1. La conférence internationale sur le thème "Dialogue culturel et coopération interreligieuse", qui s’est tenue dans le cadre de la présidence russe du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, a marqué une étape importante dans les efforts déployés pour stimuler le dialogue interculturel depuis le Troisième Sommet du Conseil de l’Europe (Varsovie, mai 2005). Les participants se sont inspirés du slogan de la présidence russe: "Vers une Europe unie sans clivages". La Fédération de Russie, dont l’histoire et la culture sont indissociables de celles de l’Europe, a une diversité culturelle, ethnique et religieuse sans équivalent qui constitue non seulement un héritage historique, mais aussi un potentiel créatif pour la Russie et pour l’Europe au XXIe siècle.
2. Les participants ont rejeté l’idée selon laquelle l’instabilité actuelle serait due à un choc des civilisations. Il est dans l’intérêt de toutes les communautés culturelles, ethniques et religieuses que de telles idées trompeuses et provocantes ne soient pas utilisées comme facteur de mobilisation politique. Bien que l’insensibilité de certains à l’égard des perspectives mondiales et des traditions culturelles des autres soit profondément regrettable, les tentatives d’imposer des vues par la violence ou des menaces sont tout à fait inacceptables.
Un moyen de relever ces défis est de promouvoir un dialogue interculturel et interreligieux effectif aux niveaux local, national et international. Le but d’un tel dialogue, qui est hautement prioritaire à la fois pour le Conseil de l’Europe et les gouvernements nationaux, n’est pas un simple échange de vues, mais l’instauration de l’harmonie sociale dans le respect de la diversité politique –sur la base des droits de l’homme universellement reconnus– et ce faisant d’une plus grande sécurité en Europe et dans le monde.
3. L’approche du Conseil de l’Europe à l’égard de la culture et de la religion ainsi qu’à l’égard des moyens de communication, du dialogue, de la réalisation d’un consensus et de la prévention des conflits repose avant tout sur les principes et les normes élaborés au fil des années par l’Organisation, en particulier à travers la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Ses activités ont leurs racines dans la Convention culturelle européenne et la Déclaration de Faro sur la stratégie du Conseil de l’Europe pour le développement du dialogue interculturel, et font intervenir de nombreux acteurs. Parmi eux, l’Assemblée parlementaire (1) et le Commissaire aux droits de l’homme (2) ont joué un rôle spécial ces dernières années pour intégrer la dimension religieuse dans l’action du Conseil de l’Europe visant à favoriser le dialogue et la compréhension entre les cultures.
4. Le dialogue interculturel et, plus largement, la coopération sont des approches générales pour comprendre l’héritage historique des civilisations, tirer des leçons du passé et promouvoir une responsabilité partagée pour un avenir commun. Ces approches, mises en œuvre par l’éducation, les relations culturelles et interculturelles, l’information et les échanges humains, ainsi que par des projets intergouvernementaux et non gouvernementaux communs, contribuent à assurer une stabilité pacifique à long terme et à prévenir la menace du terrorisme.
Il est clair aujourd’hui que, à côté des facteurs socio-économiques expliquant l’instabilité internationale, l’ignorance culturelle et religieuse – y compris la méconnaissance de sa propre culture et de son propre patrimoine autant que de la culture et du patrimoine des autres – constitue un terrain fertile pour le rejet, l’extrémisme, le terrorisme et la guerre. A cet égard, l’éducation fondée sur des valeurs et la pratique culturelle (comme l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme ainsi que la promotion et l’encouragement de l’expression culturelle) deviennent des outils essentiels pour combattre la haine et l’intolérance et pour surmonter les obstacles résultant des efforts déployés par certaines forces politiques pour exploiter l’ignorance culturelle et religieuse au profit de leurs propres objectifs politiques. A cet égard, les participants ont exprimé leur soutien au projet visant à mettre en place, dans le cadre du Conseil de l’Europe, un pôle d’excellence sur l’éducation aux droits de l’homme et à la citoyenneté démocratique, prenant en compte la dimension religieuse.
5. Défis et opportunités pour la diversité culturelle
Rappelant que la diversité culturelle a été reconnue dans le Rapport mondial sur le développement humain 2004 des Nations Unies comme un facteur du développement humain et une manifestation de la liberté humaine, les participants se sont félicités de l’inclusion de la gestion démocratique de la diversité culturelle dans les priorités du Troisième Sommet du Conseil de l’Europe. Cela devrait rester une préoccupation fondamentale, compte tenu en particulier des nouvelles réalités d’un monde globalisé et interdépendant. Des politiques explicites débouchant sur des outils et des actions efficaces sont toutefois nécessaires d’urgence. Les participants ont exprimé leur ferme soutien au travail du Conseil de l’Europe qui assure la cohésion des sociétés sur la base des principes de l’acceptation de la différence et de la liberté d’expression.
La Russie, qui a une importante histoire de diversité culturelle en termes de religions et de croyances religieuses, de langues, de modèles de société, de groupes ethniques distincts, et qui a connu des processus migratoires intensifs, considère de plus en plus la diversité culturelle comme une ressource. Le pays a adopté des programmes fédéraux spécifiques pour le développement social et culturel des groupes ethniques ainsi que des lois pour les organisations culturelles indépendantes ("Autonomie culturelle nationale", 1996). Les participants ont reconnu que la Russie avait l’expérience du passage d’un cadre conceptuel à un ensemble de principes, et des principes à l’action, et ils ont noté que le nouveau plan “Culture de la Russie” (2006-2010), vise explicitement la préservation du patrimoine culturel pluriethnique du pays. Ils se sont félicités de la contribution de la Russie aux collections permanentes de politiques et pratiques du Conseil de l’Europe, qui constituent un outil précieux pour tous les Etats membres, et de son soutien aux conventions sur la culture et le patrimoine.
Les participants ont souligné l’importance des niveaux local et régional de gouvernance pour la gestion démocratique de la diversité culturelle et la promotion du dialogue interculturel, ainsi que le rôle fondamental que les collectivités locales et régionales, en collaboration étroite avec les individus et groupes de la société civile, doivent jouer dans la définition de leurs politiques respectives. Un processus de diversité culturelle efficace suppose la participation de tous les citoyens, une attention spéciale étant accordée à la participation des minorités. La citoyenneté est modifiée par les migrations mondiales; les individus vivent de plus en plus dans des contextes transculturels, souvent avec des identités plurielles. Les participants sont convenus que le débat européen sur la diversité culturelle gagnerait à incorporer la notion d’appartenance multiple et la richesse de son paysage culturel en tant qu’atout pour l’Europe.
6. La dimension religieuse dans le dialogue interculturel
Les participants ont réaffirmé leur attachement aux valeurs et principes universels qui forment le patrimoine commun de leurs peuples et la véritable source de la liberté individuelle, de la liberté politique, de la déontologie publique, de la responsabilité civile et de la primauté du droit, principes qui sont à la base de toute démocratie authentique. Ils ont souligné que ces principes universels ne sauraient être en contradiction avec les traditions culturelles et religieuses du continent et qu’ils ne peuvent être contestés ni ébranlés. Les tentatives faites pour les opposer sont le résultat de l’ignorance ou de manipulations. Pour autant, la diffusion de ces valeurs bénéficiera grandement des discussions entre les responsables politiques et les communautés ethniques, culturelles et religieuses.
La liberté de conscience, la liberté de religion, et la liberté d’expression constituent des valeurs fondamentales, consacrées par la Convention européenne des Droits de l’Homme et développées dans d’autres instruments du Conseil de l’Europe ainsi que dans les arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Elles ne peuvent faire l’objet de restrictions, sauf dans les conditions strictes prévues par la Convention.
Les organisations religieuses d’Europe doivent avoir la possibilité, comme elles le font généralement au niveau national, de participer au dialogue et au débat européens sur tous les problèmes d’actualité au niveau international, y compris sur les différents aspects du respect des droits de l’homme, de la cohésion sociale et de la diversité culturelle. Cela leur permettra de contribuer de façon significative au projet paneuropéen incarné par le Conseil de l’Europe.
Les participants ont salué le rôle pionnier joué dans ce contexte par le Commissaire aux droits de l’homme. Ils se sont félicités de la politique nouvellement établie par le Président de l’Assemblée parlementaire visant à inviter des responsables religieux et à consulter les organisations religieuses sur des sujets appropriés. Ils ont estimé que le moment était effectivement venu pour le Conseil de l’Europe de développer des mécanismes appropriés pour un dialogue ouvert, transparent et régulier avec des organisations religieuses.
7. Le rôle des médias dans le dialogue interculturel
Les participants ont souligné que les médias pouvaient contribuer de façon positive à favoriser une culture de compréhension dans une société pluraliste. Compte dûment tenu du droit fondamental à la liberté d’expression et à l’information et de l’indispensable indépendance des médias dans une société démocratique, les médias pourraient être encouragés à refléter la diversité de la société, en particulier dans le contexte de la programmation audiovisuelle et de rendre compte des questions ethniques, culturelles et religieuses en faisant preuve de sensibilité, en évitant les stéréotypes humiliants et les généralisations et en donnant un aperçu de la diversité de chaque communauté.
L’autorégulation des médias est un élément important dans ce contexte, ainsi que pour concilier le droit à la liberté d’expression et d’information avec le respect de la dignité humaine et la protection de la réputation ou des droits d’autrui. Les autres réponses, notamment de nature réglementaire, doivent respecter les obligations découlant du droit international et se conformer à la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Les participants ont appuyé les activités du Conseil de l’Europe visant à mettre en œuvre les points pertinents du Plan d’Action adopté à la 7ème Conférence ministérielle européenne sur la politique des communications de masse ("Intégration et diversité: les nouvelles frontières de la politique européenne des médias et des communications", Kiev, mars 2005), notamment en ce qui concerne la liberté d’expression et d’information en temps de crise et la diversité et le pluralisme à l’ère de la mondialisation. Ils ont souligné la nécessité d’encourager la contribution des médias au dialogue interculturel et interreligieux, et l’intérêt d’instituer un prix pour les médias ayant apporté une contribution exceptionnelle à la prévention ou à la résolution des conflits, à la compréhension et au dialogue.
8. Les participants se sont déclarés en faveur du renforcement des mécanismes nationaux pour la protection des droits de l’homme et des droits des minorités. Ils ont souligné l’importance à cet égard des mesures prises par le Conseil de l’Europe et ses Etats membres concernés, dont la Fédération de Russie, de s’acquitter de leurs obligations découlant de la Convention cadre pour la protection des minorités nationales.
Les droits des adhérents de toutes les croyances et traditions, qu’elles soient majoritaires ou minoritaires, nouvellement implantées ou établies de longue date, toutes les croyances et traditions doivent être respectées, à condition qu’elles respectent elles-mêmes les valeurs fondamentales consacrées par la Convention.
9. Un exemple de coopération efficace forgée au cours de l’histoire est donné par la région de la Volga, où les relations entre les différentes ethnies et communautés religieuses ont, traditionnellement, été pacifiques. Ici, ce ne sont pas seulement des attitudes tolérantes et le dialogue interculturel qui se sont développés au fil du temps, mais une coopération concrète et une action commune. L’influence réciproque, l’action commune et la responsabilité commune pour la stabilité régionale caractérisent l’exemple historique de la région de la Volga, qui est un atout pour la Fédération de Russie et un exemple d’une Europe sans clivages.
10. Les participants ont montré un vif intérêt et exprimé leur ferme soutien pour l’initiative du Conseil de l’Europe visant à préparer un “Livre blanc sur le dialogue interculturel”. Ils ont invité les organisations gouvernementales et non gouvernementales, ainsi que les organisations religieuses d’Europe, à jouer un rôle actif dans ce processus. Ils se sont également réjouis à la perspective de voir désigner 2008 "Année européenne du dialogue interculturel" et ont souligné la pertinence de l’apport du Conseil de l’Europe, dans la mesure où il représente la grande Europe, à cet événement.
11. Les participants ont souligné que le développement et le renforcement du dialogue interconfessionnel ont reçu une nouvelle et importante impulsion au niveau paneuropéen, en particulier pendant la présidence russe du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Il a été noté avec un grand plaisir que la prochaine présidence exercée par la République de Saint-Marin a manifesté son intérêt et son souhait de poursuivre ces initiatives.
Notes :
(1) Voir entre autres la recommandation 1396 (1999) sur la religion et la démocratie, la recommandation 1687 (2004) « Combattre le terrorisme par la culture » la recommandation 1720 (2005) « Education et religion » et la résolution 1510 (2006) « Liberté d’expression et respect des croyances religieuses ».
(2) Voir les documents finals des conférences et séminaires tenus à Syracuse (Italie) en décembre 2000; à Strasbourg (France) en décembre 2001; à Louvain-la-Neuve (Belgique) en décembre 2002; à Malte en mai 2004; et enfin à Kazan (Fédération de Russie) (Séminaire international sur le thème "Dialogue, tolérance, éducation: l’action concertée du Conseil de l’Europe et des communautés religieuses") les 22 et 23 février 2006.