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Date :  2007-04-28
Language :  French
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La Convention sur la diversité culturelle reste à mettre en œuvre!
4 tâches prioritaires pour la société civile


Concernant l’état présent du processus de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’Unesco (1) et le rôle que la société civile devrait assumer à son égard, je me livrerais à quelques « considérations inactuelles » (Nietzsche), intempestives (bis) et, somme toute : désagréables.

Je débuterai donc en résumant mon point de vue par quatre concepts, qui me semblent susceptibles de se révéler aussi décisifs qu’organisateurs. Ces quatre concepts sont : i) invention ; ii) mobilisation ; iii) évaluation, et iv) contrôle. Mais, qu’est-ce à dire ?


1. Invention :

Premier point : certes, cette convention « existe » — mais il reste à l’inventer !
En termes nietzschéens, mais aussi bien freudiens : elle doit « devenir ce qu’elle est ». Autrement dit : il s’agit de passer d’un texte consensuel — aimable et œcuménique — à un projet dynamique. Or, cela est loin d’être accompli, et moins encore : gagné ! C’est pourquoi la société civile a un rôle crucial à jouer sur ce point. En effet, le laisser-faire chronique des Etats et du système multilatéral menace de stérilité la Convention, si celle-ci ne continue pas d’être promue avec obstination, par la société civile, en particulier, et si elle ne commence pas d’être mise en œuvre énergiquement par ceux qui l’ont ratifiée. De fait, même si la société civile n’est pas une « partie » à la Convention (sur un plan strictement juridique), elle doit donner substance à sa mise en acte, à sa traduction sur le terrain instable des politiques culturelles, éducatives et sociales. La société civile se doit de pratiquer i) une « auto-saisine » et ii) une saisine des parties officielles (2) sur tous les sujets justifiant un recours à la Convention. La société civile doit aussi susciter la création d’outils (d’information, d’explication, d’utilisation) de la Convention, ainsi que leur diffusion par tous moyens. Elle doit contribuer à la création de modules d’enseignement et de formation en la matière (3). Elle doit, enfin, contribuer à la « création de sens » en faveur de cette Convention qui apparaît souvent, à tort ou à raison, comme un nième geste bureaucratique dépourvu d’effectivité (de Wirklichkeit).

En quelque sorte, la société civile doit inventer à la fois i) un partage de cette Convention sur le fond, sur sa légitimité, sur ses finalités, plutôt que sur sa forme, et ii) une mise en œuvre beaucoup plus audacieuse et créative que ne la pratiqueront les parties qui l’ont ratifiée.


2. Mobilisation :

Concernant cet autre point clé, malgré tous les réseaux existants de longue date et leur bon fonctionnement (Coalitions pour la diversité culturelle, RIDC, RIPC, etc.), et à l’opposé du sentiment commun, la messe n’est pas dite !
De fait, non seulement il faut pousser les « retardataires » à ratifier vite, massivement et complètement, en levant les obstacles nationaux qui ne manquent nulle part (4), mais encore ne pas souscrire à la rhétorique usée d’un agenda diplomatique « forcément long » pour un tel instrument juridique, que l’on nous demande, en l’espèce, de considérer comme « très court » et ne pouvant être encore accéléré…

Ensuite, il faut contribuer à mobiliser plus largement des acteurs à ce jour insuffisamment présents dans le processus de mise en œuvre de la Convention, à savoir : i) « les régions », dans tous les sens politiques et administratifs du terme (5) ; ii) la communauté académique et scientifique, qui se méfie par principe de ce type d’accords internationaux, et iii) les syndicats, qui, en dehors des syndicats professionnels spécialisés (du secteur audiovisuel, en particulier), ont été insuffisamment sensibilisés aux enjeux et aux objectifs de la Convention.

Enfin, la mobilisation doit prendre d’autres formes que les grand-messes aux quatre coins du monde faisant de l’apologie de la diversité culturelle la fin de toutes choses... Elle doit centrer ses efforts (en complément de ce qui a été déjà dit plus haut de « l’invention » en ce domaine) sur la diffusion des outils pédagogiques (6), la multiplication des filières d’enseignement et des formations spécifiques en matière de diversité des expressions culturelles. Et cette mobilisation doit être menée conjointement par des acteurs de la société civile, des Universités et de la formation professionnelle.


3. Evaluation :

Ce mot fait habituellement peur, parce qu’il renvoie à une bureaucratisation du monde (et de l’Union européenne, en particulier) dont nous avons souffert et souffrons tous, peu ou prou. Et cependant…

Comme il ne faut pas attendre des parties à la Convention qu’elles (s’)évaluent elles-mêmes, ni que l’Unesco le fasse (7), il y a au moins à faire reconnaître que la société civile et la communauté académique ont quelque légitimité à concevoir et à réaliser au long cours une telle évaluation… Ce, d’autant plus que, si elles ne le font pas, il est assez clair que « les ennemis de la Convention » — qui ne manquent pas d’une certaine puissance de feu, même s’ils n’ont pas le nombre avec eux — n’hésiteront pas à lever des commandos de consultants privés et naturellement « indépendants », prêts à élaborer les diagnostics les plus improbables en matière de diversité culturelle (8)…

Donc, la société civile doit être non seulement l’aiguillon de la Convention et de son évaluation, mais aussi son principal vecteur. Quelles que soient les formes elles-mêmes diverses et plurielles que prendra ce processus organisé d’évaluation, la société civile doit être à la fois son lieu de collecte de données, d’archivage, d’inventaire, de comparaison, de validation, ainsi que de diagnostic transdisciplinaire et contradictoire.

Faut-il parler à ce stade de mutualisation des moyens et méthodes d’évaluation, d’une structure de coordination transnationale et transdisciplinaire pour tout ce qui concerne(rait) un tel processus ? En toute hypothèse, il devra s’agir : a) d’une dynamique et d’outils non bureaucratiques ; et b) d’une capacité – là aussi — d’invention soutenue et soutenable (9).
Bref, l’évaluation de la mise en œuvre de la Convention peut être à la fois conçu comme ce qui manque a priori et ce qui ne doit surtout pas manquer a posteriori.


4. Contrôle :

Même appliqué à la diversité des expressions culturelles, à la mise en œuvre de la Convention qui la concerne, le « contrôle » apparaît d’abord comme un autre concept déplaisant et peu populaire, en ce qu’il semble toujours renvoyer à une « police »…Mais il est légitime d’estimer que le contrôle dont il est question ne sera pas effectué sérieusement si la société civile, en partenariat étroit avec la communauté académique, ne s’y consacre pas avec un volontarisme certain.

Pourquoi ? Parce que les Etats et les institutions multilatérales cherchent par principe et tradition le consensus, et qu’en matière de diversité culturelle, plus encore que dans le domaine de l’environnement, celui-ci ne peut être que mou et dangereux. Parce que les sujets concernés touchent aux
« identités » ou « intégrités » nationales, dont on connaît la médiocrité du concept, et la dangerosité.

C’est aussi pourquoi le contrôle que la société civile doit exiger se situe à l’opposé de tout consensus a priori : il se veut proactif et nullement limitatif. Il ne s’agira pas d’un nouveau « contrôle de police »… mais bien d’un contrôle du maintien en vie, de la vitalité et du dynamisme de la Convention Unesco, de son effectivité, de son rôle, de sa pertinence et, finalement : de son utilité !

Intimement chevillée à la démarche d’évaluation précédente, la démarche de contrôle mettra en demeure les Etats membres et tous les autres acteurs en charge de satisfaire à leurs devoirs et d’assumer leurs responsabilités en matière de diversité culturelle. C’est ainsi un contrôle qui dynamisera le processus de la Convention, qui approfondira et élargira son sens.


5. Conclusion :

Invention, Mobilisation, Evaluation, Contrôle : ces quatre impératifs ne forgent pas un slogan facile, une recette de cuisine… Ils sont, au contraire, les quatre piliers nécessaires pour que l’édifice complexe et fragile de la Convention Unesco ne s’écroule pas aussitôt après avoir été construit et « ratifié ».

La preuve même de l’utilité des quatre missions concernées, c’est que fort peu s’en soucient vraiment aujourd’hui :

i) l’invention ne paraît pas ou plus d’actualité, puisque l’on a obtenu un texte assez largement consensuel, et dont il ne resterait plus qu’à s’accommoder;
ii) la mobilisation est passée de mode, puisqu’elle est supposée avoir déjà porté ses fruits !
iii) l’évaluation est mal perçue, aussi bien par les chargés de projet qui souffrent au quotidien des contraintes infligées (par les « bailleurs de fonds »), que par les gouvernements, qui ne veulent surtout pas être évalués par des tiers ;
iv) le contrôle est non seulement suspect a priori, mais aussi forcément perçu comme intrusion, immixtion, contrainte excessive.

Or, cependant, ce sont précisément ces tâches-là que la société civile doit assumer hic et nunc, et ce pour au moins trois raisons assez claires :

v) la première raison est que personne d’autre ne le fera… ;
vi) la deuxième est que si elles ne sont pas assumées, et malgré sa ratification, la Convention Unesco deviendra rapidement « nulle et non avenue » ;
vii) la troisième est, au contraire, que si elles se trouvent véritablement assumées, la Convention est susceptible de porter ses fruits et d’accomplir les promesses (certes excessives, mais considérables) dont elle a été investie.

Enfin, et plus que tout, elles ont pour dénominateur commun, ces tâches, de ne pas considérer la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles comme une conquête et une réalisation irréversibles, mais bien comme une dynamique et un projet qui restent à forger et à porter beaucoup plus loin encore.



Notes :

(1) Instrument juridique international, dont : i) l’importance à venir est formulée par la Conférence générale de l’Unesco dès la Déclaration universelle du 2 novembre 2001 ; ii) le processus de négociation d’un projet de texte est lancé par la Conférence générale suivante au mois d’octobre 2003 ; iii) le texte définitif est adopté par la Conférence générale d’octobre 2005 ; enfin, dont iv) l’entrée en vigueur est effective depuis le 18 mars 2007, soit trois mois après que le seuil d’un minimum de 30 ratifications par des membres de l’Unesco ait été atteint.
(2) C’est-à-dire les Etats membres de l’Unesco, ainsi que les organisations d’intégration économique ayant ratifié la Convention.
(3) Comme, par exemple, le « Master en diversité culturelle » initié dès l’année 2004 par l’Universidad Tres de Febrero de Buenos Aires. Mais aussi comme les outils développés par le GERM pour permettre une meilleure appropriation des enjeux de la diversité culturelle en général, et des projets consécutifs de la Déclaration de 2001 comme de la Convention de 2005, en particulier. Cf. à cet égard : i) le site Web www.mondialisations.org, sa rubrique Diversité culturelle, riche de plus de 1300 documents ; ii) le documentaire disponible sur DVD «Danser la musique de l’Autre» (26’, quadrilingue), ou iii) le cédérom « Le Son de la diversité » (trilingue, 73’), conçus et mis à disposition gratuitement par le GERM.
(4) Obstacles levés tantôt à la « Chambre haute », tantôt à la « Chambre basse » de tel et tel pays, en fonction de l’Histoire et du droit nationaux… sans omettre bien sûr les enjeux économiques et les accords de libre-échange signés dans la période récente, par exemple par des Etats d’Amérique centrale, le Maroc ou la Corée…
(5) C’est tout le sens des Rencontres interrégionales organisées par le GERM et la Région Rhône-Alpes en septembre 2006 sous le titre « Régions et diversité culturelle : une dynamique européenne et mondiale », ainsi que de la Déclaration de Lyon qui en résulte, et que l’on peut lire (en 5 langues) à l’adresse : http://www.mondialisations.org/php/public/art.php?id=24848&lan=FR
(6) Explicitation de la diversité culturelle, de ses acceptions et enjeux, de la Déclaration universelle de 2001, de la Convention de 2005, de leur pertinence respective, de leur histoire, de leur utilisation possible…
(7) Depuis, hélas ! le retrait (au printemps 2005) de l’avant-projet de Convention : du projet d’un Observatoire qui aurait évalué sa mise en œuvre effective.
(8) En commençant, pourquoi pas ? par des définitions de la « diversité des expressions culturelles » en contradiction avec les acquis du « processus Unesco » depuis 2001, ainsi que par un appareillage statistique nouveau et, le cas échéant : incomparable, à la lettre…
(9) Grâce au financement ad hoc, à la mise en place et à la pérennité des outils, sinon des institutions créés.



Article paru dans Economia della Cultura, 2008, n°1 (janvier), pp.57-61, il Mulino, Bologna (Thème du dossier : "Consumi culturali e creativita del gioviani"). - Intervention à la Conférence "Diversité culturelle - La richesse de l'Europe. Faire vivre la Convention de l'UNESCO", co-organisée par la Commission allemande pour l’Unesco et le GERM, dans le cadre de la Présidence allemande du Conseil de l'UE en 2007 (26 - 28 avril 2007, Essen, Capitale européenne de la culture Ruhr 2010).


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