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Date :  2006-09-28
langue :  Français
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Initiatives culturelles régionales africaines entre ouverture et enracinement
(le cas de l'art africain contemporain : DAK'ART, FESPACO, MASA, etc.)

Ce texte est un papier préparé pour les Rencontres Interrégionales
« Régions et diversité culturelle : une dynamique européenne et mondiale »
(Lyon, les 28 et 29 septembre 2006)


Le cinéma africain est cinquantenaire. Carthage et Ouagadougou en sont les capitales complémentaires. Dakar et Johannesburg abritent périodiquement deux événements phares autour de l’Art plastique africain contemporain. La Danse et le Théâtre, les arts du spectacle de manière générale réunissent, pour des échanges et des compétitions de haut niveau, à Abidjan et à Luanda notamment, troupes, experts et promoteurs de ces disciplines particulièrement vivantes.

Cette distribution géographique n’est certainement pas fortuite et, excepté le cas du Cinéma, c’est depuis une décennie que des politiques régionales et continentales ont imprimé sur la Terre d’Afrique ce mouvement à la vie et à la promotion des artistes et des entreprises culturelles. Une part non négligeable du financement de ces activités provient de partenariats avec des Etats et des institutions nationales et internationales, dans le cadre de la coopération bilatérale ou multilatérale. C’est par exemple le cas de DAK’ART et du MASA d’Abidjan qui, en plus des budgets des Etats respectifs et des municipalités qui les abritent, sont alimentés par des crédits de l’Union européenne, de la Communauté française de Belgique, de la France, de l’Organisation internationale de la Francophonie, de l’UNESCO, de l’UEMOA, etc.

Quoique certains observateurs aient cru voir derrière cette répartition spatiale et la spécialisation des rencontres, la main des bailleurs de fonds extérieurs, ce qui importe à ce stade de la description du phénomène, ce sont deux règles éminemment positives :

Première règle : participation des Etats, compétition, sélection pays par pays sur l’ensemble du continent avec l’appui de programmes d’information et de communication sur divers supports médiatiques, nationaux et internationaux.

Deuxième règle: faire en sorte que les pays d’accueil manifestent la volonté d’abriter ces événements et de servir de locomotive du fait de leur expérience dans le domaine considéré.


Cette communication se propose d’analyser la signification et la portée du changement de perspective intervenu depuis quelque temps au regard des défis enregistrés par les mondialisations culturelles. Elle s’articule autour de trois grandes problématiques :

- le défi fondamental : les identités des pays africains et la diversité culturelle dans le monde

- un double enjeu : créer les conditions nationales et régionales africaines de contribution à l’économie d’une part, et à l’épanouissement culturel d’autre part

- déficits, réorientations et actions nécessaires pour faire face au double défi de la région et des mondialisations culturelles.


Le FESPACO, DAK’ART et le MASA sont, d’une certaine manière, les héritiers du Festival mondial des Arts nègres (1966, Dakar) et de ceux d’Alger et de Lagos qui l’ont suivi. Le caractère hautement et volontairement politique de ces « ancêtres » prestigieux était incontestable. Politique au sens où, dans ces années de nouvelle entrée dans la souveraineté internationale, le combat politique et le combat culturel étaient inséparables : lutter contre les aliénations et donc pour la libération du continent et la promotion des libertés individuelles et collectives dans les espaces nationaux et internationaux. Cet aspect politique de la culture est un enjeu pour ainsi dire permanent même si d’une période à l’autre, la tonalité par laquelle il est exprimé n’est pas la même.

Avec le FESPACO, DAK’ART et le MASA, la jonction politique/culture emprunte de nouvelles voies et trace de nouvelles perspectives. On passe progressivement de la célébration du passé africain comme contre-offensive à la prégnance du système colonial, à la recherche d’effets structurants induits par ces grandes rencontres, aux plans économique, commercial, infrastructurel etc. L’émotion et la communion, l’affirmation des identités certes, mais également et surtout la promotion d’entreprises culturelles, nationales, régionales ; le soutien à la créativité et aux créateurs pour lutter contre la pauvreté et la dissolution pure et simple des repères africains dans un ensemble mondialisé de plus en plus agressif.

Ces événements régionaux phares que sont DAK’ART, le MASA et le FESPACO n’ont plus rien à voir avec ces manifestations bon-enfant et folkloriques où l’on était assuré de défendre et d’illustrer l’authenticité ou la négritude avec des chants et des danses faits de bric et de broc culturels et artistiques.

La vocation de ces initiatives culturelles régionales africaines porte la marque d’une triple tendance engendrée par les crises économiques et sociales du continent, par la circulation des produits des industries cultuelles du Nord et par le potentiel que semble receler la créativité africaine dans une perspective de renouvellement des industries de la création ou du dialogue entre différentes civilisations.

La première de ces tendances donne à voir comment les effets structurants de ces manifestations régionales induisent des effets d’entraînement en termes de nouvelles initiatives soit au niveau local, soit au niveau continental. En d’autres termes, les emplois créés (temporaires ou permanents), les programmes de radio et de télévision, les partenariats noués en termes d’hébergement, de transport, de support publicitaire, de logistiques, sont des effets structurants qui ont souvent donné des idées aux collectivités locales, et aux opérateurs économiques individuels ou institutionnels, l’envie et la volonté (parfois prudente) d’investir ou d’accompagner ces nouveaux créneaux.

Au Sénégal par exemple, le Festival national des Arts et de la Culture (FESNAC) né après les premières éditions du DAK’ART, s’inspire de ce dernier à travers l’institution de grands prix pour récompenser les meilleurs groupes musicaux et d’art dramatique par exemple, entraînant ainsi une forte émulation au niveau régional.

De même, sur le plan continental, l’expérience et le succès de ces événements-phares ont pour conséquence que de nombreuses entreprises culturelles voient le jour pour préparer les prochaines compétitions et surtout « gagner des parts de marchés » auprès des promoteurs occidentaux venant à ces joutes pour passer des contrats avec des artistes africains ou des ensembles culturels qui trouvent là une chance de se faire connaître hors des frontières de leur pays et de bénéficier d’une rémunération avantageuse.

Cette première tendance crée nécessairement chez les artistes et les créateurs africains d’entreprises culturelles une prise de conscience beaucoup plus aiguë de la nécessaire dialectique entre enracinement et ouverture, condition sans laquelle l’aventure extra territoriale a peu de chances d’avoir lieu.

L’enracinement, qui était jusque-là une sorte de slogan et de manifeste idéologique par refus d’être « assimilé » par l’occident, revêt la forme d’une conditionnalité de crédibilité pour la diversité et le dialogue des cultures sur le marché international des produits culturels. Il faut reconnaître que cette tendance à la « marchandisation » existe bel et bien et s’explique par les besoins de survie et de reconnaissance. Il faut toutefois ajouter que ce volet « enracinement » n’en comporte pas moins un aspect irréductible à cette poussée strictement mercantile.

La volonté d’enracinement perceptible dans les œuvres du DAK’ART, du MASA, et du FESPACO, procède d’une première exigence fondamentale d’enquête sur les mémoires et les patrimoines africains pour en faire le point de départ de la création contemporaine africaine. Cette enquête montre de plus en plus que les créateurs africains ne sont pas les simples adeptes d’une contemplation du passé et des traditions africaines. Ils les regardent à la fois avec respect et critique.

La question récurrente qu’ils se posent aujourd’hui est celle-ci : en matière de création, qu’est-ce qu’être africain aujourd’hui ? L’intérêt de cette interrogation est qu’elle remet au goût du jour la question de la véritable essence de la culture. A savoir que sous toutes les latitudes et à toutes les époques, qu’on l’ait su ou ignoré, elle est nécessairement enracinement et ouverture, altérité et négociation. La civilisation du « donner et du recevoir » que Senghor appelait de tous ses vœux trouvait son fondement dans cette réalité du rapport à l’Autre : il n’y a d’identité même revendiquée et assumée que par rapport à d’autres identités, et la prise de conscience de l’altérité est le véritable soubassement de toute rencontre possible. De ce point de vue, l’Afrique est un vaste champ d’exploration de ce qui lui a toujours appartenu en propre et de ce qui est devenu sien par le biais de « l’assimilation sans être assimilée » (Senghor) des échanges, des institutions nouvelles empruntées au monde arabe ou occidental et dont elle a fait « la chair et le sang » de sa culture nouvelle.

L’ouverture donc sur fond de patrimoine. Les legs intangibles ne sont que des fossiles générateurs de réflexes conservateurs, de ce conservatisme rétrograde qui ne peut se conjuguer avec aucune forme de dialogue avec l’autre. Le patrimoine appelle donc la création pour sa propre sauvegarde. Aussi, à travers ces initiatives que sont DAK’ART, le MASA et le FESPACO, voit-on les créateurs imprimer à leurs œuvres à la fois des canons universels et des langages traditionnels, comme procédés d’assomption de l’identité et de l’ouverture qu’appelle l’art contemporain. Dans le domaine de l’art plastique par exemple, la vogue des « installations » constitue de ce point de vue l’expression de cette volonté d’être « de la partie » au niveau des langages transculturels lisibles partout et pour tout le monde, tout en véhiculant ce supplément de levain au dialogue des cultures.

On peut en dire autant des chorégraphies du MASA, de celles de Germaine Acogny (une ancienne de MUDRA AFRIQUE et assistante de Maurice Béjart). Le cinéma africain aussi cherche sa voie dans cette perspective d’ouverture et d’enracinement à Carthage, à Ouagadougou et récemment à Abidjan.

Cette pratique de symbiose dénote la force de pression de la mondialisation qui, par le biais des médias, trace les limites de ce qui est condamné à rester du ressort du local et de ce qui, potentiellement, peut prétendre à l’universalité.

L’art africain contemporain est fortement tributaire de cette interpellation et s’efforce d’apporter des réponses appropriées à des demandes locales de culture et à des exigences internationales de participation à la construction de l’Universel. Ces initiatives culturelles régionales africaines reflètent cette double face. Les publics qu’elles mobilisent adhèrent à ces formes de création parce qu’elles leurs parlent et parce qu’elles les instruisent de la possibilité de rester soi en s’enrichissant de formes nouvelles, comme le prouvent largement, entre autres, l’art culinaire, l’art vestimentaire, la pratique de langues étrangères, d’idéologies venues d’ailleurs et acclimatées aux canons nationaux.

Cette deuxième tendance en induit une troisième qui indique cependant un véritable changement de perspective.

Il s’agit de la revendication et de l’exigence d’une sorte de double internationalité pour les créateurs, les artistes et les entrepreneurs culturels africains face à la mondialisation ou à l’occidentalisation du monde. La naissance de ces nouveaux pôles d’initiatives régionales est la marque d’un changement de perspective. Jusque-là (mais il est vrai que c’est loin d’être fini) l’espace et le temps de l’internationalité se confondaient avec ceux de l’hyper-centre qu’est l’Euramérique. Toute consécration était d’abord accueil dans les manifestations et espaces d’exposition ou d’exhibition du Nord des œuvres venues du Sud à sanctionner à l’aune de canons répertoriés et fixés par des experts occidentaux. L’aspiration à l’internationalité par cette voie là, reste encore très prégnante et prouve que le défi des régions, c’est aussi et toujours une exigence de réponse à la mondialisation. Même si souvent, ces espaces de consécration (cas du Cinéma par exemple à Cannes) cantonnent les œuvres africaines dans des sections plus ou moins exotiques avec des prix à part sous la rubrique des « regards croisés ou autres ». Il faut bien reconnaître qu’en dépit de ces limites, cette forme de sanction positive a toujours été un tremplin pour les lauréats, une source d’encouragement et de plus grande notoriété.

Le changement de perspective, c’est l’apparition, avec les initiatives culturelles régionales africaines, d’une nouvelle modalité d’accès à l’internationalité.

Les pôles de développement culturel et les événements qui les marquent comme le DAK’ART, le MASA et le FESPACO, suscitent l’émergence de personnalités et de figures de la créativité africaine et leur ouvrent la voie à une consécration régionale et continentale reconnue et célébrée. Les lauréats de ces compétitions et leurs œuvres, par le biais des représentations diplomatiques, de la presse et de l’audiovisuel (Radio et télévisions africaines ou de la coopération multilatérale comme TV5 par exemple) font pénétrer d’abord dans les familles et les milieux africains les plus divers, le message de cette nouvelle manière de prendre possession du patrimoine et de la mémoire collectifs et de les subvertir par la créativité pour mieux les consacrer. L’internationalité africaine, c’est la reconnaissance et l’acceptation en terre africaine par des publics africains que la fidélité aux identités africaines peut et doit se faire par le biais des œuvres d’art et de leurs créateurs. Lorsque l’internationalité africaine gagne en autonomie et en capacité d’initiative historique, elle sécurise les créateurs et leurs œuvres et suscite de nouvelles vocations et de nouvelles initiatives africaines dans des domaines non encore investis.

L’internationalité africaine devient de ce fait la voie salutaire d’une participation aux mondialisations culturelles. Elle peut alors être regardée comme une réponse au double défi de la mondialisation et de l’intégration régionale.

Il reste cependant deux enseignements majeurs à retenir de ces expériences et de ces initiatives culturelles régionales africaines. Le premier enseignement c’est la subsistance de nombreuses difficultés pour ancrer durablement cette tendance à la double internationalité. Parmi ces difficultés, il faut citer les problèmes de financements, la dépendance vis-à-vis de bailleurs extérieurs et les lenteurs administratives africaines.

Le deuxième type d’enseignement est relatif à une demande réelle, à un besoin d’éducation à un pluralisme culturel. La compatibilité entre mondialisation culturelle et intégration régionale demeure encore largement un vœu et une aspiration parce que les conditions de leur jonction sont tributaires de la prise de conscience des enjeux à tous les niveaux : local, familial, étatique, institutionnel et international.

L’Ecole, l’Université et les politiques des collectivités locales doivent déployer des stratégies pédagogiques, des supports didactiques et des débats publics sur ces enjeux, afin de révéler ce qui est resté latent de ce pluralisme, en exposer les avantages et l’enrichir, et vaincre les peurs et les réticences.



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