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Date :  2006-09-28
langue :  Français
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Compte-rendu de la table ronde n°1 : "Les différentes figures et réponses régionales à l’épreuve des mondialisations"

"Les différentes figures et réponses régionales à l’épreuve des mondialisations"

(28 septembre 2006, thème de la matinée : "Régions et mondialisations")


Cette première table ronde devait situer le contexte général des Rencontres Interrégionales en s’intéressant aux relations complexes entre les régions et les mondialisations auxquelles elles sont confrontées. Elle devait également envisager les diverses figures régionales contemporaines comme réponses aux défis des mondialisations. C’est en ces termes que Jérôme Clément, Président du directoire d’ARTE France et modérateur de cette table, a ouvert le débat en rappelant que les différentes formes régionales devenaient de plus en plus déterminantes dans les stratégies des acteurs économiques et culturels, alors que parallèlement, on semblait assister à un affaiblissement de l’État-nation. Ainsi, il apparaît urgent, selon lui, de redéfinir les prérogatives respectives de ces différents échelons administratifs afin que chacun puisse assumer la responsabilité de la mise en œuvre de projets, notamment dans le domaine culturel.

L’interrégional comme cadre innovant pour lutter contre la thèse du "choc des civilisations" : l’exemple euroméditerranéen

Michele Brondino (1), Directeur de l’Association Sciences, Education et Cultures en Méditerranée et co-directeur de l’Encyclopédie de la Méditerranée (SECUM-EDM), a commencé par rappeler les enjeux des mondialisations en cours, notamment en ce qui concerne le concept de culture. Les évolutions technologiques, de l’imprimerie à l’Internet, auraient bouleversé les frontières culturelles traditionnelles, plongeant les individus dans un monde ou la diversité culturelle est omniprésente. Ainsi, ces nouvelles technologies, qui permettent d’observer les autres cultures et civilisations en temps réel, nous ont paradoxalement fait prendre conscience, au quotidien, que "l’autre" était fondamentalement différent. Les nouvelles technologies, symboles de la société de la communication, changent notre rapport au quotidien, et notre rapport aux autres, puisque les informations qui nous sont proposées sont forcément le fruit d’un choix opéré par des acteurs ayant certains intérêts à montrer ces mêmes images. La communication, ainsi, est devenue l’objet de tous les enjeux, puisqu’elle permet de rapprocher, ou, au contraire, d’éloigner les cultures et les communautés. C’est malheureusement ce deuxième scénario qui semble prédominer de nos jours. Le nouveau défi est donc d’innover, en essayant de créer de nouvelles passerelles entre les cultures, en d’autres termes en essayant de déconnecter les individus de leurs réalités, de leurs idées reçues, puis de les reconnecter à une nouvelle réalité, tout aussi concrète.

Un exemple illustrant ce propos est la mise en valeur de la région euroméditerranéenne : il s’agit de remettre l’accent sur une région, celle du pourtour méditerranéen, lieu de partage d’un héritage historique et culturel commun. La redécouverte de ce patrimoine culturel commun pourrait constituer un moyen efficace pour rapprocher une partie du monde arabe d’une partie du monde occidental. En effet, alors que la sphère communicationnelle est submergée par la thèse controversée du "choc des civilisations", la redécouverte de l’héritage culturel d’une région peut apparaître comme un moyen original et pertinent pour, au contraire, s’acheminer vers une "l’harmonie des civilisations".

L’intégration régionale comme cadre de promotion d’un modèle de développement : le cas des Amériques

Le débat lié au processus de régionalisation comme réponse aux défis des mondialisations semblait cependant devoir être abordé de manière différente selon que l’on se plaçait d’un point de vue européen, ou du point de vue d’un autre continent. C’est ainsi que le directeur de l’Observatoire des Amériques, Dorval Brunelle (2), propose un éclairage sur le contexte du continent américain. La conquête européenne a entraîné des bouleversements majeurs dans l’organisation sociale préexistante. En effet, à partir de cette période se sont développées deux doctrines qui formèrent la trame de fond des rivalités sur ce continent : la doctrine Monroe, d’abord, inspirée des déclarations du président américain du même nom, qui précisait que toute ingérence européenne en Amérique serait considérée comme hostile au gouvernement des États-Unis. Cette doctrine s’est concrétisée à travers l’interventionnisme américain dans les affaires latino-américaines, ainsi que dans le projet de création d’une zone de libre échange des Amériques regroupant 34 des 35 pays du continent américain (à l’exception de Cuba), suivant le modèle de l’ALENA, une zone de libre échange plutôt favorable aux intérêts économiques américains. Face à cela existait le mouvement du panaméricanisme, inspiré de Simon Bolivar qui souhaitait, au lendemain des indépendances, créer une Union politique entre les États latino-américains nouvellement indépendants. Cette idée avait perdu du terrain au 20ème siècle, mais elle est revenue en force avec l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez, au Venezuela. Ce dernier reprend ouvertement à son compte les revendications héritées de Simon Bolivar et souhaite donner forme à l’idée d’intégration latino-américaine sur le plan politique, proposant par là - même une alternative au modèle nord-américain fondé sur des relations essentiellement économiques. Aucun de ces deux modèles ne semble cependant faire l’unanimité sur le continent américain. C’est pourquoi D. Brunelle a avancé l’idée selon laquelle ce sont les groupements sous-régionaux qui dominent le paysage des Amériques. Dans ce contexte latino-américain, les questions des peuples autochtones prennent une importance toute particulière.

Démocratie et régions, une posture post-coloniale : analyse indienne et sud-asiatique

Pour le directeur du Mahanirban Calcutta Research Group (MCRG), Ranabir Samaddar (3), la question des régions est avant tout un problème post-colonial : parler des régions dans le sens de l’administration et des dévolutions de pouvoir n’apporterait ainsi pas grand-chose à la question de la diversité culturelle. En effet, cet intervenant s’est gardé de donner une définition trop exclusive du concept de région, parlant des régions comme d’un ensemble se plaçant entre le local et le global, se positionnant donc plutôt du point de vue d’un géographe. La région, dans cette perspective, est donc un « lieu » avant tout, un lieu où différentes dynamiques interagissent. Ainsi, tout comme l’Inde peut former une région de régions, le Sud asiatique est aussi une région. La définition du terme importe donc peu, et il n’est peut-être pas pertinent de parler d’une région en termes trop définis et absolus puisqu’il s’agit de lier ce concept avec celui de la diversité culturelle. En d’autres termes, cantonner une culture dans une région perd un peu de son sens puisque l’on retrouve dans chaque région une grande diversité de cultures. Cet intervenant a d’ailleurs précisé, d’une part, qu’en Inde la question des influences étrangères n’était pas perçue comme une menace, et, d’autre part, que la question de la diversité culturelle se posait au sein de chaque culture comme on l’entend dans le monde occidental, puisque les questions liées à l’âge et au sexe rentraient également dans leur définition de la diversité culturelle. L’essentiel ne serait donc pas de focaliser toute l’attention sur la définition de telle ou telle culture, mais plutôt de donner la priorité à l’autonomie des acteurs, à leur émancipation, ainsi qu’à à leur capacité de s’exprimer librement et de dialoguer avec les autres dans un espace non contraint ni contraignant, permettant ainsi au dialogue interculturel de prendre sa pleine mesure.

Le défi des régions : l’européisation différenciée

S’intéressant aux rôles des régions comme entités administratives en Europe, Christoph Wulf (4), directeur de recherches du Centre interdisciplinaire d’anthropologie historique et Professeur à la Freie Universität Berlin, a souligné que dans le contexte de l’Europe ces régions devaient faire face à un double processus d’uniformisation et de différenciation. Dans ce contexte, les régions européennes reçoivent de plus en plus de pouvoirs, les Lander allemands étant sans doute une des formes les plus abouties de ce transfert. Ce phénomène apparaîtrait comme quelque chose de positif, puisque les régions administratives, qui sont plus proches des citoyens, seraient davantage en mesure d’assurer une sauvegarde des héritages culturels et des traditions locales. Cependant, il a souligné, comme l’avait fait M. Brondino, que la découverte de sa propre identité a été facilitée par l’omniprésence de l’autre, à l’heure où les moyens de communication modernes nous permettent d’avoir un contact continu avec des individus venant d’autres horizons et de faire l’expérience de l’interculturalité au quotidien. Cette découverte ne doit toutefois pas être vécue comme une source d’angoisse, mais plutôt comme le moyen par lequel on apprend à se connaître, à s’accepter, et donc, de la même manière, à accepter les autres tels qu’ils sont.

Doter les régions d’outils pour relever les défis des mondialisations

Plusieurs de ces intervenants auront esquissé des moyens de répondre aux défis de la diversité culturelle et des différences culturelles les plus marquantes. Alors que M. Brondino a souligné l’urgence qu’il y avait de disposer de médiateurs culturels, ces passeurs de messages, C. Wulf a plutôt centré son intervention sur la nécessité, pour les régions, d’inclure dans leurs politiques éducatives un volet dédié à l’aspect régional de la culture ainsi qu’à l’interculturalité, afin que les individus apprennent à se confronter aux autres de manière constructive. R. Samaddar, enfin, a suggéré que l’on insiste sur l’approfondissement des pratiques démocratiques, afin de permettre un dialogue réellement ouvert au sein des régions.

Les différentes formes régionales : des finalités propres, une finalité collective

Dans le contexte des mondialisations en cours, les questions liées à l’identité ont pris une importance majeure, d’autant plus que les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont rapproché, dans l’espace et le temps, les différentes cultures. Il semblerait que, partout, les individus soient à la recherche de nouveaux référents identitaires, de nouvelles manières d’affirmer leur identité, de cadres différents de ceux mis en avant par les États-nations jusqu’alors. La régionalisation en Europe, les revendications des peuples autochtones dans les Amériques, ou les affirmations multiculturalistes en Asie, sont autant d’exemples qui démontrent l’existence d’un mouvement de fond en faveur de la recherche de nouveaux cadres de référence pour exprimer les identités. Les régions, au sens large, peuvent ainsi prétendre répondre à de telles demandes, en ce qu’elles permettent à chacun de trouver un cadre d’identification satisfaisant, de par leur statut intermédiaire entre le local et le global. Aussi faudrait-il doter les différents échelons régionaux de moyens appropriés à la protection et à la promotion de leurs cultures respectives. Cependant, au nom de la diversité culturelle et des valeurs que cette dernière défend, les régions ne doivent pas pour autant sombrer dans le repli identitaire. Il n’est pas question de construire des entités fermées sur elles-mêmes. Ce qu’il faut mettre en avant, c’est la possibilité pour les individus de s’identifier à plusieurs échelons régionaux. S’il est essentiel de défendre les spécificités bretonnes, cela ne doit pas pour autant empêcher les Bretons de se sentir également Français et Européens. Les différents échelons régionaux doivent ainsi être envisagés comme des poupées russes, chaque identité se nourrissant d’une autre, plus localisée.



Notes :

(1) Texte de l'intervention de Michele Brondino : "Mondialisation et gestion de la diversité"

(2) Texte de l'intervention de Dorval Brunelle : "La Convention de l’UNESCO et l’enjeu de la diversité culturelle au sein de trois processus interaméricains : la Communauté des démocraties, la Confédération parlementaire des Amériques et le Forum interparlementaire des Amériques"

(3) Texte de l'intervention de Ranabir Samaddar : "Democracy, Regions and the Globe"

(4) Texte de l'intervention de Christoph Wulf : "Le défi des régions : l’européisation différenciée. L’autre, la transnationalité de la culture et la recherche anthropologique"


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