croissance économique soutenue. La Chine a profité de la mondialisation et de l'ouverture. Bien sûr, la Chine est confrontée à ses propres défis en termes de déchirure sociale, d'urbanisation et de pollution. Le gouvernement est pleinement conscient qu'il a intérêt à mettre en œuvre une stratégie de développement soutenable pour continuer sur le chemin de la croissance et la prospérité.
Permettez-moi d'emprunter une citation à l'architecte de la modernisation chinoise Deng Xiaoping : "nous devons traverser le fleuve en gardant pied". C'est la clé du développement : et il en va pour la Chine comme pour l'Afrique. Et la Chine peut aider l'Afrique à garder pied.
Ainsi, la Chine a eu un impact considérable sur la croissance économique de l'Afrique qui se situe dans les 6% en moyenne depuis quelques années. "L'effet Chine" compte pour deux points de ce pourcentage, directement, grâce à ses activités de coopération économique ou indirectement grâce à l'envolée des prix de matières premières et produits agricoles ou halieutiques dont la Chine est devenu le premier acheteur mondial.
Mais la Chine a aussi rejoint la communauté internationale qui s'est engagée à œuvrer pour les Objectifs du Millénaire pour le Développement, comme l'a annoncé le Président Hu Jintao lors du sommet des 6O ans des Nations Unies.
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Ceci dit, il est aussi important de reconnaître que l'engagement de la Chine soulève des questions et parfois des inquiétudes en Afrique même. Il est clair que la Chine poursuit en Afrique ses intérêts économiques, diplomatiques et stratégiques. Mais ceci est tout à fait légitime et ne peut être en soi sujet à critiques. L'important est de poursuivre des approches "gagnant-gagnant".
Je ne donnerais certainement pas de leçon de morale à nos amis chinois car la philosophie et la stratégie de l'Europe à l'égard de l'Afrique a été longtemps caractérisée par une relation asymétrique donateur-bénéficiaire doublée d'une fausse bonne conscience idéologique ainsi que d'une vision unilatérale de nos intérêts. Cette vision archaïque, irréaliste, a été terriblement préjudiciable. Cette page doit être tournée au profit d'une nouvelle conception du partenariat, entre partenaires égaux en droits et en devoirs, qui s'appuie sur des paramètres tels que le développement durable, l'appropriation, la bonne gouvernance économique, fiscale et sociale, les transferts technologiques particulièrement dans l'information et la communication, pour n'en citer que quelques uns.
C'est sur cette base là, souhaitée et voulue par nos partenaires africains que nous devons réfléchir et travailler ensemble, Européens et Chinois. Nous pouvons ensemble échanger nos expériences, féconder mutuellement nos approches. Nous pouvons ensemble promouvoir des initiatives de commerce responsable telles qu le Forest Law and Environment Governance ou encore le Extractive Industries Transparency Initiative et beaucoup d'autres. Nous pouvons travailler à ce que nos entreprises acceptent plus de responsabilité sociale et environnementale, et renforcent davantage leur partenariat avec des entreprises locales.
Cette coopération entre nous peut également s'étendre de manière bénéfique à notre approche du développement. Je suis bien conscient qu'un certain nombre de règles internationales et de pratiques dans la gestion de l'aide ont déjà été développées, souvent sans que la Chine n'y ait été invité ou ait pris part dans leur formulation. C'est à cela que nous devons remédier si nous voulons que la concurrence soit harmonieuse et contribue au développement de l'Afrique d'une manière durable. Pour ma part je ne suis pas d'avis que l'on puisse exiger de la Chine qu'elle se plie à des règles, sans en discuter d'abord avec elle. Bien entendu, ce n'est dans l'intérêt de personne que la Chine fasse cavalier seul. Ces règles-là n'ont bien évidemment pas été conçues pour écarter la Chine, mais dans un souci d'améliorer les conditions de développement.
Les inquiétudes existantes se fondent aussi en grande partie sur une méconnaissance de la nature de l'engagement chinois ou une absence d'informations. Une certaine confusion existe sur ce qui est de l'aide au développement et l'engagement commercial qui a certes un effet positif sur le développement, mais qui n'a pas pour objectif principal de combattre la pauvreté. Là aussi, il me paraît être dans notre intérêt réciproque de dissiper les inquiétudes et les suspicions. En renforçant notre dialogue et notre compréhension mutuelle, nous pouvons travailler à renforcer la synergie de nos actions respectives et ainsi améliorer la division du travail entre donateurs et partenaires de l'Afrique. Il y a des domaines comme par exemple les infrastructures ou le secteur de la santé, où notre coopération pourrait être aisément renforcée au bénéfice de l'Afrique.
Nous souhaiterions, par ailleurs, discuter avec la Chine et nos partenaires d'Afrique comment les Africains, les Européens et le cas échéant les institutions internationales ou les initiatives existantes peuvent utilement coopérer et améliorer l'efficacité et la qualité de l'aide au développement. Il me paraît primordial que la concurrence qui existe parfois entre nous ne soit pas une concurrence qui se fasse au détriment des pays et des citoyens des Etats africains, mais bien au contraire, qu'elle soit profitable à tout le monde, aux Africains en premier lieu, mais aussi j'ose le dire, à chacun de nous. C'est le sens de l'approche "gagnant-gagnant".
Donc, il faut se rencontrer plus souvent. Il faut évaluer ensemble sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. Nous nous retrouvons ici aujourd'hui pour mieux comprendre nos différences, nos points communs, nos idées, nos objectifs, nos expériences. Tout ceci nous enrichira, nous rendra plus forts et nous aidera à explorer des nouvelles voies.
Le but principal de cette conférence est de jeter des ponts entre nous, d'explorer des pistes pour coopérer. Cette coopération s'inscrit dans un cadre de référence: les Objectifs du Millénaire qui fixent nos objectifs communs. Mais mon ambition c'est aussi d'aller au-delà. Ce dont nous avons besoin, ce dont nos partenaires ont besoin, c'est d'une coopération active et concrète. Il y a le temps de la réflexion, de la conception et de l'action. Je souhaite que nous allions au bout de ce processus.
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Une chose est certaine, nous aspirons tous à un monde plus prospère, plus sûr, plus juste, moins pollué et plus vivable, bref un monde harmonieux pour reprendre un adjectif cher à nos amis chinois. Je suis sûr que c'est dans cet esprit que vous mènerez vos travaux aujourd'hui afin d'identifier des idées concrètes sur lesquelles nous pouvons travailler ensemble. Je suis convaincu que nous saurons ensemble trouver un cadre commun pour notre coopération trilatérale.
Je compte m'appuyer sur les résultats de vos discussions pour poursuivre et amplifier le dialogue avec les autorités chinoises lors de ma mission à Pékin dans deux semaines.
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Je vous souhaite des discussions fructueuses et enrichissantes et vous remercie pour votre présence et votre engagement.
Merci beaucoup pour votre attention.