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Date :  2006-09-28
langue :  Français
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Mondialisation et gestion de la diversité

Ce texte est un papier préparé pour les Rencontres Interrégionales
« Régions et diversité culturelle : une dynamique européenne et mondiale »
(Lyon, les 28 et 29 septembre 2006)

Source :  Michele Brondino


Notre planète est sous l’emprise, d’une part, d’un phénomène spectaculaire de circulation de signes et d’images provoqué par la "révolution de l’informatique et de la communication" et d’autre part, des effets de la globalisation économique et de la mondialisation. Deux conceptions du monde qui sont en nette contraposition.
La globalisation de l’économie et de la finance, qui veut lier les mondes par le seul processus de l’économie de marché, a tendance à niveler la société multiple et plurielle en une société globale et unique. Elle est donc à l’origine d’un processus d’homogénéisation des mœurs, des modèles culturels, des systèmes de valeurs et des symboles. Au point que Foucault affirmait – en prophète – que nous vivons à l’époque de la biopolitique, c’est-à-dire à l’âge de la manipulation technologique des processus vitaux et des comportements quotidiens des hommes.
Contrairement à la globalisation financière, la mondialisation, c’est-à-dire la diffusion au niveau mondial de la connaissance des cultures, fortement accélérée grâce à la révolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), porte à une redécouverte et à une promotion des patrimoines culturels, même les plus éloignés et les plus méconnus dans le temps et dans l’espace.
C’est dans ce cadre planétaire contrasté qu’il nous faut réfléchir, afin de focaliser notre débat sur les diverses formes de regroupement national, régional et interrégional et sur leur pertinence face aux bouleversements de la mondialisation.


Les bouleversements de la globalisation et de la mondialisation

Si la caractéristique la plus évidente de notre civilisation contemporaine est bien, après la révolution industrielle qui a remodelé le monde au XIXème siècle, la révolution de l’information et de la communication puis la globalisation de l’économie et de la finance, c’est la vitesse de ces processus qui est frappante. En particulier celle des communications, qu’il s’agisse des déplacements, des transports, aussi bien que de la diffusion de l’information elle-même, vitesse qui nous projette en temps réel dans d’autres réalités que la nôtre, voire dans la virtualité.
La première conséquence en est une perte d’adhérence de l’individu par rapport à son territoire, l’absence désormais d’une certaine linéarité: on parle de nomadisme physique et culturel, d’appartenance multiple, de mobilité des frontières, c’est-à-dire de l’absence d’un tracé prédéfini, de la perte de modèles permanents et de référents inamovibles. Il nous faut sans cesse réinventer notre rapport à une réalité en perpétuelle évolution.
A la fermeture des frontières d’autrefois fait place la mobilité des frontières d’aujourd’hui : les frontières géopolitiques sont effacées, déplacées, mais aussi franchies par des millions de migrants . Ce qu'il y a de plus frappant est que ces frontières sont franchies sans besoin de se déplacer, par les millions d’internautes qui naviguent sur Internet ou qui reçoivent en temps réel des informations de l’autre bout du monde.
C’est la civilisation de l’information, de la communication technologique qui nous projette dans un monde virtuel où de nouveaux imaginaires économiques, politiques, mais aussi sociaux et culturels, dépassent les frontières des Etats-nations et traversent les cultures locales. C’est le monde cybernétique ou « cyborg ».
Nous nous acheminons vers une société globale à l’enseigne de l’homologation collective de notre mode de penser, d’agir et d’être. Dans un essai intitulé Psyche et Tekhnê, le philosophe Galimberti affirme que « ce sont les moyens de communication amplifiés par la technique qui contribuent de manière exponentielle à l’homologation sociale et qui modifient notre expérience : non plus le contact avec le monde mais la représentation médiatique du monde qui rend proche ce qui est lointain, présent ce qui est absent, disponible ce qui, autrement, serait indisponible... C’est alors que les moyens de communication ne sont plus de simples « moyens » à disposition des hommes car, s’ils interviennent sur les modalités de l’expérience, ils modifient l’homme indépendamment de l’usage qu’il en fait et du but qu’il veut atteindre » .
Cela souligne l’importance vitale que revêt la connaissance des NTIC qui coupent le monde développé du monde sous-développé. Cet état de choses est parfaitement traduit par l’expression « fracture numérique », qui désigne l’écart entre et la domination des pays développés sur les pays en voie de développement en termes d’accès à la connaissance.
Ce sont désormais des constatations banales, mais les transformations qui en dérivent sont profondes à tous les niveaux : le dépaysement - voilà l’état d’âme le plus répandu - de ceux qui migrent et de ceux qui accueillent est réciproque. Les frontières géographiques comme les frontières culturelles sont mobiles, en perpétuel mouvement, continuellement sollicitées par de nouveaux contacts et de nouveaux modèles, l’être-désorienté étant désormais une constante de nos sociétés contemporaines.
Le fait est qu’il nous faut apprendre à vivre dans un monde où la stabilité n’est plus un point d’ancrage, où la linéarité des rapports n’est plus assurée (celle des rapports entre l’individu et son territoire, mais aussi celle entre les individus d'un même groupe ou de groupes différents), apprendre à vivre dans un monde où la diversité culturelle est désormais omniprésente : l’Autre est chez nous. Voilà le défi de "la mondialisation" : apprendre à gérer la diversité culturelle.


La gestion de la diversité

La globalisation économique et financière ayant plutôt tendance à niveler les sociétés et les cultures (le mot d’ordre étant : un modèle pour un consommateur), la mondialisation culturelle, cet extraordinaire processus d’échanges et de partage, lui donne - heureusement - du fil à retordre. Le goût de la découverte est loin d’être perdu, au contraire, car l’essor de la communication fait déferler la diversité culturelle dans nos villes, sur nos écrans, dans nos rues, sur nos marchés.
Il n’en reste pas moins que la diversité des expressions culturelles est là, qui conditionne notre vie quotidienne et qui demande à être gérée et maîtrisée pour être vécue de manière positive.
C’est sur ce point que nous voulons nous attarder : sur l’urgence d’assurer une communication réelle entre les hommes et les femmes d’appartenance culturelle différente, une communication interactive, une capacité de dialoguer, de vivre côte à côte, d’interagir, qui soit à la hauteur de la révolution technologique en cours.
L’urgence est de former un citoyen capable d’affronter la complexité du XXIe siècle, un citoyen planétaire capable d’élaborer un rapport constructif avec l’Autre. Cette urgence a été prise en compte par l’UNESCO, qui a promu en octobre 2005 la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
Cette urgence est également perçue par les institutions et les collectivités locales, puisqu’une rencontre comme la nôtre, promue par la Région Rhône-Alpes, s’est révélée pertinente et nécessaire.
Dès lors, quel rôle les institutions, de la région administrative à l’Union européenne, en passant par les regroupements interrégionaux, nationaux ou transfrontaliers, ont-elles à jouer ?
Celui de relever le défi de la diversité culturelle par l’innovation.


Régions, Europe : les défis de l’innovation interculturelle

Les défis sont nombreux et c’est à plusieurs niveaux qu’il s’agit d’intervenir. D’abord, au niveau de la communication interculturelle. La société civile a été la première à entrer en action, à travers la création de multiples associations qui ont pris en charge, sur le terrain, concrètement, les difficultés de communication et ont inventé de nouvelles formules de dialogue, de solidarité et de collaboration. La reconnaissance, la rationalisation et la mise en valeur de ces initiatives sont pour les régions une richesse à exploiter et à valoriser.
Un seul exemple : de nouvelles figures professionnelles sont nées pour aider la société à gérer cette diversité culturelle, à «déconnecter des espaces et à les reconnecter », en faisant la synthèse entre les attentes des différentes communautés et celles de l’institution pour laquelle elles exercent (mairie, association, établissement scolaire, entreprise, région, etc.). Ces intermédiaires culturels, « passeurs de messages, de signes d’information » entre aires culturelles différentes, et cette figure professionnelle récente qui répond aux besoins de communication d’une société bloquée par la diversité culturelle sont de nouveaux acteurs qui inventent des passages, délimitent des frontières et façonnent des ouvertures. Ils contribuent ainsi à la création d’une nouvelle intelligence des rapports, par exemple entre les immigrés et les pays d’accueil .
Au niveau aussi, ne minimisons pas ce facteur, de la diversification des langues : rappelons-nous que tout patrimoine culturel s’exprime d’abord à travers la langue qui, selon Gramsci, « est conception du monde, donc acte philosophique de conscience critique et de cohérence morale » . Et en prophète, Gramsci pose le problème de la diversité des langues dans le cadre mondial:
« Le fait linguistique, comme tout autre fait historique, ne peut avoir de limites nationales strictement définies, puisque l’histoire est toujours histoire mondiale et les histoires particulières ne vivent que dans le cadre de l’histoire mondiale… on ne peut imaginer une langue nationale indépendamment des autres langues qui l’influencent à travers d’innombrables chemins, souvent difficiles à contrôler » .
Voilà déjà posée, au début du XXe siècle, la problématique de la diversité des langues et donc des cultures, au moment où le colonialisme-impérialisme imposait sa langue et sa culture aux langues et cultures dites subalternes. C’était l’absence du dialogue interculturel au nom de la « mission civilisatrice» des politiques culturelles coloniales .
Dans cette perspective mondiale, la langue est donc le lieu de rencontre et d’affrontement des systèmes de valeurs qu’elle représente avec les autres langues. Cette rencontre peut-être un lieu d’intersection si les systèmes dialoguent entre eux, ou un lieu d’affrontement si des rapports de forces sont en jeu. La sauvegarde et la diversification des langues doit donc être au programme des régions pour endiguer l’inquiétant phénomène de la disparition des langues et culture subalternes, dénoncé par l’UNESCO .
Au niveau du développement bien sûr, par la valorisation du patrimoine et par l’innovation. La vieille Europe possède un patrimoine de savoir-faire séculaires accumulés au fil des temps dans ces domaines, qui peuvent devenir une ressource cruciale pour le développement à travers l'échange. Un patrimoine qui, à un moment donné, a laissé en friche son stock de connaissances - il ne faut pas que la globalisation profite de cet abandon. Il faut au contraire que les différentes formes de regroupement régional et interrégional trouvent les voies et les moyens de se réapproprier ce stock, pour le revaloriser à l’aide des nouveaux savoirs disponibles que représentent les nouvelles innovations technologiques, afin de dynamiser le développement.
Ce modèle de développement fait du patrimoine culturel des différentes sociétés en présence, hier éloignées dans l’espace et dans le temps, un véritable laboratoire d’exploitation en tant qu’espace commun, un «monde commun» où le dialogue interculturel maintient les diversités et stimule leur connaissance et interaction avec la participation d’une pluralité d’acteurs institutionnels et non institutionnels, grâce à l’innovation des technologies de la communication.
Ce modèle pourrait constituer un exemple de glocalisation (néologisme syncrétique qui exprime les retombées positives de la globalisation et de la localisation) pour d’autres régions du monde qui, comme l’Europe, voudraient faire de la diversité une ressource plus qu’un problème, en vue d'engendrer des citoyens.
Les résistances sont inutiles et aveugles, nous dit le philosophe marocain Nourredine Affaya :
« Une personne non exposée au changement, à la duplicité, à l’interculturalité, n’est qu’un mythe, car l’Autre est là, nous l’avons intériorisé sur tous les plans, de la politique, de l’économie, de l’habitat, du vestimentaire, etc. Il n’y a plus d’identité unidimensionelle, elle est synthétique, se ressourçant d’éléments différents et s’ouvrant sur des mondes pluriels (…). l’Autre n’est pas dans une contrée lointaine et étrangère, car il est dans tout ce qu’on fait, ce que nous acquérons, il est dans les institutions qui agencent nos rapports, etc. On est, interculturellement parlant, le fruit d’un processus d'hybridation».
Face au danger de la suprématie d'une culture monolithique et unidimensionelle, nous devons prendre conscience que la pluralité et la diversité des cultures sont en jeu, car elles sont la richesse du dialogue interculturel : une culture qui ne communique pas est destinée à disparaître.
Le dialogue interculturel, comme son nom l’indique, est un processus interactif entre individus et communautés : à l’information doivent s’ajouter la communication et l’interaction . Ce qui implique la prise de conscience que les différences culturelles et linguistiques sont des richesses qu’il nous faut sauvegarder et promouvoir, qu’un véritable échange doit avoir lieu, positif et enrichissant, que nous vivons aujourd’hui dans le métissage culturel et que l’hybridité culturelle n’est pas une découverte puisque toute culture est métisse et plurielle ab origine. C’est justement parce qu’elles sont en constant rapport d’échange et d’interaction que les cultures évoluent et se transforment . Voilà la signification profonde à donner à la Convention internationale sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles qui est en voie de ratification par les Etats membres de l’UNESCO.



*Cette intervention reprend des extraits de M. Brondino et Y. Fracassetti, "L’interculturalité comme espace de gestion de la diversité", in Communication interculturelle et diversité en Méditerranée (sous la direction de F. Albertini), éd. Dumane, 2006.



Notes:

1) Plus de 200 millions de migrants dans le monde. Cf. C. W. De Wenden, Atlas des migrations dans le monde, Paris, Autrement, 2005 ; « Le Monde. Dossiers et documents », février 2006.

2) Cfr. J.C. GUILLEBAUD, La refondation du monde, Paris, Ed. le Seuil, 1999.

3) U. GALIMBERTI, Psiche e Techne, Milano, Feltrinelli, 2002, p. 47.

4) Cfr. L’interculturel en acte, identités et émancipations (sous la direction de Y.Onghena), in « Revista d’Afers Internaciols », Fundaciò Cidob, n. 73-74, 2006.

5) A. Gramsci, Quaderni del Carcere, Torino, Einaudi, p. 1379.

6) Idem, p. 2343.

7) Cfr. E. W. SAID, Culture and Imperialism, New York, A. Knopf, 1993.

8) Cfr. «Interculturel, bilan et perspectives », Unesco- Fundacio CIDOB, Barcelona, 2002.

9) N. Affaya, L ’interculturel ou le piège de l’identité, in «Revista Cidob d’Affairs internacionals », n. 36, mai 1997, pp. 141-156.

10) Cfr. R. SCOLLON, Intercultural Communication, Oxford, Blackwell, 1995; R. COHEN, Negotiating Across Cultures, Washington DC, United States Institute of Peace Press, 1992.

11) Cfr. Z. BAUMAN, La solitudine del cittadino globale, Milano, 2000.


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